Je vais vous présenter le point de vue de l'ARCEP sur la stratégie globale des fréquences mise en oeuvre par le Gouvernement, telle qu'elle a été annoncée le 12 janvier par le Premier ministre. J'insiste sur le fait qu'il s'agit d'une stratégie globale concernant l'allocation des fréquences en faveur du développement du haut et du très haut débit mobile.
Avant d'aborder les questions que pose spécifiquement l'attribution des fréquences utilisées par la technologie UMTS (Universal Mobile Telecomunications System) pour la troisième génération mobile, j'évoquerai le cadre général dans lequel s'inscrira cette politique. Il se trouve précisément que le débat parlementaire que vous aurez demain permettra une discussion sur cette stratégie d'ensemble. La situation actuelle est à la fois paradoxale et d'une grande importance stratégique pour le positionnement de notre pays dans le domaine de la téléphonie mobile. Nous constatons en effet une multiplication de la demande de services mobiles. Ainsi, le tableau d'indicateurs que nous avons rendu public hier montre qu'en une année, le débit qui passe par les téléphones mobiles a été multiplié en moyenne par 1,5 et même par 2 dans certains domaines. Cet accroissement spectaculaire s'accompagne d'un décollage de l'utilisation de l'Internet mobile. Or, la rareté des ressources en fréquences, déjà évoquée devant cette Commission, va imposer de faire des choix difficiles.
Sur le plan international, la France est en retard par rapport à de nombreux autres pays. Ainsi, l'attribution de la totalité de la bande de 2,1 gigahertz, utilisée par l'UMTS, a été achevée dans la plupart des pays de taille comparable, et d'abord européens – qui comptent d'ailleurs souvent quatre ou cinq opérateurs. Les bandes de fréquences qui seront utilisées par le très haut débit mobile nouvelle génération, qui arrivera dans quelques années, commencent déjà à être attribuées dans d'autres pays. La procédure est achevée aux États-Unis, au Japon, en Norvège et en Suède. Pour ce qui est du très haut débit, c'est-à-dire des fréquences qui permettent d'augmenter la capacité des réseaux mobiles en nombre de clients accueillis et en débits offerts par rapport aux fréquences actuellement utilisées, les Pays-Bas, l'Allemagne, l'Autriche et la Belgique ont déjà annoncé qu'elles prendraient en 2009 des décisions d'attribution. Pour ce qui est de la sous-bande, c'est-à-dire de la partie des bandes de fréquences héritées du dividende numérique allouée aux communications électroniques, des décisions commencent également à être prises en Suède et en Finlande et la réflexion est en cours dans d'autres grands pays comme l'Allemagne ou le Royaume-Uni.
Dans ce contexte, le statu quo sur les bandes de fréquences de 2,1 gigahertz qui n'ont pas encore été attribuées au titre des licences UMTS n'était pas possible, sauf à prendre du retard. Il était important que le Gouvernement et l'ARCEP puissent définir une stratégie d'ensemble pour les deux ou trois prochaines années – à commencer par 2009 – sur l'ensemble du spectre des fréquences, compte tenu de la rareté de ces dernières et de l'augmentation de leur usage, ainsi que du contexte international. En tant que président de l'ARCEP, je me suis attaché, depuis mon audition par votre Commission le 17 décembre dernier, à débloquer cette situation et à donner de la visibilité aux acteurs économiques, en particulier aux opérateurs, afin qu'ils puissent définir des stratégies d'investissement.
Ma deuxième remarque d'introduction sera donc la suivante : ce que nous faisons ici pour le haut et le très haut débit mobile, tout comme ce que nous ferons dans le domaine de la fibre, dont nous aurons certainement l'occasion de reparler cette année, est une incitation à l'investissement et à l'innovation. Ces éléments sont d'autant plus fondamentaux que, pour le fixe comme pour le mobile, les nouveaux réseaux numériques sont au coin de la rue – même si cette rue est parfois un peu longue – et porteront des services multiples pour nos concitoyens et pour les acteurs économiques. Les enjeux sont donc tout à fait considérables et, si nous nous focalisons aujourd'hui sur les fréquences, nous ne perdons pas de vue l'enjeu global du développement des nouveaux réseaux numériques.
