Dont acte. Reste que, à défaut d'avoir obtenu ladite évaluation, nous pouvons constater que, loin d'avoir favorisé le transfert du transport de marchandises de la route vers le rail, c'est l'inverse qui s'est produit : le fret ferroviaire n'a cessé de perdre des parts de marché au profit du trafic routier. À l'évidence, le recours à la concurrence a donc été un échec. Le seul impact de l'ouverture du marché a été l'accroissement des pertes de trafic de la SNCF et sa décision concomitante d'abandonner les wagons isolés – wagons par ailleurs bien peu isolés puisqu'il peut s'agir de huit, dix wagons voire davantage, lesquels, souvent, jouent un rôle déterminant pour les entreprises et les territoires desservis.
Votre proposition relative aux opérateurs ferroviaires de proximité n'est certes pas sans intérêt ; mais comment imaginer que, sur quelque 4 000 kilomètres de lignes peu fréquentées, souvent délaissées et proches de l'abandon, puisse s'imposer un modèle économique sans argent public ? La plupart des opérateurs seront d'ailleurs des acteurs publics ou parapublics. Quant aux quelques acteurs privés qui prendront le risque d'intervenir, il est plus que probable qu'ils prévoiront de garantir leur équilibre d'exploitation par des apports de fonds publics.
On en arrivera ainsi à une situation des plus choquantes : le marché du transport ferroviaire international sera ouvert à des opérateurs privés, dans une perspective d'exploitation bénéficiaire tandis que les gares et lignes de frets seront abandonnées par la SNCF et proposées à des opérateurs – publics ou privés – qui n'auront d'autres choix que d'en financer le déficit.
Socialisation des pertes et privatisation des profits : je crains fort que votre texte ne parvienne pas à s'échapper de ce schéma, au demeurant fort classique.
Et je vous laisse imaginer qui sera appelé à maintenir la desserte de telle ou telle coopérative isolée en bout de ligne en milieu rural, ou encore de telle zone d'activité, installée grâce au volontarisme d'un département et dont l'entreprise moteur du développement se trouvera soudainement privée des quinze ou seize wagons dits isolés qui l'approvisionnaient mensuellement en matière première ! Qui prendra l'initiative de créer ces opérateurs ferroviaires de proximité – sinon les présidents de conseils généraux ou de conseils régionaux, afin de ne pas dégrader l'attractivité de leur territoire ?
Bien sûr, il nous sera proposé de passer contrat avec l'État, dans le cadre de diverses procédures, existantes ou à inventer. Mais, au bout du compte, ce sont bien, une fois de plus, les exécutifs locaux qui auront à se porter garants de l'attractivité et du développement de leur territoire. Et bien sûr, il leur appartiendra d'en financer le coût – au moins pour une bonne partie. Il faudra, de surcroît, que ces exécutifs locaux s'entourent d'experts à même de les accompagner, sinon dans la gestion des OFP, au moins dans leur montage, leur négociation et leur suivi.
Vous conviendrez, chers collègues, que, dans ces conditions, la récente critique formulée par M. le Premier ministre à l'encontre des collectivités locales, accusées de trop embaucher alors que l'État, lui, a cessé de remplacer ses fonctionnaires, me semble particulièrement injuste et, pour tout dire, de bien mauvais goût.
Enfin, comment pouvons-nous, aujourd'hui, légiférer efficacement sur le fret, alors que la politique de la SNCF en la matière, dont nous ne savons que ce que la presse veut bien nous en dire, ne sera rendue publique que le 23 septembre, soit quelques jours après la fin probable de nos travaux ? Sans doute la fin des wagons dits isolés sera-t-elle définitivement scellée, et la SNCF, munie du texte que nous examinons, pourra en confier la charge à qui voudra la prendre. Et il faudra bien que les collectivités locales s'y résolvent, faute de quoi la perte d'attractivité du territoire pourrait les pénaliser lourdement.
Quelle sera la part d'accompagnement, j'allais dire le chemin que la SNCF sera prête à faire en commun ? Le vote précipité de ces dispositions ne nous laissera d'autre possibilité que de subir le bon vouloir de l'actuel opérateur sur des lignes dont nous savons bien qu'elles sont peu rentables, et qu'elles n'entrent pas en concurrence avec la route, mais qui ont pour seule vocation de répondre aux légitimes soucis d'aménagement du territoire.
La SNCF, c'est vrai, s'est souvent comportée de façon malthusienne, et a souvent géré la disparition programmée des trafics de proximité. Mais ne l'accablons pas, car cela s'est toujours fait avec la complicité du pouvoir politique, souvent incapable de financer ses ambitions d'aménagement du territoire.
Si l'on veut que, demain, les opérateurs ferroviaires de proximité deviennent de puissants leviers de développement économique dans la perspective de développement durable que nous souhaitons tous, il faudra que la règle du jeu financière soit clairement établie entre l'État et les collectivités.
Je regrette que le texte n'esquisse pas au moins quelques pistes en la matière. En particulier, il aurait pu répondre à une demande ancienne de l'Association des régions de France, relative aux péages.
L'ARF souhaitait en effet que soit prévu un mécanisme de compensation pour les régions finançant des opérations d'investissement qui permettent de réduire les coûts d'entretien. Elle souhaitait également qu'un mécanisme de péréquation soit institué pour permettre le maintien de lignes à vocation d'aménagement du territoire. Or rien de cela n'est proposé dans ce texte qui comporte pourtant diverses dispositions relatives aux transports.
