Je vous remercie de me donner l'occasion d'un nouvel échange. Cet exercice régulier est d'autant plus important que le monde de l'énergie connaît une révolution. Elle est due à quatre facteurs : des ressources fossiles limitées ; une très forte croissance démographique mondiale ; un changement climatique avéré, qui rend nécessaire la réduction des émissions de gaz à effet de serre ; l'aspiration, légitime, au développement des populations de nombreux pays émergents.
Dans ce contexte, on attend de nous que nous trouvions plus d'énergie, à meilleur prix, à un coût prédictible, disponible à grande échelle, nationale autant que faire se peut, et produisant beaucoup moins de carbone – c'est le fameux facteur 4 : 2 fois plus d'énergie avec 2 fois moins de C02. D'évidence, les méthodes doivent changer, et il y a deux solutions : définir un mix énergétique plus efficace, et produire plus d'énergies qui ne fabriquent pas de C02, c'est-à-dire produire plus d'énergie nucléaire et plus d'énergies renouvelables. Il n'y a ni solution miracle, ni solution unique : ces productions sont donc complémentaires.
L'énergie nucléaire a l'avantage de produire une électricité abondante, permanente, nationale, à un coût prédictible – la part de l'uranium dans le coût de production de l'électricité nucléaire n'étant que de 5 % –, recyclable à 96 % et n'émettant pratiquement pas de carbone. Soit, me dira-t-on, mais cette production n'est pas à l'échelle des besoins. Permettez-moi d'observer que si chaque pays membre de l'OCDE se dotait de quatre EPR, on atteindrait les objectifs hauts de Kyoto. À cela s'ajoute que les coûts de production de l'énergie nucléaire sont parmi les plus bas – et le coût du démantèlement des installations est intégré. À ce jour, seul le charbon « non propre » fait mieux, et il va sans dire que si le coût de la taxe carbone est intégré dans le prix de l'électricité, l'énergie nucléaire sera encore plus compétitive qu'elle ne l'est aujourd'hui.
La demande croît fortement, partout. C'est le cas dans les pays « historiques » du nucléaire civil, et l'on assiste à des revirements intéressants, en Suède par exemple, et en Italie, cependant qu'en Allemagne on s'interroge. On constate le retour au nucléaire en Amérique du Nord, et l'on sait le très fort potentiel de développement de ce mode de production de l'énergie en Asie – au Japon, en Corée du Sud et en Inde. Outre cela, de nouveaux pays souhaitent à présent développer une industrie nucléaire civile ; ainsi l'Australie, les pays du Moyen-Orient et ceux d'Afrique du Nord entendent-ils préparer l'après-pétrole, l'après-gaz, l'après-charbon et permettre la réalisation de projets de dessalement d'eau de mer.
Nous visons un tiers du marché accessible, entendant par là celui des pays qui acceptent tous les contrôles prévus par les Nations unies. Nous n'acceptons pas de travailler avec les autres. Et nous ne pouvons pas travailler avec ceux qui refusent une compétition véritable avec leur industrie nationale, raison pour laquelle nous considérons que le marché russe n'est pas accessible aujourd'hui.
Notre projet est de doubler d'ici à 2030 la capacité installée, sachant que les centrales de première génération arrivent en fin de vie – c'est déjà le cas en France, ce le sera en Grande-Bretagne dans les années à venir. Nous profiterons pour cela de notre modèle intégré qui, critiqué lors de sa mise en oeuvre, apparaît maintenant comme le plus pertinent, au point d'être devenu le modèle de référence que nos concurrents copient. Le modèle intégré d'Areva – de la mine d'uranium au recyclage – c'est, en quelque sorte, celui de Nespresso : de la cafetière aux capsules, si ce n'est que nous, nous recyclons les capsules. Comme, à l'origine, personne ne croyait au bien fondé de l'intégration, nous avons une longueur d'avance, et même si à présent tout le monde nous copie, nous conservons un avantage commercial très fort.
Par ailleurs, nos clients, les électriciens, demandent une sécurité de long terme, si bien que nous signons de plus en plus de contrats à 40 ans ; nous avons même signé un contrat à 60 ans avec l'Inde.
