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Intervention de Henri Emmanuelli

Réunion du 15 octobre 2009 à 15h00
Rémunérations des dirigeants d'entreprises et des opérateurs de marché — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHenri Emmanuelli :

Même si la responsabilité du Gouvernement est collective, je reconnais, monsieur le secrétaire d'État, que vous n'êtes pas à l'origine d'une telle évolution ; quoi qu'il en soit, je doute fort qu'elle perdurera. Nous sommes à mi-mandat, et cela commence à se sentir. Depuis vingt-quatre heures, il se passe en commission des finances des choses intéressantes, puisque certains parlementaires de la majorité commencent à trouver l'addition un peu lourde.

S'agissant des rémunérations excessives, Pierre-Alain Muet avait déjà déposé, le 30 avril dernier, un texte qui fut traité par le mépris le plus total. Nous récidivons aujourd'hui, comme c'est notre devoir et notre responsabilité. Je mesure néanmoins la difficulté d'une telle tentative : les chiffres que nous évoquons sont tellement énormes que, pour 90 % de nos concitoyens, ils ne signifient plus rien. Nos concitoyens ne peuvent concevoir ce que représentent les millions d'euros touchés par certains dirigeants – car il s'agit bien d'euros, les chiffres devant être multipliés par 6,5 pour une conversion en francs. Quand ils comparent de telles sommes à celles de leur quotidien, ils doivent vraiment se demander de quoi on parle ; c'est, me semble-t-il, ce qui explique que de tels scandales perdurent. Si nos concitoyens les mesuraient vraiment, les conséquences seraient lourdes.

M. Muet l'a rappelé, nous traversons une crise dont les conséquences, en tout cas sociales, sont loin d'être derrière nous : augmentation du chômage, précarisation et multiplication des travailleurs pauvres. Puisque vous étiez déjà de corvée ce matin, monsieur le secrétaire d'État, nous avons évoqué avec vous le surendettement de nombreux ménages français ; à cet égard, refuser d'encadrer le crédit revolving revient à labelliser les excès du système financier à l'origine de la crise.

Au moment où une majorité de Français sont dans la difficulté, vous persistez dans vos choix.

M . Pierre-Alain Muet a rappelé à l'instant ce qu'avait été l'évolution des revenus dans notre pays : quasiment nulle depuis 2002 pour les salariés. En revanche, pour les 3 500 ménages les plus aisés, le taux de croissance des salaires est de 51% sur la dernière décennie ; il est seize fois plus important que celui des salaires de la grande majorité de la population, qui augmente de 3% seulement. Dans ces conditions, il n'est pas étonnant qu'ensuite, pour faire tourner la chaudière, il faille lâcher les vannes du crédit et aboutir aux excès, aux bulles spéculatives que nous avons connues et dont nous avons pu mesurer les conséquences. Pierre-Alain Muet ayant rappelé ces chiffres, je ne vais pas les citer à mon tour.

J'en viens, monsieur le secrétaire d'État, à vos proclamations et à celles de M. Houillon. Avouez qu'il faut une certaine audace pour déclarer aujourd'hui à cette tribune que le monde entier est en admiration devant les propositions de notre Président de la République au G20 ! Pour ma part – mais peut-être suis-je mal informé –, je n'ai vu sur le net que des vidéos démontrant au contraire que nous étions la risée du monde entier sur certains sujets qui font aujourd'hui l'actualité et sur lesquels je ne m'étendrai pas… Permettez-moi de vous dire que si la moralisation du capitalisme passe par le mode de désignation à l'EPAD, nous n'avons pas fini de faire rire, non seulement dans notre pays, mais sur la planète tout entière ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Franchement, monsieur Houillon, il faut le faire ! Mais je n'insisterai pas, car je sais ce qu'en pensent la plupart des parlementaires de la majorité, même s'ils se croient tenus à une obligation de silence ou de réserve. Et là, pour le coup, il y en a, des réserves obligatoires, plus que dans le système bancaire ! (Sourires sur les bancs du groupe SRC.)

S'agissant du G20, monsieur le secrétaire d'État, on se moque des gens lorsqu'on dit, par exemple, que l'on va limiter la rémunération des traders. La plupart des Français s'imaginent – les malheureux ! – que si l'on limite la rémunération des traders, cela leur rapportera quelque chose. Pas du tout ! Cela augmentera seulement les bénéfices de la banque. Sachant ce que sont les méthodes de gestion d'une banque, pour les avoir autrefois un peu côtoyées, je peux vous dire qu'il existe trente-six moyens de rémunérer un cadre de façon que les actionnaires l'ignorent, et parfois même le fisc. Vous le savez aussi bien que moi, 50% des transactions financières passent par des paradis fiscaux. Allez donc fouiller pour savoir ce qui se passe ! On se moque de nous.

De même, lorsqu'on prétend limiter dans le temps ou obliger un paiement sur trois ans, si l'on donne 100 de rémunération à un trader, en lui demandant de ne prendre que 33 la première année parce qu'on lui ouvre un crédit de 70% ou encore parce qu'on lui donne des actions, il a intérêt à attendre ! Non seulement ce sera bénéfique pour lui, mais il ajoutera la plus-value mobilière à sa rémunération de trader. Tout cela n'est pas sérieux !

Tant que vous citerez pas de chiffres, vous contentant d'évoquer des principes, vous ne serez pas crédible. Certains pays ont donné des chiffres : pour sa part, M. Obama l'a fait. Pour être honnête, je ne sais pas où en est aujourd'hui la procédure, si elle est venue en débat devant le Sénat aux États-Unis, mais au moins, M. Obama a eu le courage de donner des chiffres. L'Allemagne a pris des dispositions concrètes, les Pays-Bas ont voté des textes pour fiscaliser les bonus des traders s'il dépassait un certain montant. En France, rien n'a été fait : on se contente de demander des rapports à M. Jouyet et à l'AMF – l'autorité des marchés financiers. Puis, on s'en remet à l'AFEP – l'association française des entreprises privées – et au MEDEF pour réglementer les salaires des patrons. Ce n'est pas sérieux !

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