La décision par laquelle le Conseil d'État ou la Cour de cassation renvoie une question au Conseil constitutionnel n'a pas besoin d'être motivée : le renvoi suffit à attester que, aux yeux de la juridiction suprême contestée, les conditions énoncées par la loi organique sont réunies. Il n'y a donc aucune nécessité, ni même utilité, d'en dire plus.
En revanche, si la décision est de refuser le renvoi, il semble à la fois légitime et utile que le justiciable sache, au moins sommairement, quelle condition n'était pas présente là où, par hypothèse, il s'était trouvé au moins un juge d'un niveau inférieur pour penser le contraire.
Nous touchons, me semble-t-il, au coeur de la faille du dispositif imaginé, dont je souligne au demeurant qu'il n'existe nulle part ailleurs – sans doute est-ce une manifestation du génie français en matière constitutionnelle, où nous inventons des choses que les autres ne sont pas parvenus à faire !
Il existe pour nous un risque que ce double filtre tue cette nouvelle procédure avant même qu'elle puisse montrer son utilité. Nous pensons utile d'encadrer le rôle des cours. Le Conseil d'État et la Cour de cassation devraient se limiter à un rôle d'enregistrement, pour éviter les saisines un peu fantaisistes.
Dans l'état du texte, en appréciant ainsi la légalité de la disposition législative incriminée et indépendamment du problème d'une éventuelle contrariété avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel, les cours vont ainsi opérer un pré-contrôle de constitutionnalité. Le mécanisme de la question prioritaire risque d'être pris dans un tunnel juridictionnel et de s'en trouver singulièrement ralenti.
Chacun sait que l'on peut craindre que le Conseil d'État, notamment, ne considère trop souvent que la question n'est pas assez importante ou assez sérieuse pour mériter un renvoi devant le Conseil constitutionnel. Comme il n'est plus question de revenir sur ce point, qu'au moins les cours se limitent à une décision sommairement motivée !