Notre stratégie consiste à proposer à nos clients des réacteurs de troisième génération. En ce domaine, nous sommes en avance sur nos concurrents et nous avons quatre réacteurs de génération III+ en construction. Notre stratégie est aussi fondée sur une offre différenciée, car les besoins des clients ne sont pas les mêmes. Nous proposons à cet effet une gamme de trois réacteurs de génération III+ : l'EPR, gros réacteur à eau pressurisée de 1 650 mégawatts ; Atmea 1, réacteur de 1 100 mégawatts produit en coopération 5050 avec Mitsubishi Heavy Industries ; enfin Kerena, réacteur de 1 350 mégawatts à eau bouillante mis au point à la demande d'électriciens allemands et coproduit avec E.ON.
Considérant que, dans la configuration énergétique mondiale nouvelle, nucléaire et énergies renouvelables iront de pair, nous entendons aussi développer nos activités dans les segments les plus prometteurs. C'est un marché pour lequel il est prévu une croissance de 8,5 % par an au cours des vingt prochaines années. Si notre développement dans le secteur des énergies renouvelables connaît un peu de retard en France, nous sommes en revanche déjà très présents dans la filière de la biomasse, singulièrement sur le marché brésilien après l'acquisition de Koblitz et sur les marchés indien et sud-africain. Nous avons aussi créé aux États-Unis une joint venture – Adage – avec Duke Energy pour construire des centrales de 50 mégawatts. Nous avons également installé de très grosses éoliennes off shore : nous avons acheté une technologie Multibrid de 5 mégawatts. Le choix d'emplacements maritimes, outre qu'il évite le problème complexe de l'acceptation des installations par le public, permet de laisser de grands espaces terrestres inviolés ou consacrés à l'agriculture – n'oublions pas qu'en 2050, il faudra nourrir près de 3 milliards d'individus supplémentaires. Enfin, nous sommes présents dans le secteur de l'hydrogène par le biais d'une start up française qui s'appelle Hélion, et nous nous intéressons aussi au solaire thermique. Nous allons, dans ces secteurs en puissant développement, atteindre un milliard d'euros de commandes – s'intéresser aux énergies renouvelables n'est pas pour nous une façon de faire du politiquement correct.
Areva connaît un rythme de développement soutenu. Ainsi, nous élargissons rapidement nos réserves d'uranium soit par nos propres explorations comme à Imouraren, soit en passant des accords de coopération minière tels que celui que nous avons signé avec la République démocratique du Congo, soit en créant une société commune d'exploration minière comme nous l'avons fait avec la Namibie, soit par la construction de l'usine d'enrichissement par centrifugation Georges Besse II, avec le lancement de la première cascade et l'entrée de nouveaux partenaires minoritaires dans le capital.
Dans le même temps, nous développons nos capacités industrielles pour faire face au renouveau mondial du nucléaire. En France, nous lançons le plan Chalon 1300 : ainsi, l'effectif de notre usine de Chalon, où sont fabriqués les composants d'EPR – usine, qui je le rappelle, était destinée à la fermeture et que nous avons refusé de fermer –, est passé de 1 000 à 1 300 personnes – il était de 850 personnes au pic d'EDF –, ce qui nous permettra d'y produire chaque année les composants correspondant en moyenne à 2,7 de ces réacteurs, dont les cuves sont fabriquées à l'usine du Creusot. Aux États-Unis, nous avons créé avec Northrop Grumman un site destiné à la fabrication des composants lourds de l'EPR américain – c'est la première usine de composants lourds aux États-Unis depuis trente ans. De même, un partenariat a été créé en Inde avec Bharat Forge et Tata pour la fourniture des pièces nécessaires à l'EPR indien.
S'agissant des énergies renouvelables, nous nous sommes renforcés par l'acquisition de PN Rotor qui fabrique des pales pour l'éolien off-shore – nous allons être le premier opérateur intégré dans l'éolien –, par l'installation de la première éolienne du parc off-shore Alpha Ventus en Mer du Nord et par la signature, en Inde, d'un partenariat portant sur la production de biomasse avec Astonfield Renewable Resources.
Notre filiale Transmission et Distribution –T&D – a poursuivi son déploiement international avec l'installation de huit usines en Inde et de trois usines en Chine, ainsi qu'avec le développement de « réseaux intelligents » et des acquisitions ciblées aux États-Unis et au Royaume-Uni. En France, nous continuons à développer la base industrielle.
