Madame la présidente, messieurs les présidents de commission, messieurs les rapporteurs, mesdames et messieurs les députés, j'ai le plaisir de vous présenter aujourd'hui le projet de loi relatif à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires et guidés et portant diverses dispositions relatives aux transports. Il s'agit d'un projet de loi diversifié, qui vous est soumis à un moment important – vous avez tous entendu les annonces que nous avons faites la semaine dernière en matière de fret ferroviaire – de l'histoire des transports ferroviaires en Europe.
Je voudrais d'emblée remercier les membres des deux commissions – l'histoire de votre Assemblée a voulu qu'elles soient toutes deux saisies. Respectivement présidées par MM. Ollier et Jacob, avec M. Paternotte comme rapporteur unique, elles ont accompli un travail remarquable sur ce texte. Nous avons particulièrement apprécié la qualité du travail et des très nombreuses auditions auxquelles a procédé M. Paternotte, ainsi que le soin minutieux qu'il a apporté à chaque mot, à chaque virgule même de ce texte. Je pourrais dire de même de la commission des finances et de son rapporteur, M. Mariton, que je remercie très sincèrement.
Ce texte, déjà ancien, a été examiné les 19 février et 9 mars derniers par le Sénat, qui l'a enrichi. Votre commission des affaires économiques, monsieur Ollier, s'en est saisie le 23 juin dernier. Là encore, nourri de vos réflexions, le projet a gagné en substance et en précision. C'est donc sur ce texte et ses amendements que nous débattrons.
Ce projet de loi comprend des dispositions ayant trait aux transports ferroviaires et guidés, aux transports routiers, aux transports aériens et aux transports maritimes. Il s'inscrit – je vous le disais – dans une période de mutations importantes des transports en France comme en Europe.
La Haute assemblée débat ces jours-ci du projet dit Grenelle II, alors que votre Assemblée a adopté la loi de mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement en juillet dernier – qui a fait l'objet d'une publication au Journal Officiel dans la nuit – célèbre – du 4 août. Le respect des engagements pris dans cette loi nous conduit naturellement à faire évoluer nos institutions, notre gestion des infrastructures et, de manière plus générale, l'organisation de notre système de transports – à commencer par les transports ferroviaires.
Plutôt que de détailler l'ensemble des dispositions qui figurent dans ce texte, je souhaite m'attacher à ce qui me semble en être le fil conducteur : l'ouverture à la concurrence du secteur des transports et sa nécessaire régulation. Vous savez tous que, sous l'impulsion de l'Union européenne, cette ouverture a d'abord concerné le transport routier, puis le transport aérien. Elle s'est étendue au secteur du transport ferroviaire de marchandises il y a déjà plus de trois ans, le 31 mars 2006 ; à partir du 13 décembre prochain, elle concernera également les services ferroviaires internationaux de voyageurs.
Quels sont les avantages – ou les défauts éventuels – de la concurrence dans les transports ? Je préciserai avant toute chose qu'il n'est pas question de nous dissimuler derrière l'Union européenne au motif qu'elle nous imposerait une concurrence que nous serions contraints de subir. Au contraire : je crois que la concurrence présente des avantages pour le développement des transports au profit de ses clients, de ses chargeurs et de tous les voyageurs. Songez au transport aérien : pourquoi est-il devenu accessible à tous ou presque ? Pourquoi n'est-il plus réservé à la seule clientèle d'affaires ? C'est parce que la concurrence a incité les compagnies aériennes à élaborer des modes d'exploitation plus efficaces – les hubs, par exemple, qui offrent un large choix de destinations aux clients, ou le modèle low-cost, sans lequel le député-maire de La Rochelle sait que l'aéroport de cette ville, qui nous est cher, accueillerait un trafic bien moindre.
Le transport ferroviaire de fret a également bénéficié de l'ouverture à la concurrence. Certes, la crise économique l'a frappé ; pourtant, on oublie trop souvent qu'en Allemagne surtout, mais aussi en Grande-Bretagne – dont il était d'usage de se moquer sur certains bancs – ou encore en Espagne et aux Pays-Bas, la concurrence du transport de marchandises a entraîné une hausse sensible des trafics et un véritable report modal.
La France a connu une progression du trafic de fret moindre qu'en Allemagne ou ailleurs, qui a tout de même atteint 3,5 % entre 2006 et 2007, et même frôlé 10 % entre 2007 et 2008 au point qu'aujourd'hui, sept entreprises ferroviaires circulent sur le réseau ferré national. Contrairement à une opinion répandue, leur part de marché, importante, s'est encore développée : de 5 % en 2007, elle atteignait près de 10 % en 2008 et même près de 14 % en juillet dernier – c'est la dernière statistique dont nous disposons. De même, je suis persuadé que l'ouverture à la concurrence permettra de développer le transport international de voyageurs – de manière progressive, comme toujours – en suscitant la création de nouveaux services, de nouvelles activités et de nouveaux emplois.
