Je voudrais à mon tour me lancer dans un plaidoyer pour l'opinion séparée. La répétition étant la base de la pédagogie, nous finirons bien, un jour ou l'autre, par convaincre le législateur.
Je crois que nous partageons ici une conception du droit selon laquelle celui-ci n'est pas un dogme révélé, inaccessible à la raison. J'entends l'argument du rapporteur estimant que ce n'est pas la tradition française que de publier les opinions que l'on appelle aujourd'hui séparées, que l'on a parfois appelées dissidentes – mais ce terme était assez impropre, puisque ces opinions peuvent proposer des motivations différentes pour fonder un jugement identique. C'est vrai que cela n'appartient pas à la tradition française. Mais jusqu'en 1958, le contrôle de constitutionnalité n'appartenait pas non plus à notre tradition, alors qu'il est aujourd'hui formidablement accepté. Il devient même une référence puisque ce modèle a priori, et maintenant a posteriori, nous l'exportons dans différents pays. L'argument du changement est donc au moins aussi pertinent que celui de la tradition.
En outre, la publication des opinions séparées n'est pas destinée à fragiliser quoi que ce soit. La force d'une décision du Conseil constitutionnel ne repose pas sur le nombre de voix. Elle tient d'abord au fait que c'est le Conseil constitutionnel qui l'a prise – et à soi seul, cela devrait suffire –, et, ensuite, à la qualité de l'argumentation juridique qui a été développée et qui a convaincu un nombre suffisant de membres du Conseil. Par définition, l'opinion séparée est d'ailleurs minoritaire.
Le but n'est donc pas de perturber l'équilibre d'un édifice qui a mis quelques années à se stabiliser. Le but est d'éclairer les collègues du Conseil constitutionnel, et, au-delà d'eux, l'ensemble des observateurs de la doctrine, sur des arguments qui ont été avancés sans être retenus. C'est important, parce que, demain, la jurisprudence peut évoluer. Et cela sera profitable à tout le monde.
Il est de notoriété publique, je le redis, que certains membres du Conseil constitutionnel semblent aujourd'hui avoir été convaincus. Le Conseil est d'ailleurs allé en Espagne pour voir comment fonctionnait l'opinion séparée dans le tribunal espagnol. Que ce soit dans un proche avenir ou dans quelque temps, la publication des opinions séparées sera décidée de manière prétorienne. Il serait plus normal que le législateur organique la codifie.