Notre carnet de commandes a doublé en cinq ans. Il s'élève à 48,9 milliards au 1ertrimestre 2009 et dépassera vraisemblablement les 50 milliards à la fin de l'année, ce qui est considérable. Pendant la même période, notre chiffre d'affaires a progressé de 34 %. Dans le nucléaire, cette augmentation provient aussi bien de la base installée, où nous gagnons des parts de marché, que des nouvelles constructions, et notre chiffre d'affaires va continuer de croître très vite car, avec l'EPR, nous renforçons notre avance.
Un réacteur EPR, c'est une boîte d'acier et de béton d'un petit volume, d'une puissance de 1 650 mégawatts, résistant à tout – chute d'avion commercial, tir de missile – hormis une bombe nucléaire. C'est un réacteur à la disponibilité accrue pour l'électricien – 90 % d'utilisation – qui, pour produire la même quantité d'électricité, utilise 17 % d'uranium de moins que les réacteurs de la génération précédente et laisse 15 % de déchets à vie longue en moins.
Quatre EPR sont en construction et un cinquième est annoncé à Penly, en France. Nous avons également de nombreux projets. On a beaucoup parlé des difficultés que nous avons rencontrées en Finlande avec le réacteur OL3 en construction à Olkiluoto, en premier lieu car nous avons été d'une parfaite transparence à ce sujet. Je rappelle qu'OL3 est une tête de série et que, sur le plan comptable, il nous a été impossible, contrairement à Boeing ou Airbus qui peuvent étaler leurs frais de développement sur une série, d'étaler nos propres frais de développement sur d'autres réacteurs, faute d'autres clients à l'époque. Par ailleurs, la construction de cette centrale a signifié la reconstitution, sur le site, d'un tissu industriel de 250 PME françaises qu'il nous a fallu requalifier, au prix d'un long travail, tant était élevé le niveau de sécurité demandé.
Où en sommes-nous ? Le dôme a été posé, ce qui marque une étape très importante de la construction. Les commandes et les marchés sont engagés à plus de 90 %, les activités d'ingénierie sont achevées à plus de 80 %, les travaux de génie civil à 73 %. L'effectif présent sur le site est de 3 700 personnes et il sera de 4 000 personnes fin 2009.
J'insiste en outre sur le fait que la construction de l'EPR OL3 est pour Areva une vitrine commerciale sans équivalent. Ainsi, il y a fort à parier que sans ce réacteur en construction, nous n'aurions pu faire affaire avec les Chinois.
Dans toute construction de réacteur nucléaire, les relations entre client et fournisseur sont complexes. Elles sont régies par une multitude de documents, une cathédrale de papier, et l'on ne peut rien faire sur un chantier de ce type qui n'ait été approuvé et par le client et par l'autorité de sûreté. Mais, alors que le contrat prévoit que TVO dispose de deux mois pour répondre aux demandes que nous lui faisons, les premiers commentaires nous arrivent dans un délai moyen de quatre mois, et onze mois nous sont nécessaires pour obtenir une approbation – le paradoxe étant que l'immense majorité de nos demandes sont approuvées. Nous perdons donc beaucoup de temps, de manière aléatoire, ce qui perturbe considérablement le fonctionnement du chantier. Cette manière de procéder est sans équivalent ; je n'en ai jamais eu connaissance ailleurs. Nous avons donc remis à TVO des propositions visant à en revenir à un mode opératoire conforme aux pratiques habituelles de l'industrie, en spécifiant que nous ne lancerions pas les dernières phases du chantier avant d'avoir un accord clair, seul à même de nous donner une vision globale des travaux à entreprendre par bloc.
Cela nous a par ailleurs conduits à constituer des provisions supplémentaires. Je souligne qu'il ne s'agit pas de pertes. Les réclamations de TVO feront l'objet d'un jugement, et comme nous pensons avoir un excellent dossier, nous comptons bien ne pas avoir à payer ce qui nous est demandé. Dans le même temps, le consortium Areva-Siemens a adressé à TVO une réclamation d'un milliard d'euros, et d'autres réclamations sont en préparation. À ce jour, l'impact financier d'OL3 est absorbé par la performance opérationnelle du groupe, notre marge s'établissant à 640 millions en 2004 et à 1,166 milliard en 2008, en hausse de 82 % avant les provisions passées pour OL3.
