Je vous remercie de l'opportunité que vous m'offrez chaque automne de pouvoir vous présenter un point de situation sur l'armée de terre, et de vous faire part de mes éléments d'appréciation sur le projet de loi de finances.
Tout en s'acquittant, et de belle manière, de toutes les missions opérationnelles qui lui sont confiées, l'armée de terre s'est engagée depuis maintenant plus d'un an dans la réorganisation annoncée à l'été 2008. Consciente de la portée de la crise économique, elle mesure la constance des moyens consentis par notre pays pour sa défense, confortée en cela par l'adoption de la loi de programmation militaire du 29 juillet 2009.
Destinée à retrouver d'indispensables marges de manoeuvre, cette transformation de grande ampleur représente un effort considérable. En effet, elle constitue tout à la fois et simultanément un rééquilibrage des capacités opérationnelles – sans qu'elle en abandonne aucune, conformément au Livre blanc –, une adaptation des ressources humaines, une évolution de l'organisation et du plan de stationnement, mais aussi la modification en profondeur des processus de fonctionnement, tout en conduisant le renouvellement des équipements et, bien sûr, en assumant nos engagements opérationnels.
2010 sera l'année charnière qui verra l'armée de terre véritablement basculer vers son nouveau format, dans la continuité des mesures prises en 2009. C'est un point de non-retour qui sera alors atteint.
Au vu des financements mis à ma disposition dans le cadre du projet de loi de finances, j'estime avoir globalement les ressources strictement indispensables à la préparation des opérations et à la conduite de la réforme, mais je reste préoccupé par les ressources attendues pour le programme 212, qui concernent essentiellement l'infrastructure.
De façon désormais traditionnelle, je me propose, à travers le prisme budgétaire, d'évoquer les problématiques liées aux ressources humaines, à la réorganisation, aux équipements et, enfin, à la préparation opérationnelle.
La manoeuvre des ressources humaines en 2009 a impliqué la déflation des effectifs à hauteur de 3 630 personnels et le transfert vers d'autres budgets opérationnels de programme (BOP) de 1 030 personnels, sans qu'aient été constatées à ce stade de difficultés majeures. Nous devrions aborder 2010 dans des conditions satisfaisantes, grâce en particulier aux 60 millions d'euros consacrés à l'incitation aux départs et à l'accompagnement des restructurations. Il est en effet impératif de favoriser un allégement du sommet de la pyramide si l'on veut maintenir le flux de recrutement et de formation de soldats jeunes dont ont besoin nos régiments.
Le cadencement de la déflation des effectifs est inscrit en LPM, et je remercie la représentation nationale d'avoir bien voulu prendre en compte cette préoccupation forte qui était la mienne l'année dernière. Il donne à l'armée de terre la visibilité indispensable pour conduire humainement la déflation, il permet de préserver l'équilibre entre flux de départ et de recrutement, et il garantit in fine la capacité opérationnelle des unités.
Je relève qu'avec, en 2010, plus de 7 milliards d'euros – pensions comprises – consacrés à la masse salariale, je dispose a priori des ressources pour financer les effectifs et les mesures prévues d'amélioration de la condition militaire – soit plus 37 millions d'euros –, pour rendre plus lisibles et plus attractifs les parcours professionnels, et pour opérer la suppression de 3 600 postes – dont, il faut le souligner, 67 % dans l'administration générale et les soutiens communs, conformément aux orientations de la révision générale des politiques publiques (RGPP) – et le transfert de 3 800 autres. Au total, le BOP terre, c'est-à-dire l'armée de terre stricto sensu, perdra 7 400 postes en 2010 sur une déflation totale de plus de 43 000 postes programmée d'ici le terme de la réorganisation en 2014 : 24 000 imputables à des réductions d'effectifs – soit 14 000 au titre de la RGPP et 10 000 à celui des réductions capacitaires découlant du Livre blanc – et plus de 19 000 par transfert vers d'autres BOP.
Il convient de relever enfin, dans le domaine des ressources humaines, le coût quantitatif, qualitatif et financier de notre participation pleine et entière aux structures de commandement militaire intégré de l'OTAN qui s'étalera sur quatre ans, de 2009 à 2012, pour un total de 571 postes, dont l'attractivité dépendra très largement des conditions de vie faites à notre personnel muté à l'étranger. Les premières affectations réalisées au cours de l'été dernier seront analysées afin de rectifier tout dysfonctionnement notamment en matière d'accompagnement familial.