Au contraire, le texte intervient dans un contexte de fortes inquiétudes liées à la disparition de la taxe professionnelle. Cette disparition est certes souhaitée par nombre d'entre nous, mais la compensation semble bien loin d'être acquise – en tout cas autrement que par une compensation de l'État dont chacun d'entre nous, hélas, ne sait que trop ce qu'il en advient au fil du temps.
Enfin, monsieur le secrétaire d'État, vous nous avez, il y a quelques jours à peine, présenté un important amendement relatif à l'organisation des transports en Île-de-France. Bien sûr, à première lecture, cet amendement semble aller dans le bon sens : avec ses trois milliards de voyages, ses dix millions d'usagers quotidiens, ses 214 kilomètres de lignes de métro et ses 43 000 agents, la RATP mérite bien que de longs délais d'adaptation lui soient accordés. Vous avez prévu un délai de trente ans pour le métro – on ne pouvait laisser d'avantage –, vingt ans pour les tramways et quinze ans pour les autobus. Cela paraît le bon tempo.
Mais vous conviendrez que, sur des sujets de cette importance, un retour devant la commission permettrait un examen plus serein de ces dispositions extrêmement techniques.
Cet examen serein est d'autant plus nécessaire que M. le président de la région Île-de-France vient de nous faire connaître son profond désaccord avec les dispositions de cet amendement, dont il n'a eu connaissance que jeudi dernier. En effet, le transfert de l'ensemble des biens constitutifs de l'infrastructure gérée par la Régie, propriété du Syndicat des transports d'Île-de-France, se fera à titre gratuit au profit de la Régie. Or il s'agit là, dit le président Huchon, « d'un patrimoine public exceptionnel que les collectivités franciliennes ont financé pour une large part ».
Mais il ne s'agit pas seulement d'une querelle de copropriétaires. La véritable question est celle, une fois de plus, de l'endettement de la RATP, et de sa difficulté à investir.
Votre amendement pourrait très facilement être lu comme un tour de passe-passe : en la dotant d'un patrimoine important, en reconstituant ses actifs et son haut de bilan, on confère à la RATP une capacité nouvelle d'emprunt qui lui permettra d'intervenir sur les marchés internationaux.
Avoir une stratégie de développement à l'international n'est pas critiquable en soi. Mais est-il normal que celle-ci soit financée par le patrimoine public des collectivités d'Île-de-France – même pour une part – alors même qu'il leur est demandé d'investir plus que jamais il n'a été fait pour répondre aux besoins de transports des Franciliens ?
Ne serait-il pas logique, en raison de l'indispensable effort de modernisation, d'affirmer le caractère prioritaire des transports franciliens, et donc d'investir les profits des prochaines années – et au premier rang ceux des opérateurs – pour améliorer les conditions de transport des usagers de la région elle-même ?
Là encore, ce texte date. Il prône une politique de développement externe agressive de la RATP, en oubliant l'urgence que représentent désormais les investissements à faire pour améliorer les transports franciliens – efforts dont la RATP ne peut s'exonérer.
À lui seul, cet important sujet justifierait le vote de cette motion. Mais aussi, et dans un autre domaine, comment faut-il entendre la disparition subreptice, au hasard de ce texte, des dispositions particulières aux retraites, et tout spécialement la disparition du lien direct entre l'État et la SNCF s'agissant de ces mêmes retraites ?
Mes chers collègues, vous le voyez bien : au-delà de ce texte, qui peut être amélioré dans l'hémicycle, d'importantes évolutions sont désormais indispensables. Elles sont le produit tant de la crise environnementale que nous connaissons que des excès qui nous ont conduits dans la crise économique que nous subissons.
Ces évolutions indispensables rendent caduques les vieilles recettes des années quatre-vingt-dix dont s'inspire ce texte. Le vieux modèle d'une économie dérégulée, ouverte à la concurrence pour compenser l'incapacité des États à défendre et financer leurs ambitions et à assumer leurs responsabilités, a vécu.
Plus que jamais, le rôle des services publics apparaît régulateur : régulateur non seulement de la vie sociale, mais aussi de l'activité économique dont les services publics sont des acteurs à part entière.
La France, riche de sa tradition du service public, dispose d'un véritable moyen d'action qu'elle se doit de conforter et de moderniser. Pour avoir juridiquement élaboré en un siècle une véritable théorie du service public, elle se doit de la moderniser et de l'exporter – au lieu de capituler face au modèle du tout-concurrence, du tout-marché, qui, parce qu'il s'avère à la fois terriblement rapide dans ses effets et surtout terriblement myope, nous a menés aux catastrophes écologiques et économiques que nous connaissons ou sommes sur le point de connaître.
Le moment est venu de replacer l'intérêt général avant celui des consommateurs, d'imaginer des solutions durables au-delà de l'intérêt de court terme. Cela est particulièrement vrai en matière de transports, car le secteur pèse lourd en emploi mais aussi lourd en carbone et, souvent aussi, lourd en bien-être ou en difficultés dans le quotidien de nos concitoyens. C'est de son organisation que dépendra en grande partie l'attractivité future de nos territoires.
Visiblement, ce texte n'intègre pas le changement de modèle auquel nous devons à présent réfléchir. Je ne doute donc pas un seul instant que vous ne décidiez de son renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)