Areva a de nombreux projets. Une négociation exclusive est engagée avec Duke Energy pour la construction d'un EPR dans un parc « vert » de l'État – démocrate –de l'Ohio. Une négociation commerciale, menée avec EDF, est très avancée pour la construction de quatre EPR au États-Unis. En France, la construction d'un deuxième EPR est prévue à Penly– il y a à la base de cette commande un consortium regroupant, entre autres, EDF, Gaz de France Suez, Total et Enel. Un protocole d'accord a été signé en Inde pour la construction de deux EPR plus le cycle de combustible sur un site qui pourrait comporter entre six et huit EPR. Nous sommes « short listés » pour la fourniture de deux à quatre réacteurs EPR et le cycle correspondant aux Émirats arabes unis. Nous avons signé le protocole prévoyant la création, pour 700 millions d'euros, d'un parc éolien off shore de 80 éoliennes en mer du Nord.
Areva est donc engagée dans une dynamique très forte, qui n'est absolument pas entamée par la crise. C'est une formidable chance pour la France, où l'entreprise investit massivement : sur le site du Tricastin pour 3 milliards d'euros, mais aussi en Bourgogne, à Chalon et au Creusot, ainsi qu'à La Hague. Ce faisant, Areva entraîne toute une filière industrielle. Le partenariat industriel est au coeur de notre histoire et de notre stratégie, et l'importance de nos relations avec nos sous-traitants s'est traduite cette année par l'octroi du label « fournisseur Areva » à 120 fournisseurs en France. Quant au nouveau chantier du Tricastin, il assurera du travail à 1 500 sous-traitants par an pendant dix ans. De même, à l'export, Areva entraîne de nombreuses entreprises françaises sur de grands chantiers internationaux, en Chine par exemple avec Taishan 1 et 2.
Le groupe est aussi une chance pour l'emploi en France. Nous avons en effet embauché 15 000 personnes en 2008 et nous en aurons embauché 12 000 fin 2009, dont la moitié en France – une tendance atypique. Chaque EPR signifie de 1 500 à 2 000 emplois chez Areva et chacun de ces emplois en induit 2 ou 3 chez les sous-traitants.
Pour accompagner cette croissance, nous menons une politique volontariste de formation. Nous avons ainsi créé un campus européen à Aix-en-Provence, pour nous et nos clients. Nous faisons beaucoup pour la formation en alternance : 3 000 personnes sont formées en alternance chez Areva et nos sites comptent de 3 % à 5 % d'apprentis.
Dans le même temps, nous investissons beaucoup en recherche et développement : ils se sont établis à 8 % de nos revenus en 2008, en augmentation de 80 % en trois ans. Là aussi, nous faisons le pari de la technologie sur le long terme.
L'État actionnaire s'y retrouve-t-il ? Certes, puisque Areva a distribué plus de 3,6 milliards d'euros depuis sa création en 2001. Et, entre 2001 et 2008, le taux de rendement réinvesti du certificat d'investissement est de 16,7 % – l'un des meilleurs. Tout s'est fait avec l'actionnaire et dans l'intérêt de l'actionnaire.
Si, pendant très longtemps, nous avons autofinancé tous nos investissements, nous ne pouvions continuer à ce rythme tout en conservant notre indispensable notation « A ». Deux solutions s'offraient donc à nous : freiner nos investissements, avec les conséquences négatives que cela aurait pour notre activité ; ou décider une augmentation de capital pour accompagner notre développement, une opération à laquelle toutes les autres grandes entreprises françaises ont procédé au cours de la dernière décennie.
Le 30 juin dernier, le conseil de surveillance a donc validé la stratégie d'Areva fondée sur le modèle intégré du nucléaire et sur la complémentarité entre énergie nucléaire et énergies renouvelables. Pour accompagner le développement de l'entreprise, il a décidé de lui permettre de renforcer ses moyens en ouvrant son capital à des partenaires stratégiques et industriels ; en procédant à la cession de participations minoritaires – ce que nous faisions déjà depuis un certain temps – et à celle de sa filiale T&D ; en poursuivant le programme d'entrée de minoritaires au capital de certains actifs stratégiques en contrepartie de contrats de très long terme – c'est une façon pour ces actionnaires de sécuriser leur investissement, de devenir des actionnaires privilégiés, et pour nous d'obtenir du cash ; en définissant un programme d'optimisation de la dette avec le lancement d'obligations à sept et quinze ans – lesquelles ont été souscrites en un quart d'heure.