Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous savons tous que les hommes ne sont pas égaux à l'état de nature, mais ils ne le sont, hélas, pas plus dans nos civilisations. L'actuelle crise financière et économique est un fabuleux révélateur des inégalités de notre société. Pour près d'un million de Français, c'est le chômage ou la menace du chômage. Pour les dirigeants mandataires sociaux de sociétés cotées, ce sera une baisse infime, insensible de la plus-value sur l'exercice de leurs stock-options. Les dirigeants de banques et les traders devraient même accroître leur rémunération grâce aussi aux liquidités bon marché introduites par l'État. Cette situation semble pour le moins paradoxale au simple député que je suis ; cela ne choque, en revanche, nullement le monde de la finance ou la présidente du MEDEF !
Au cours des dix dernières années, les dirigeants de sociétés cotées ont vu leur rémunération progresser de 15 % par année, alors que, dans le même temps, le pouvoir d'achat des salariés stagnait. Alors que, dans années soixante-dix, le rapport de rémunération au sein des grandes sociétés était d'un à vingt, il est passé depuis dix ans d'un à 300 ! Le gouffre, que je dénonce, est vertigineux et scandaleux.
L'ampleur de la crise financière, puis économique, a démontré que l'autorégularisation du marché était une imposture. Elle plonge dans la détresse 100 000 chômeurs de plus par mois. Le taux de chômage sera, en 2010, supérieur à 10,5 %, et plus de 3,5 millions de nos concitoyens seront « laissés sur le carreau ». Ce contexte a conduit les gouvernements, même les plus libéraux, à mener des politiques interventionnistes. Malheureusement, l'essentiel des fonds des plans de relance a pour objectif d'amoindrir les effets des erreurs de gestion et de la spéculation irresponsable des établissements bancaires. Seule, une faible part sera orientée vers les ménages et la stimulation de la demande.
Pour crédibiliser son action, le Gouvernement a créé un ministère spécifique et fait adopter un plan de 30 milliards d'euros destinés à être injectés dans la finance et l'économie. Les premiers établissements à bénéficier de ces fonds publics furent les banques pour un montant total de 10,5 milliards en titres super-subordonnés ; on sait ce que cela signifie, quand on connaît le remboursement auquel a procédé la BNP et tout l'argent que l'État a perdu et qu'il aurait pu utiliser. À ce montant, s'ajoutent 33 milliards de prêts via la Société de financement de l'économie française. À titre de comparaison, ces montants cumulés représentent parfois plus du quart de la valeur des établissements bénéficiaires. Mais le Gouvernement a refusé les prises de participation directe qui lui auraient conféré une véritable autorité dans la direction de l'entreprise.
Les banques ne furent pas les seules bénéficiaires. Le Fonds stratégique d'investissement doté de 22 milliards d'euros est intervenu en faveur de chantiers navals et d'équipementiers automobiles. Enfin, un nouveau pacte automobile concernant l'ensemble de filière verra la distribution de 6,5 milliards d'euros. Pour quel résultat ? Je prendrai l'exemple de la société Nexans située dans ma circonscription qui a bénéficié, voici quelques mois, de 58 millions d'aides de la part du Fonds d'intervention stratégique. En guise de récompense, elle a fermé deux usines à Chauny, Nexans Wire et NCF, deuxième coulée de cuivre d'Europe, et « mis sur le carreau » 230 salariés ! Je vous laisse réfléchir et vous me direz ce que vous en pensez.
L'ensemble de ces mesures de relance économique en faveur des entreprises creusera le déficit public qui atteindra 100 milliards d'euros en 2009. C'est un record depuis quinze ans. Ces milliards d'euros injectés atténueront les pertes et les erreurs de gestion pour éviter l'effondrement du système financier et économique. Il est hors de question de remettre cela en cause. Cet effort particulier demandé au contribuable français ne saurait être imposé en pure perte. Le caractère public des fonds investis suppose une contrepartie. La première devrait être la réduction des privilèges les plus exorbitants.
Depuis le début de la crise, la France n'a pris aucune mesure importante pour juguler ces comportements excessifs. Il est certain que le Président de la République et le Gouvernement se sont répandus en discours plus volontariste les uns que les autres, mais il n'y a rien dans les faits. En revanche, nos voisins, même les plus libéraux, ont agi. Les Allemands ont plafonné les salaires à 500 000 euros ! les Pays-Bas ont surtaxé les primes au-delà d'un certain seuil. La Belgique a limité les indemnités de départ et les États-Unis ont interdit les parachutes dorés et plafonné à 500 000 dollars les rémunérations hors titre.