L'Internet mobile a pris son essor. La nouvelle génération technologique qui succédera à la troisième génération et que les spécialistes dénomment « évolution à long terme », ou LTE (Long Term Evolution), permettra un véritable saut qualitatif et en débit pour les services Internet mobile. La technologie est déjà en cours de développement chez les industriels. Le Gouvernement et l'ARCEP doivent donc définir cette année cette stratégie générale en ayant à l'esprit l'avènement progressif du très haut débit mobile. À cette fin, l'ARCEP lancera à la fin du mois de février ou au début du mois de mars une consultation publique pour préparer la procédure d'affectation, d'une part de la sous-bande héritée du dividende numérique, dont les caractéristiques de propagation et de pénétration sur le territoire et dans les immeubles sont indispensable pour assurer la couverture du territoire par le très haut débit mobile, d'autre part de bandes à plus haute fréquence – 2,6 gigahertz – qui pourront supporter les nouvelles technologies.
J'ajoute que ce développement, qui est une démarche de long terme, se réalise parallèlement au déploiement de la fibre. L'une des raisons pour lesquelles nous devons avancer de façon coordonnée sur l'ensemble de ces chantiers et faire avancer notre pays et nos acteurs économiques pour le déploiement de ces nouveaux réseaux est précisément la convergence des acteurs, des besoins et des comportements des utilisateurs entre le fixe et le mobile. Il importe de resituer le débat sur l'affectation des fréquences utilisées par la technologie UMTS dans ce mouvement d'ensemble. L'ARCEP et le Gouvernement doivent donner aux élus et aux investisseurs une visibilité de la stratégie gouvernementale et du calendrier.
Lorsque nous lancerons la consultation publique sur ces futurs investissements pour le déploiement du très haut débit mobile, le calendrier de mise à disposition de ces fréquences et les conditions de leur mise sur le marché devront être complètement définis et garantis, notamment pour la sous-bande issue du dividende numérique.
Sur le long terme, des problématiques que le législateur connaît bien se poseront avec une acuité nouvelle. Ce sera par exemple le cas de la mise en commun des infrastructures par les opérateurs, parce que les fréquences basses héritées du dividende numérique et permettant d'assurer la couverture du territoire, occupent une bande étroite de 72 mégahertz, qui ne laisse de place que pour deux ou trois opérateurs au plus. Des choix difficiles s'imposeront alors entre les candidats, qui seront sans doute nombreux, et nous devons nous y préparer. La complémentarité avec la fibre est une voie à étudier : il faut une vision globale de ces nouveaux réseaux numériques. Ces choix difficiles exigeront de nous un surcroît de transparence et de débats. Outre la consultation publique, j'ai l'intention de proposer des auditions publiques avant que les décisions soient prises, probablement cet été, afin que le débat sur cette large question puisse être connu de tous.
J'en viens aux attributions de fréquences de 2,1 gigahertz, notamment à ce que la presse et tous les autres acteurs désignent comme la « quatrième licence ». Sans refaire l'historique de ce sujet, que votre Commission connaît bien, je rappellerai que la cession de l'usage des 15 mégahertz encore disponibles dans la bande de 2,1 gigahertz a été cadrée par l'intervention du Premier ministre, le 12 janvier, à la suite d'une réunion de ministres à laquelle j'ai participé, sur la base de trois lots dont un serait réservé à un nouvel entrant. Ce cadre vous sera précisé demain par les ministres lors du débat prévu par la loi.
De son côté, l'ARCEP a accéléré la préparation du dossier d'appel à candidatures. Nous attendons que les modalités financières soient fixées par le Gouvernement à l'issue du débat de demain. Nous avons déjà réfléchi à l'organisation et au « séquencement » dans le temps de l'attribution des 15 mégahertz utilisés par les opérateurs avec la technologie UMTS. Un premier appel à candidatures, portant sur le premier lot réservé, pourrait intervenir très rapidement à l'issue des consultations nécessaires du Parlement et des commissions compétentes à la fin du mois de février et au début du mois de mars. Nous lancerons parallèlement les travaux sur l'affectation des 10 autres mégahertz, qui seront également mis sur le marché dans des conditions financières qui seront elles aussi fixées par le Gouvernement. Nous souhaitons que tout cela soit achevé à l'été 2009, avec un « tuilage » entre l'affectation des 5 premiers mégahertz à un nouvel entrant et, une fois connu le résultat de l'appel à candidatures, l'affectation des 10 autres mégahertz, à laquelle le nouvel entrant, s'il y en a un, pourra bien entendu être candidat, tout comme les autres opérateurs ou d'autres acteurs.
