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Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 14 septembre 2009 à 15h00
Application de l'article 61-1 de la constitution — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Urvoas :

De même, pourra-t-on longtemps continuer à admettre que le dernier contrôle soit exercé par des personnes dont les textes n'exigent aucune compétence ni expérience juridique alors même que le premier examen de constitutionnalité des lois est exercé par un juge professionnel ?

En l'état, le Conseil constitutionnel est l'une des très rares cours constitutionnelles à n'imposer aucune exigence de qualification.

Ensuite, la procédure devra faire pleinement droit aux principes d'impartialité du tribunal et d'équité du procès, pour reprendre les mots du professeur Dominique Rousseau.

Certes, le débat contradictoire, au sein du Conseil, s'est progressivement organisé, sous l'influence du doyen Vedel et du président Badinter.

Mais il n'est pas codifié et ne répond pas encore à toutes les exigences du procès équitable.

Il en est ainsi de la place des parties à l'audience, qui sont censées ne pas exister dans le cadre du contrôle a priori mais qui devront être accueillies et entendues lors de l'examen par le Conseil d'une question prioritaire. Chacun le sait, et le président Debré l'a d'ailleurs évoqué lors d'un colloque sur la question de constitutionnalité avec les avocats aux Conseils le 19 juin dernier.

Cela concerne aussi l'ouverture du prétoire du Conseil à l'office des avocats, à l'oralité des débats ou à la publicité des audiences, même si la Cour de Strasbourg ne condamne pas toute absence d'audience publique devant le juge constitutionnel.

Enfin, le véritable changement pourrait concerner le pouvoir de décision du Conseil, qui ne se considère aujourd'hui lié ni par l'énumération des articles précisément contestés par les parlementaires, ni par les motifs articulés au fondement du recours.

S'il examine en priorité les dispositions critiquées, il rappelle, selon sa jurisprudence de 1996, que son contrôle «porte sur toutes les dispositions déférées y compris celles qui n'ont pas fait l'objet d'aucune critique de la part des auteurs de la saisine ».

Il n'est pas certain qu'il puisse maintenir cette position.

Même si l'affaire est portée devant le Conseil par une cour suprême, elle a été soulevée par une des parties au procès principal. Or, en matière civile au moins, « le procès est la chose des parties ».

Il serait alors logique que le Conseil ne s'aventure pas à contrôler autre chose que ce qu'on lui a demandé de vérifier.

Au demeurant, même s'il continue à statuer ultra petita ou à limiter son contrôle à la question précise, il va se trouver dans des situations inédites et difficiles. J'en ai retenu trois : celle où il jugerait que la disposition législative contestée ne commande pas l'issue du litige mais est contraire à la Constitution, celle où il estimerait que la difficulté sérieuse de constitutionnalité tient à d'autres motifs que ceux présentés dans la décision de renvoi, ou encore celle où il apprécierait qu'une disposition législative non contestée est contraire à la Constitution et commande l'issue du litige ou est contraire à la Constitution mais ne commande pas l'issue du litige.

Il devra encore décider si, dans ce contentieux, il n'a le choix qu'entre la déclaration de constitutionnalité et la déclaration d'inconstitutionnalité, ou s'il peut juger que la disposition législative contestée est conforme à la Constitution, sous réserve qu'elle soit, en l'espèce, appliquée de telle manière – hypothèse redoutable, qui ouvrira sans doute aux justiciables la possibilité de recours ultérieurs si le juge ordinaire ne respecte pas le mode d'application défini par le Conseil.

Cela créera également une logique de soumission progressive de la Cour de cassation et du Conseil d'État au Conseil Constitutionnel.

Comme je l'ai rappelé en commission, le succès d'un mécanisme constitutionnel, quel qu'il soit, tient moins, ou autant, à ses qualités propres qu'au moment et à l'état du jeu dans lequel il est introduit. Adoptée en 1958, en 1974 voire en 1989, la question préjudicielle de constitutionnalité se serait sans doute imposée tranquillement dans le paysage juridictionnel. Robert Badinter, alors président du Conseil constitutionnel, avait proposé d'introduire l'exception d'inconstitutionnalité le 3 mars 1989, c'est-à-dire à une époque où les arrêts Boisdet, Nicolo et Rothman n'avaient pas encore été rendus. Depuis lors, le Conseil d'État et la Cour de Cassation tiennent à leur contrôle de conventionnalité que le Conseil constitutionnel leur a malencontreusement abandonné depuis la jurisprudence IVG du 15 janvier 1975. Là réside la nouveauté de la situation juridique et là se joue en partie l'avenir de la question prioritaire de constitutionnalité.

En effet, elle n'a pas la même signification si elle intervient dans un champ contentieux où le contrôle de la loi par rapport aux traités n'est pas stabilisé – c'était encore le cas en 1989 – ou, au contraire, dans un champ où ce contrôle est régulièrement exercé par les juges ordinaires, comme c'est le cas depuis vingt ans.

Dans la première configuration, la question prioritaire avait sa place et son utilité. Dans la seconde, son intérêt se perd dans une concurrence improbable avec le contrôle de conventionnalité. En 2009, la chose se révèle – et révélera – plus difficile,…

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