L'armée de terre a déjà réalisé les réorganisations prévues en 2009. Elles ont eu pour objet, pour les plus marquantes d'entre elles, la dissolution de deux états-majors opérationnels – le commandement de la force logistique terrestre et une brigade logistique – et de quatre régiments, le transfert à Haguenau du 2e régiment de hussards de Sourdun, le regroupement au sein des « Écoles militaires de Bourges » des écoles du train et du matériel, et la fermeture de neuf garnisons en métropole.
L'année 2010 sera plus complexe. En effet, il s'agira de dissoudre quatre états-majors opérationnels et d'en transférer quatre, de dissoudre quatre régiments et d'en transférer trois, de déménager deux écoles – dont l'école d'infanterie à Draguignan – enfin, de fermer six garnisons.
L'enveloppe de 697 millions d'euros consacrée aux activités et au fonctionnement courant équivaut comme d'habitude à environ 10 % de la masse salariale. Elle permettra de répondre aux besoins, même s'il convient de rester vigilant sur les risques liés aux surcoûts des déménagements et à la réalité des hypothèses d'inflation retenues. En effet, en période de réforme d'envergure, les ressources de fonctionnement doivent impérativement être préservées. La somme d'1 million d'euros n'a pas la même signification en fonctionnement courant qu'en équipement : l'impact positif ou négatif est immédiat, tant sur le moral que sur la bonne réalisation des restructurations.
Dans le domaine de l'infrastructure, l'armée de terre avait exprimé un besoin de 351 millions d'euros au titre des opérations directement liées aux réorganisations, 2010 étant l'année cruciale. Il devrait être globalement satisfait, mais une fois encore au détriment de l'entretien programmé qui sera limité pour l'essentiel aux travaux de mise aux normes et de sécurisation. Il en résulte un manque de visibilité et un décalage préoccupant entre les ressources envisagées et les besoins d'entretien du patrimoine – évalués en 2010 à 300 millions d'euros –, risque accentué par les reports de programmation de 2009. C'est la réserve que j'exprimai en introduction.
J'aborde maintenant les équipements. Conformément aux priorités à accorder aux forces terrestres inscrites dans le Livre blanc et traduites en LPM, et en cohérence avec la réalité de nos engagements opérationnels, 2009 a été une année exceptionnelle marquée par la prise de commandes majeures, dont celle, globale, de 332 véhicules blindés de combat d'infanterie (VBCI) et celle, groupée, de la totalité des FELIN restants, soit 16 454. Ces commandes concrétisent l'indispensable renouvellement des matériels terrestres, le troisièmed'ampleur depuis la fin de la deuxième guerre mondiale.
Les commandes et livraisons attendues en 2010 s'inscrivent dans le droit fil de cette régénération d'ensemble de l'outil de combat.
Les commandes concernent 22 lance-roquettes unique (LRU), suite à l'interdiction des roquettes à sous-munitions, et la seconde tranche de 252 roquettes, 76 postes de tirs et 380 missiles à capacités de tir à partir d'espace confiné et « tire et oublie » en attente du nouveau missile moyenne portée, 1 500 parachutes, 100 missiles sol-air MISTRAL rénovés, 200 camions logistiques protégés, 187 petits véhicules protégés (PVP) et la rénovation de 3 COUGAR. Enfin, un effort particulier est consenti pour la protection des vecteurs logistiques.
Les livraisons attendues concernent 99 VBCI – les 630 en cible sont tous commandés –, 7 TIGRE sur 80 envisagés, 34 CAESAR sur 141 prévus, 3 107 FELIN sur 22 588 demandés, 340 PVP au lieu de 154, grâce au plan de relance, sur 1 500 en cible, sans oublier les équipements en système d'information et de communication (SIC) dont la conduite d'opérations interarmes, interarmées et interalliées en Afghanistan nous confirme le caractère indispensable.
Je souligne que, sitôt arrivés dans les forces, les équipements neufs sont mis en service et déployés sur les théâtres d'opérations, une fois bien sûr conduits les six mois de mise en condition opérationnelle du personnel avec son matériel. Nous avons ainsi engagé à l'été des hélicoptères TIGRE et des canons CAESAR en Afghanistan, et nous préparons l'envoi du PVP, du VBCI et de FELIN. Tous ces matériels viennent en effet satisfaire des besoins opérationnels avérés, que confirme l'amélioration remarquable des capacités des forces terrestres constatée dès l'emploi de ces nouveaux équipements sur les théâtres.