Les modalités de cette procédure seront analogues à celles qui ont déjà été utilisées. Elle s'appuiera sur des critères de sélection auxquels nous travaillons et qui seront très semblables à ceux qui ont déjà été identifiés dans les appels à candidature précédents, en 2007 et 2000. Les obligations minimales de couverture attachées à la délivrance de cette autorisation seront identiques à celles qui accompagnaient les précédentes licences : au bout de deux ans, 25 % de la population doivent être couverts pour la voix et 20 % pour les données et, au bout de huit ans, 80 % pour la voix et 60 % pour les données. J'attache une grande importance à cette obligation, compte tenu des difficultés que présente la couverture de l'ensemble du territoire et de la demande de nos concitoyens. Les dispositions favorables à un nouvel entrant seront également reconduites : accès payant au spectre de 900 mégahertz qui, par les vertus de propagation de cette qualité de fréquences, permet une couverture de la totalité du territoire ; droit d'itinérance, c'est-à-dire la possibilité pour le nouvel entrant d'avoir accès aux dispositifs qui sont sur les réseaux de deux générations, afin de pouvoir ouvrir rapidement son service. Ce droit, encadré et transitoire, porte uniquement sur les réseaux de deuxième génération et, par conséquent, ne permet pas que se produise ce que les spécialistes appellent un phénomène de « passager clandestin », soit une fausse entrée sur le marché de la troisième génération. Sont également prévues des possibilités d'accès aux sites. Nous voulons donner un cadre favorable, défini par l'État – Gouvernement et ARCEP –, à l'arrivée de ce nouvel entrant et au développement de son activité. Ce sera ensuite à lui de jouer, dans des conditions de transparence, d'efficacité, de rigueur et de tenue des objectifs qui seront contrôlés par l'ARCEP.
Les modalités financières seront fixées par le gouvernement. Le nouvel entrant devra s'acquitter de la redevance attachée aux 5 mégahertz de la bande des 2,1 gigahertz, ainsi que de celle qui correspond aux 5 mégahertz de la bande des 900 mégahertz que je viens d'évoquer et du financement du fonds de réaménagement du spectre.
Outre les enjeux très généraux liés au déblocage de la situation de la France en matière de fréquences, les enjeux de ces orientations – qu'il s'agisse de la délivrance de l'autorisation pour les 5 premiers mégahertz ou pour les 10 mégahertz qui doivent suivre très rapidement – sont d'abord économiques et se posent en termes d'investissement. Selon les services de l'ARCEP, un réseau permettant de remplir les conditions posées ne peut fonctionner sans un investissement de l'ordre de 1,5 milliard d'euros, lui-même source de création d'emplois et de relance économique.
Le deuxième enjeu se pose en termes d'innovation : un nouvel entrant devra faire preuve d'innovation, dans les usages, dans les services offerts et dans le développement du marché – c'est d'ailleurs ce que montre le développement du haut débit au cours des dernières années.
Le troisième enjeu est celui d'une dynamique concurrentielle au profit du consommateur. Je ne saurais évaluer l'« effet prix », souvent évoqué aujourd'hui, mais nous attendons aussi un « effet service » : pour des prix sensiblement équivalents, la compétition devrait s'accélérer sur la qualité et la variété des services offerts. Enfin, au terme des travaux menés au ministère des finances ces derniers mois, notamment lors de la consultation publique de l'été dernier, le surplus social attendu pour les consommateurs serait très élevé et susceptible, le cas échéant, de compenser le manque à gagner pour les trois opérateurs actuels – même s'il m'est impossible de donner ici le résultat de ce calcul, qui me semble sujet à discussion. L'enjeu est aussi celui de la crédibilité financière et technique. La solidité financière du projet sera examinée de très près par l'ARCEP, conformément à sa mission, lors de l'appel à candidature, dont c'est un critère important.
Le dernier enjeu est celui de l'équité vis-à-vis des opérateurs déjà présents, qui seront à juste titre vigilants. L'équité doit être démontrée pour le montant de la redevance, pour les obligations de couverture et pour les critères de sélection retenus dans l'appel à candidature, qui devront couvrir le même champ que précédemment.