Aucune de ces mesures n'est révolutionnaire, mais elles permettent toujours de rétribuer les dirigeants d'entreprise en cherchant à limiter les abus. La proposition de loi du groupe SRC porte les mêmes ambitions. Elle n'est pas révolutionnaire, mais tend à remettre ces dirigeants cupides sur les rails de la raison.
À ce jour, les engagements de la part des entreprises bénéficiaires sont quasiment inexistants. L'État est intervenu pour sauver ces entreprises qui, par définition, se trouvaient en difficulté. Il serait alors totalement incompréhensible que ces mêmes entreprises, remises sur pied, distribuent des primes et bonus à leurs dirigeants dont la gestion catastrophique fut à l'origine de l'intervention de l'État. Il serait inacceptable que l'argent public injecté se retrouve, par un tour de passe-passe, dans les poches des dirigeants !
Or les dirigeants français ne l'entendent pas ainsi. Les primes, bonus et stock-options pleuvent pour les récompenser de la qualité de leur travail. Le MEDEF affirme qu'il refuse par principe de faire adopter une charte moralisant la part variable de rémunération des cadres dirigeants. Cela a au moins le mérite d'être clair même si c'est cynique. Dans le même temps, le PDG de Valeo vient de bénéficier de 3,3 millions d'euros de golden parachute alors qu'il était remercié en raison des « performances » de son groupe. Aux États-Unis, un assureur renfloué par l'État à hauteur de 170 milliards a distribué 228 millions de dollars aux cadres dirigeants. La Chambre des représentants a su réagir. Sa présidente a dit qu'elle voulait récupérer l'argent pour les contribuables.
Il faut en toute circonstance avoir le courage de s'élever contre de telles injustices, et le contribuable français doit lui aussi récupérer les sommes versées à des structures qui ne mesurent ni l'étendue de leur incompétence ni l'effort consenti en leur faveur.
La proposition adoptée en première lecture par la Chambre des représentants impose une taxation à hauteur de 90 % des bonus versés par des entreprises ayant bénéficié d'importantes aides publiques. Il serait judicieux de renforcer la cohésion des États dans leur lutte contre ces abus. Ainsi, les dirigeants les plus cupides ne pourraient que plus difficilement faire jouer la concurrence entre les systèmes juridiques des États.
J'avais moi même déposé une proposition de loi qui permettait, de façon analogue, d'imposer une taxation exceptionnelle de 90 % à tous les bonus, primes ou rémunérations variables supérieurs à 200 000 euros versés par les entreprises ayant bénéficié d'aides publiques via le plan de relance.
La proposition de loi SRC est différente mais poursuit le même objectif de limitation des rémunérations excessives des dirigeants d'entreprise. Comment, en période de crise et de licenciements massifs, justifier que des dirigeants s'octroient 47 millions d'euros pour M. de Castries, PDG d'Axa, 91 millions d'euros pour M. Arnault, PDG de LVMH, et, pour quelqu'un qui joue petit bras, 5,5 millions d'euros pour M. Forgeard, mis en examen pour délit d'initié. Tous ces dirigeants ont perçu entre 1 500 et 9 000 années de SMIC sous forme de stock-options, golden hello, parachutes dorés, retraites chapeaux et salaires.
L'indécence des rémunérations de quelques privilégiés porte aussi préjudice à la majorité des mandataires sociaux et dirigeants d'entreprise qui prennent des risques, s'investissent et sont rémunérés correctement mais sans excès.
La proposition est bien construite, et je suis particulièrement satisfait de la rédaction de l'article 3, qui impose aux entreprises de prendre comme base de calcul de la rémunération des dirigeants le salaire le plus faible pratiqué dans l'entreprise, auquel s'appliquerait un coefficient multiplicateur. J'avais par amendement proposé un tel dispositif, considérant que ce mécanisme permettrait de savoir combien de fois les dirigeants estiment être plus productifs que la personne la moins payée de l'entreprise.
Mes chers collègues, si nous souhaitons préserver une forme de paix sociale, il nous faut à tout prix mettre un terme aux injustices et inégalités les plus flagrantes et les plus frappantes. Or, aujourd'hui, l'écart des rémunérations ne cesse de s'accroître entre les plus indécentes, celles des dirigeants, et les plus indigentes, celles des citoyens.
Je soutiens donc cette proposition qui vise à corriger un déséquilibre qui pourrait, à terme, miner définitivement le sentiment que nous faisons partie de la même société et qui pourrait faire se rompre un lien social que votre politique continue de fragiliser dangereusement.