Avec 550 millions d'euros, l'entretien programmé du matériel reste le principal poste de dépense après les salaires. Dans la continuité de celui entrepris en 2009, cet effort devrait permettre une disponibilité technique supérieure à 90 % sur les théâtres, et juste suffisante en métropole pour conduire l'entraînement compatible avec nos contrats opérationnels. À enveloppe constante, l'effort ne peut être porté partout au même niveau, notamment à l'arrière sur le territoire national, ce que comprend parfaitement le personnel.
Compte tenu de l'augmentation continue des coûts de maintenance d'équipements vieillissants ou bénéficiant a contrario des dernières technologies, le maintien en condition opérationnelle (MCO) des matériels sera la préoccupation majeure pour les années à venir, car nous n'avons pas d'autre choix que de nous donner les moyens d'entretenir des équipements de plus en plus sollicités. Le MCO n'est pas une action résultant d'un évènement malheureux dans la vie d'un équipement, il est consubstantiel à l'existence de ce matériel.
L'armée de terre s'est donc engagée depuis 2008 dans une démarche résolue pour contenir les coûts de MCO, en lançant une nouvelle politique d'emploi et de gestion des parcs. Son acceptation est toujours difficile car elle rompt avec des habitudes, mais les personnels peuvent constater qu'ils disposent de ce qu'il faut lors de l'entraînement comme des engagements opérationnels. La formation et l'entraînement ont été organisés en conséquence, en faisant de plus en plus appel à des équipements de substitution, les chars Leclerc, par exemple, étant particulièrement contraignants en termes de MCO.
2010 sera marquée par la réforme de la gouvernance de la maintenance, avec la création au 1er janvier de la structure intégrée de maintien en condition des matériels terrestres – la SIMMT, maître d'ouvrage délégué de chacune des armées –, et du service de la maintenance industrielle terrestre – le SMITER, maître d'oeuvre – organisation symétrique à celle du MCO des matériels aériens.
La rationalisation des implantations des unités dédiées à la maintenance sera poursuivie en 2010 avec la réduction de 61 à 24 emprises à terme, permettant in fine une diminution de 22 % du personnel consacré à cette fonction, donc un gain en masse salariale de l'ordre de 170 millions d'euros qui couvre largement le surenchérissement de 14 % du MCO attendu en fin de LPM, soit 85 millions d'euros.
L'armée de terre fait donc déjà tout son possible pour contenir les coûts de MCO. Mais cette préoccupation doit maintenant être mieux prise en compte par les industriels qui doivent s'attacher à proposer leurs services à des rapports coût efficacité réactivité acceptables.
Enfin, s'agissant des équipements, l'armée de terre entreprendra un effort particulier en 2010 dans deux domaines. Il est tout d'abord urgent de poursuivre la reconstitution des stocks de munitions : les autorisations d'engagement augmenteront de plus de 30 % en 2010, passant de 69 millions d'euros en 2009 à 98 millions d'euros en 2010. Ensuite, 153 millions d'euros d'autorisations d'engagement seront consacrés à l'entretien programmé du personnel : ils permettront de poursuivre la montée en gamme du paquetage du combattant, dont l'ergonomie sera améliorée, ainsi que les efforts ciblés déjà entrepris dans le domaine de la protection individuelle. Il s'agit là pour moi d'un effort absolument prioritaire compte tenu de son impact immédiat sur le moral de nos hommes et de leurs familles, donc sur leur capacité opérationnelle et sur la solidité des bases arrières. Il faut aujourd'hui entrer dans une logique de stocks tournant très rapidement et permettant de s'adapter à l'évolution permanente des équipements.
Avant de conclure, je terminerai par l'engagement opérationnel et sa préparation. Nous avons connu un allégement de nos dispositifs sur plusieurs théâtres, ramenant notre charge de projection annuelle à environ 36 000 hommes, ce qui constitue finalement, mais sur un tempo bien évidemment différent, l'équivalent de notre contrat de projection du Livre blanc qui est de 30 000 + 5 000 hommes.
Nous avons 8 000 hommes en opérations contre 10 000 en début d'année, 4 000 en mission de présence et de souveraineté, 5 800 en alerte guépard et 1 000 hommes déployés sur le territoire national essentiellement dans le cadre du plan Vigipirate. L'augmentation de 60 millions d'euros de la dotation pour les OPEX permettra de mieux couvrir les surcoûts et continuera d'alléger la contrainte qui pèse traditionnellement sur la fin de gestion.
