Selon le constitutionnaliste Didier Maus, « on ne peut imposer aux communes l'organisation de dispositifs du type [service d'accueil] que s'ils répondent à un impératif d'intérêt général, de sécurité par exemple, et s'ils sont proportionnels à l'objectif poursuivi. » Ici, poursuit-il avec prudence, le Gouvernement prend un risque.
Le diagnostic est le même pour Guy Carcassonne : « On ferait peser sur les communes une charge qui relève d'un bloc appartenant à l'État. Peut-il se défausser en cas de problème d'une compétence qui est strictement la sienne ? Cela ne va pas de soi. » Non, mes chers collègues, cela ne va pas de soi ! En raison de quelle nécessité, en effet, si ce n'est la moins avouable, le service d'accueil imparti à l'État devrait-il, dans les circonstances les plus difficiles, incomber aux communes ?
Il y a pire : alors que l'article 72-2 de notre Constitution prévoit que « toute création ou extension de compétences [...] est accompagnée de ressources déterminées par la loi », et que cette obligation a été confirmée par la décision du Conseil constitutionnel du 13 janvier 2005, l'article 8 du projet de loi se borne à renvoyer le montant minimal de la compensation à un décret. Or sachant que cette compensation sera « fonction du nombre d'élèves accueillis » et non des dépenses engagées par les communes, il est fort à craindre que celles-ci ne rentrent jamais dans leurs frais. En effet, pour éviter tout risque de débordement, les maires devront fatalement choisir l'estimation maximale des besoins.
Ainsi, même à supposer que le projet de loi respecte la lettre de l'article 72-2, il en viole cependant l'esprit. Son article 8 fera en effet peser des charges financières sur les communes qui diminueront leurs marges d'action et porteront atteinte, au final, à leur liberté d'administration.
Cette atteinte est d'autant moins acceptable que d'autres décisions du ministère de l'éducation nationale reviennent à entamer les ressources communales. Je pense notamment à la suppression de l'école le samedi matin – décision nécessaire, mais prise sans concertation –, et au passage à la semaine de quatre jours, qui augmentera le temps des activités périscolaires et posera aux communes des problèmes de fonctionnement.
Sachant que cette dernière réforme suscite, par ailleurs, de sérieuses difficultés sur le plan organisationnel, vous seriez bien inspiré, monsieur le ministre, d'entendre la requête des maires, des élus et – à ce que j'ai cru comprendre – du président de l'AMF, et de reporter d'au moins un an la suppression des cours le samedi matin.
Rédigées sans concertation et dans la précipitation, inapplicables ou inconstitutionnelles, les dispositions du projet de loi manqueront, soyez-en sûrs, leur objectif. Cette évidence est si nette que l'on peut, à bon droit, s'interroger sur le dessein véritable du Gouvernement. À défaut d'instituer un droit d'accueil en cas de grève, les mesures du texte pourraient, en effet, permettre à l'État de détourner sa responsabilité et de gérer la pénurie d'enseignants.
Dès l'annonce du projet de loi, l'ensemble des associations de maires s'est inquiété de savoir qui serait responsable des dommages subis ou causés par un enfant, lorsqu'il est accueilli dans le cadre du service minimum obligatoire. Le problème de la responsabilité pénale reste aujourd'hui entier, comme Jean-Michel Clément l'a parfaitement démontré. Je ne crois pas, en effet, que l'amendement proposé par Frédéric Lefebvre suffise à le régler, et c'est pourquoi nous avons déposé un sous-amendement. Certes le Gouvernement a eu l'habileté, lors du débat au Sénat, de régler au moins la question de la responsabilité administrative. Il est pourtant une responsabilité que l'État entend bien laisser aux communes – et elle est toute aussi essentielle –, c'est la responsabilité politique des désagréments causés, aux parents d'élèves comme aux enseignants, par les grèves dans l'éducation nationale !
Les suppressions de postes massives décidées, sans la moindre vision et hors de tout projet pour l'éducation nationale, par les gouvernements qui se sont succédé depuis 2002, provoquent un profond malaise dans le corps professoral et génèrent de nombreux mouvements sociaux. Malgré cela, les maires ont pu, jusque-là, entretenir des rapports confiants et constructifs avec la communauté enseignante, notamment au sein des conseils d'école.
Le projet de loi instituant un droit d'accueil menace la qualité de ces rapports car il veut faire des maires des interlocuteurs dans des situations qui les dépassent. Comme l'a expliqué en janvier 2008 le président de l'AMF, Jacques Pélissard, le service minimum d'accueil revient à détourner « la responsabilité de l'État sur des acteurs étrangers aux conflits ayant conduit à la grève ». Pire, il les conduit même, à y endosser, quoiqu'on en dise – et Yves Durand l'a parfaitement démontré – le rôle de « casseurs de grèves » !