Madame la ministre, je souhaite vous parler de dettes et de déficits.
Le Figaro de l'économie titrait aujourd'hui : « Europe : les déficits français stigmatisés ». Et le sous-titre était : « Les Vingt-sept – dont vous-même, j'imagine – sont tombés d'accord, hier, pour revenir à la discipline budgétaire à partir de 2011. »
« Cet exercice s'annonce périlleux, sinon impossible pour la France » peut-on lire dans cet article qui table sur un déficit record de 8,2 %, avant 8,5 % en 2010.
La mise en garde lancée dès lundi soir par M. Juncker, le patron de l'Eurogroupe, visait donc une cible bien identifiée : « Si un ou deux pays, surtout s'ils sont grands, s'éloignent d'une politique budgétaire vertueuse, des États plus petits auraient les plus grandes difficultés à expliquer à leur opinion pourquoi s'astreindre à la discipline commune. » Le risque, en clair, est une sortie de crise européenne en ordre dispersé.
L'Union européenne s'alarme de nos déficits, mais nombreux sont ceux qui font de même dans les rangs de votre majorité. Il s'est d'ailleurs produit un événement exceptionnel ce matin, puisque la commission des finances a refusé de donner son avis sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale en raison de l'abstention de la rapporteure, dont je salue le courage politique.
Une telle attitude est en rapport avec le niveau inégalé des déficits sociaux – près de 25 milliards d'euros en 2009, autour de 30 milliards d'euros de 2010 à 2013 selon les prévisions exposées dans l'annexe B du PLFSS – malgré les prévisions optimistes d'une masse salariale privée qui augmenterait de 5 % à partir de 2011, prévisions particulièrement irréalistes puisque, entre 2000 et 2007, la masse salariale n'a cru que de 3,7 % par an alors que la croissance était forte entre 2000 et 2002. La croissance potentielle de la France est estimée à 1,3 % par la Commission européenne et à 1,7 % par le Gouvernement. Même avec ces hypothèses irréalistes, si ce n'est insincères, le déficit cumulé du régime général devrait se situer, fin 2012, à 125 milliards d'euros, soit presque autant que la dette reprise par la CADES depuis sa création, à savoir 135 milliards d'euros. En quatre ans, le Gouvernement aura accumulé autant de dettes sociales que les précédents en douze ans !
La sécurité sociale sera en banqueroute en 2011. L'autorisation de découvert proposée pour l'ACOSS – 65 milliards – atteint un niveau record et montre que ses besoins de trésorerie sont susceptibles de déraper. L'ACOSS couvrira ceux-ci par des avances de la Caisse des dépôts et consignations à hauteur de 30 milliards, et surtout en portant son programme d'émission de billets de trésorerie à un niveau record, qui en fera un des plus grands émetteurs sur le marché européen.
Le financement de la sécurité sociale par voie de billets de trésorerie aura alors atteint ses limites techniques : l'ACOSS ne pourra financer par cette voie le déficit de 2011. Elle pourrait même être en cessation de trésorerie dès 2010 si le marché des billets de trésorerie se tarissait ! Et elle sera exposée au risque de taux si ceux-ci devaient repartir à la hausse. Dès lors, sous peine d'exposer les organismes de sécurité sociale à une situation de cessation de paiement, le Gouvernement devrait nous dire quelles sont ses perspectives de solutions.
Madame la ministre, souhaitez-vous transférer les dettes de l'ACOSS à la CADES, avec de nouvelles ressources pour celle-ci comme l'exige la loi organique ? Il faudra alors, contrairement au dogme gouvernemental de stabilité des prélèvements obligatoires, créer de nouvelles ressources.
Ou bien voulez-vous remettre en cause l'intégralité de notre système de protection sociale de façon brutale, après l'avoir vanté comme remarquable amortisseur de crise au cours des derniers mois ?
Ou bien, enfin, allez-vous recourir à un expédient comme la reprise de dettes par l'État ou un transfert de dettes à une nouvelle caisse d'amortissement ? Cet artifice permettant de contourner la loi organique constituerait un aveu d'échec du dispositif de maîtrise des déficits sociaux mis en place à partir du « plan Juppé ».
Cette situation rend plus insupportables que jamais les dispositifs d'exonération injustes et inefficaces, notamment sur le plan fiscal ou sur celui des niches sociales, ainsi que les 20 milliards d'euros de cadeaux fiscaux consentis aux plus privilégiés depuis 2002, qui ont creusé encore les inégalités de revenus et de patrimoines. Ces inégalités, pourtant mortelles pour notre pacte social républicain, ne seront corrigées ni par le projet de loi de finances pour 2010 ni par le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010. Aussi le groupe socialiste votera-t-il contre ces textes. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)