Un autre point important, à la convergence des enjeux économiques et de la crédibilité du projet, est le rôle des opérateurs virtuels en termes d'animation de la concurrence. En dépit de certaines analyses, il ne me semble pas que l'alternative entre un quatrième opérateur mobile et des opérateurs virtuels – les MVNO – soit une fatalité Selon moi, en effet, les deux sont nécessaires. La stratégie que nous mettons en place et qui sera reflétée dans les appels à candidature et la politique menée à la fois par l'ARCEP et par le Gouvernement, doit traiter des deux types d'intervenants. L'arrivée d'un quatrième opérateur doit pouvoir dynamiser les opérateurs virtuels et peut-être desserrer l'étau dans lequel ils sont pris actuellement. En effet, un nouvel opérateur aura besoin d'un flux d'affaires assez stable et les accords qu'il pourra conclure avec les MVNO contribueront à une certaine stabilité de ses revenus. Il faut cependant que le cadre dans lequel ces contrats seraient passés avec les nouveaux MVNO permette une certaine réactivité et un certain développement des opérateurs virtuels, insuffisamment présents sur le marché français, qui se révèle particulièrement faible à cet égard au regard d'autres marchés comparables.
Nous serons vigilants sur ce point. Tout d'abord, la relation active avec les MVNO pour les 5 mégahertz du nouvel entrant figurera dans les critères de sélection de l'appel à candidatures. En deuxième lieu, pour la deuxième phase de l'attribution de licence, qui portera sur 10 mégahertz, cette relation ne devra pas être omise et pourrait même être un critère important. En effet, l'ARCEP et le Gouvernement tiennent à laisser aux MVNO une place suffisante, compte tenu de l'avis du Conseil de la concurrence de juillet 2008 selon lequel les clauses contractuelles qui leur étaient imposées étaient probablement trop peu souples pour permettre le développement effectif de ce secteur. L'ARCEP a immédiatement écrit aux opérateurs pour leur demander leurs réactions à ces orientations formulées par le Conseil de la concurrence en amont de tout contentieux. Nous avons reçu des réponses le 15 septembre et sommes en train de relancer le dialogue sur ce sujet, qui me semble avoir toute sa place dans l'approche générale que je viens de décrire.
L'arrivée d'un quatrième entrant et l'attribution des 10 mégahertz suivants ne freineront pas la couverture du territoire et nous y veillerons. Tout d'abord, je rappelle que les opérateurs existants ont des obligations en matière de couverture et que nous serons amenés à faire le point sur cette question le 21 août, à l'échéance fixée, pour Orange et SFR – nous n'attendons d'ailleurs pas cette date pour examiner la situation afin de prendre, le cas échéant, les mesures qui s'imposeraient. En deuxième lieu, les obligations de couverture du nouvel entrant seront identiques et le fait de disposer d'une capacité sur les fréquences de 900 mégahertz permettra précisément de les satisfaire. On objecte souvent, en effet, que les 5 mégahertz dont disposera cet opérateur ne suffiront pas pour un réseau national, mais les 5 mégahertz qui se situent dans la bande des 900 mégahertz, attachés aux 5 mégahertz de la bande des 2,1 gigahertz, sont précisément ceux qui permettront cette couverture du territoire.
Enfin, l'arrivée de ce nouvel opérateur me semble devoir stimuler la concurrence même pour ce qui concerne la couverture du territoire. De fait, les efforts réalisés par exemple par Bouygues Télécom, dont on a vu le développement au cours des 18 derniers mois, pour aller le plus loin possible dans la couverture du territoire, témoignent, même si cette couverture est encore insuffisante, de l'intérêt commercial et économique manifeste qu'il y a pour les opérateurs à assurer cette couverture – ce qui leur apporte un avantage comparatif s'ils l'assurent et un désavantage comparatif s'ils ne l'assurent pas. Nous espérons donc, comme je l'ai évoqué lors de ma première audition, que cette question sera traitée.
Pour nous, investissement et innovation sont la clé de cette démarche globale du Gouvernement et de l'ARCEP et la clé qui permettra à la France de tenir son rang dans le domaine des nouveaux réseaux numériques. L'ARCEP fera le maximum en ce sens.