L'armée de terre combat au quotidien en Afghanistan. Le durcissement de cette opération depuis un an et demi confirme le bien-fondé de toutes les démarches entreprises depuis 2007 pour adapter nos dispositifs, nos matériels et notre préparation opérationnelle. Plus de 200 millions d'euros ont été consacrés à l'adaptation de nos équipements depuis 2008, avec une implication totale de l'état-major des armées (EMA) et une réactivité de la Direction générale de l'armement (DGA) qu'il me plaît de souligner. L'effort sera poursuivi en 2010. Contrairement à certaines armées étrangères, nous ne comptabilisons que ce que nous faisons en plus des programmes, par exemple en matière de blindage. Ainsi, intégrer dans cette facture l'engagement du programme CAESAR n'aurait pas de sens.
L'engagement sur sept théâtres principaux – Tchad, République de Côte-d'Ivoire, République Centrafricaine, Kosovo, Afghanistan, Liban, ainsi que l'opération Harpie en Guyane – entraîne une dispersion dont nous devons payer le prix. Avec par exemple 2 500 véhicules dont 1 000 blindés déployés en opérations, c'est-à-dire l'équivalent du matériel de dix régiments, elle est coûteuse sur le plan du soutien logistique, notamment en MCO, en raison de la grande ventilation des compétences et des lots d'outillage : que l'on déploie deux hélicoptères ou dix, le même nombre de spécialistes est nécessaire.
Quelles que soient les perspectives d'engagement, tous nos régiments doivent pouvoir conduire une formation initiale standardisée de qualité, s'entraîner aux missions communes de l'armée de terre et, bien entendu, se préparer à tout engagement générique dans leur coeur de métier. Seule la mise en condition à la projection pour la mission du moment fait l'objet d'une préparation opérationnelle différenciée, adaptée à chaque théâtre d'engagement. Nous ne construisons pas une armée à plusieurs vitesses : la formation initiale est la même, tous les régiments sont formés à l'engagement générique prévu dans le Livre blanc, avec un effort ciblé ensuite en fonction de l'engagement opérationnel à venir. Une unité envoyée en Guyane ne sera pas formée comme une unité engagée en Afghanistan. Les 133 millions d'euros du projet de loi de finances permettront de financer cet effort.
Sur tous les théâtres, notamment en Afghanistan, nos soldats reconnaissent qu'ils sont bien préparés et que la qualité de cette préparation constitue la meilleure protection. Comme les années précédentes, les ressources consacrées à la préparation opérationnelle, qui ne représentent finalement que 1,5 % du BOP terre, mais qui ne recouvrent que le carburant afférent, les dépenses diverses d'instruction, les transports d'instruction et l'indemnisation des déplacements, sont donc préservées. A ce niveau, elles ne peuvent plus être une variable d'ajustement budgétaire. Les munitions, l'usure des équipements et les autres charges sont comptabilisées par ailleurs.
Sous réserve que la fin de gestion 2009 s'effectue dans de bonnes conditions, l'armée de terre aborde 2010, année cruciale de sa transformation, avec les ressources strictement nécessaires. S'inscrivant dans la dynamique créée par le décret 2005-520, l'entrée en vigueur du décret 2009-869, fixant les attributions du chef d'état-major des armées et des chefs d'état-major d'armée, ne pose aucun problème particulier.
Elle dispose à strict niveau de suffisance des ressources pour réaliser les multiples et difficiles réorganisations qu'elle conduit, tout en assurant l'ensemble des missions opérationnelles qui lui sont fixées.
Elle s'engage résolument dans le processus d'interarmisation et de rationalisation des soutiens, dont la mise en place rapide implique d'ores et déjà un transfert vers d'autres BOP d'une partie de ses effectifs, donc de la charge de déflation qui y est attachée. Le rythme annuel de déflation de ses effectifs devra être réduit d'autant si l'on souhaite préserver la cible finale de 94 000 militaires et 9 000 civils pour le seul BOP terre – l'armée de terre au sens strict. Il importe donc qu'un suivi normalisé et notarié de ces transferts soit mis en oeuvre si l'on veut éviter qu'une fois de plus, les forces ne paient plus que de raison une déflation qui doit porter sur l'administration générale et les soutiens communs. Je rappelle que l'objectif premier de la réforme est bien de réduire le ratio soutenants - soutenus.
Le Livre blanc a souligné l'effort initial à consentir au profit des forces terrestres ; les événements confortent cette analyse. La LPM et le PLF 2010 devraient en conséquence permettre de donner le meilleur possible aux soldats qui remplissent au péril de leur vie les missions qui leur sont confiées. Ils l'attendaient ; ils constatent que cet effort est réel et ils y sont sensibles.