Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la discussion générale sur ce projet de loi est l'occasion d'aborder les questions de fond sur ce que doit devenir notre politique de transport, notamment ferroviaire, dans le double contexte de la crise économique et sociale que nous traversons et de la prise de conscience du poids du transport dans la menace qui pèse sur notre planète.
Les grandes orientations définies par le Grenelle 1 – qui fait quasiment consensus – doivent constituer notre ligne de conduite. Prétendre que notre marge de manoeuvre est restreinte par la procédure d'urgence – à laquelle rien ne vous obligeait à recourir, monsieur le secrétaire d'État – et par l'impératif d'harmonisation européenne des politiques de transport, est un double argument qui ne tient pas.
Vous avez déposé ce texte sur le bureau du Sénat le 10 septembre, de l'année 2008, et nous sommes fin septembre 2009 : bel exemple de renforcement du rôle du Parlement par une utilisation abusive de la procédure d'urgence ! Le passage en force de la loi HADOPI paraissait manifestement prioritaire au Gouvernement.
Quant à la Commission européenne, la fameuse mise en demeure qui motive la précipitation de ce projet de loi remonte au mois de juin de l'année dernière, faisant suite aux trois paquets ferroviaires de 2001, 2004 et 2007. En matière d'urgence, le Gouvernement actuel sait, comme on le voit, s'affranchir des contraintes quand il l'estime opportun. Pour ce qui est des Européens – la France et l'Allemagne en tête –, ils savent « suspendre » les exigences européennes telles que l'application du pacte de stabilité. Les politiques dogmatiques de libéralisation à tout crin, après un an de crise, ont démontré leur échec. La mise en concurrence ne règle rien en soi.
Précipitation, procédure inappropriée, prétexte de contraintes européennes, tout cela pour quoi ? Pour défendre le service public de transport ferroviaire qui fait la fierté de notre pays, même aux yeux des Américains ? Sûrement pas ! Pour défendre les cheminots ? Ce n'est pas ce qu'ils disent. Pour défendre la SNCF dont, faut-il le rappeler, l'État est actionnaire à 100 %, et qui est donc une entreprise remarquable placée sous votre autorité et votre responsabilité ? Rien de tel : les Allemands, nous l'avons vu avec M. le rapporteur, nous montrent que leurs gouvernements successifs, même avec les problèmes engendrés par la réunification, ont bien mieux défendu Deutsche Bahn AG dans l'environnement concurrentiel, en lui permettant de maîtriser le réseau, l'énergie, l'infrastructure, le personnel et même les gares, que vous vous apprêtez à brader à une entreprise certes respectable, mais au déficit tant structurel que pharaonique !
Non, si nous sommes réunis cet après-midi pour discuter de ce projet de loi prétendument urgent, c'est à cause de ce qui apparaît comme l'obsession du Président de la République à vouloir démanteler le service public – y compris là où il se montre plus performant que le marché – ; à vouloir remettre en cause les acquis sociaux des cheminots par l'éparpillement juridique de leur entreprise ; à vouloir préparer la privatisation rampante du chemin de fer, fût-ce au détriment de l'usager, voire de sa sécurité, comme ce fut le cas en d'autres temps libéraux en Grande-Bretagne.
Par petits bouts, difficiles à interpréter par l'opinion publique, vous grignotez ce qui a fait la fierté et la solidité de notre pays depuis des décennies, je veux parler du service public à la française. Pour être européen – je le suis autant que vous, comme vous le savez, monsieur le secrétaire d'État –, pour construire l'Europe innovante et protectrice, il ne faut pas brader tout cela. Notre modèle, dont la SNCF est l'un des joyaux, nous devons le vendre aux autres Européens : c'est le service public européen des transports qu'il fallait faire !
L'innovation technologique – avec le TGV dont nous sommes si fiers –, la stratégie d'investissement sur les infrastructures qui nécessite que l'on mobilise des milliards sur le long terme, l'harmonisation des mesures de sécurité, celle des statuts cheminots, qui ne connaissent pas les frontières, la mobilité des Européens dans leur nouvel espace enfin retrouvé, la stratégie de transfert modal en faveur du rail, la contribution de notre continent riche, donc pollueur, à l'effort de protection de la planète, la modification des comportements au détriment de la voiture et du camion et au bénéfice du rail, tant pour les voyageurs que pour le fret, le recours, enfin, aux transports publics plutôt qu'individuels, tout cela, c'est au niveau de l'Europe qu'il faut le concevoir, et vous le savez bien.
La concurrence, répétez-vous à l'envi ! Mais ce n'est pas cela qui va régler les problèmes. Et ne me répondez pas encore que vous le faites parce que le Président de la République l'a promis aux Français ! Il suffit de les interroger : demandent-ils la concurrence partout ? Non, ils veulent des trains qui partent à l'heure, qui soient confortables et qui les transportent dans la sécurité et la sérénité.