Certains auraient souhaité que ce projet de loi étende l'ouverture à la concurrence aux transports ferroviaires régionaux de voyageurs – les TER. À titre personnel, je suis favorable à cette évolution. Je vous donnerai un exemple européen qui conforte cette opinion : la régionalisation ferroviaire en Allemagne a permis aux Länder, depuis 1993, de choisir leurs opérateurs ferroviaires par appel d'offres. Le bilan est très positif : plusieurs entreprises françaises ont gagné des marchés très importants dans le pays et, grâce à la concurrence, l'offre de trains par kilomètres est passée de 502 millions en 1994 à 633 millions en 2007. En outre, la Deutsche Bahn, opérateur historique, a poursuivi son développement dans ce contexte – et quel développement ! Enfin, l'ouverture a entraîné une réduction considérable des coûts facturés aux Länder, qui ont réinvesti cet argent dans le développement de l'offre du service public.
Je suis conscient des problèmes complexes que pose une telle évolution : je pense naturellement au devenir des personnels, ou encore à la propriété et à la mise à disposition des matériels roulants. C'est pourquoi le Gouvernement a demandé à votre collègue M. Francis Grignon, qui a rapporté le projet au Sénat, d'en étudier les modalités. Nous attendons ce rapport pour le premier trimestre de l'an prochain ; il nourrira le grand débat démocratique qui aura lieu à l'occasion des élections régionales. Il faudra ensuite procéder par expérimentation, conformément à la bonne vieille méthode éprouvée par le sénateur Haenel, comme cela avait été fait pour le transfert aux régions des mêmes services régionaux de voyageurs – dont je rappelle que personne ne le souhaitait au départ, et qu'il constitue aujourd'hui un succès remarquable.
En matière de transports, qui dit concurrence dit forcément régulation. Nous devons veiller à ce que l'ouverture à la concurrence s'effectue dans des conditions équilibrées et parfaitement transparentes. Pour cela, nous vous proposons un dispositif de régulation efficace : l'Autorité de régulation des activités ferroviaires.
Si vous acceptez sa création, cette autorité aura les attributions qui lui permettront de garantir à tous les opérateurs un accès équitable au réseau ferré, sans aucune discrimination. Elle disposera d'un pouvoir de régulation, mais aussi de larges pouvoirs d'investigation et de sanction. Elle instruira les plaintes des acteurs du secteur, et pourra naturellement prendre l'initiative d'enquêtes. Le droit de saisine de cette Autorité – qui prendra place aux côtés des grandes Autorités dont dispose déjà notre pays – sera largement ouvert aux acteurs du secteur, qu'il s'agisse des entreprises ferroviaires, des opérateurs de transport combiné ou des candidats autorisés. Elle se prononcera sur toute réclamation concernant un traitement inéquitable, une discrimination ou tout autre préjudice lié à l'accès au réseau ferroviaire. Elle pourra sanctionner les manquements par le biais de sanctions pécuniaires pouvant atteindre 3 % – c'est considérable ! – du chiffre d'affaires de l'entreprise concernée, voire jusqu'à 5 % en cas de nouvelle violation de la même obligation. Elle sera consultée sur tous les textes réglementaires ayant trait au transport ferroviaire, tels que ceux qui régissent les barèmes de péage. Le Sénat a souhaité qu'elle le soit également sur le document de référence du réseau. Enfin, elle sera une force de proposition en matière de réglementation.
Comment sera-t-elle organisée ? Son statut sera semblable à celui de la commission de régulation de l'énergie. Elle consistera en un collège de sept commissaires non révocables et nommés pour six ans, qu'assisteront des services administrés par un secrétaire général et comprenant des juristes, des experts en comptabilité et des économistes. J'estime que l'Autorité doit pouvoir compter sur une cinquantaine, voire une soixantaine de collaborateurs, et disposer d'un budget de 8 millions d'euros.
Le Sénat a conforté l'indépendance de cette structure en prévoyant qu'elle soit financée par une taxe spécifique prélevée sur les gestionnaires d'infrastructures. La commission des affaires économiques a précisé la rédaction de cette disposition pour la rendre applicable ; toutefois, je serai amené à vous proposer un amendement visant à ce que cette taxe soit plutôt prélevée sur les entreprises ferroviaires, comme celle qui alimente déjà l'établissement public de sécurité ferroviaire.
Vous pouvez donc le constater, mesdames et messieurs les députés : cette Autorité jouera un rôle de première importance dans le fonctionnement de notre système ferroviaire, dont elle contribuera à développer l'offre et à augmenter la fréquentation.
Cette nouvelle architecture n'exonère pas la puissance publique de ses responsabilités, y compris celle, fondamentale, qui consiste à veiller à ce que l'organisation du système ferroviaire favorise une concurrence sans discrimination. Le Sénat et votre commission du développement durable ont souligné deux éléments clefs en la matière : la gestion des sillons et la gestion des gares.
S'agissant de la gestion des sillons, un amendement du Sénat dispose de la création d'une direction de l'exploitation au sein de la SNCF. Ce service spécialisé, séparé du reste de l'entreprise, aura pour mission de gérer le trafic et la circulation sur le réseau ferroviaire national. Il regroupera 14 400 agents en charge de la production et de la gestion des sillons : horairistes, régulateurs ou encore agents de circulation – les aiguilleurs. Ces agents appartiendront toujours à la SNCF et ne changeront pas de statut. Toutefois, afin d'assurer son indépendance, cette structure disposera d'un budget propre et son directeur sera nommé par l'Etat. D'éventuelles évolutions réglementaires ou législatives permettront de garantir l'autonomie de gestion de ce service.
Votre commission, sur proposition de votre rapporteur, a voulu renforcer l'indépendance de cette direction en encadrant plus strictement les modalités de révocation anticipée du directeur de l'exploitation. Il vous a par ailleurs semblé nécessaire de mieux organiser la confidentialité des informations détenues par les agents de cette direction. Je partage ces préoccupations. En parallèle, RFF créera en son sein une plateforme commerciale. Forte d'une centaine de personnes, elle fera le lien avec les entreprises ferroviaires et répartira les capacités entre les plages-travaux – ou « blancs travaux », en jargon ferroviaire – et les entreprises clientes du réseau. Je souhaite que cette nouvelle organisation puisse être mise en place dès le mois de janvier prochain.
Monsieur le rapporteur, à votre initiative, la commission a également voté plusieurs amendements insistant sur l'importance d'une gestion transparente et parfaitement équitable des gares dans la concurrence entre opérateurs ferroviaires, dans l'esprit du rapport de votre collègue Fabienne Keller. Cela concerne non seulement les gares de voyageurs, mais aussi les gares de fret, dont vous avez souhaité que le transfert éventuel à RFF soit examiné.
La puissance publique garde également la responsabilité de veiller à la protection des consommateurs. Elle l'assume pleinement, en conservant son pouvoir d'approbation des tarifs ferroviaires ou par les missions plus traditionnelles confiées à la direction de la concurrence. Enfin, et je sais que les parlementaires y tiennent tout particulièrement, la puissance publique reste garante de l'équité territoriale au sein du territoire national.
J'aborderai maintenant l'ouverture à la concurrence dans les transports guidés. En matière de transports collectifs urbains, la concurrence existe aujourd'hui dans toutes les agglomérations régionales à l'exception de l'Île-de-France.
Au cours de notre discussion, et comme je l'ai indiqué la semaine dernière devant la commission du développement durable, je défendrai un amendement sur les adaptations nécessaires pour mettre l'organisation des transports franciliens en conformité avec le règlement européen relatif aux services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route – dit règlement OSP.
Ce règlement pose trois principes essentiels.
Premièrement, lorsqu'une autorité organisatrice – locale ou nationale – décide d'octroyer à l'opérateur de son choix un droit exclusif ou une compensation financière en contrepartie d'obligations de service public, elle le fait dans le cadre d'un contrat de service public. C'est ce que nous faisons dans nos agglomérations et dans nos départements.
Deuxièmement, l'attribution de ce contrat doit se faire par la voie d'une mise en concurrence ouverte à tout opérateur, équitable et conforme aux principes de transparence et de non-discrimination – c'est aussi ce que nous faisons, les uns et les autres, sur le terrain.
Troisièmement, les contrats de service public doivent avoir une limitation de durée.
L'application de ces dispositions ne modifiera pas la situation applicable dans les agglomérations régionales. En Île-de-France en revanche, des adaptations législatives et réglementaires sont nécessaires. Le transport en Île-de-France est en effet régi par un texte ancien, l'ordonnance du 7 janvier 1959, qui octroie un certain nombre de droits exclusifs et sans limitation de durée à la RATP et qui n'impose aucune obligation de mise en concurrence préalable au STIF pour le choix d'un exploitant de service de transport public de voyageurs.
L'amendement que je défendrai a donc pour but de déterminer les conditions dans lesquelles le STIF attribuera des contrats de service public, à compter du 3 décembre 2009, aux exploitants des services de transport de voyageurs en Île-de-France. Cet amendement vise également à fixer l'échéance des droits actuels d'exploitation de la RATP dans les différents modes de transports…