Comme vous le savez, le présent projet de loi a pour ambition de mieux réguler les extraordinaires opportunités d'accès aux oeuvres culturelles rendues possibles par Internet. Cette régulation doit être comprise et acceptée de tous. Le projet de loi a donc été précédé d'une concertation extrêmement poussée. Le président de la République a confié mi-2007 à M. Denis Olivennes, alors PDG de la FNAC, le soin d'animer une mission sur cette question des relations entre l'Internet et la création artistique. Cette mission a rendu son rapport à l'automne 2007 et préparé un accord historique entre les différentes parties intéressées. Signé le 23 novembre 2007 à l'Élysée, cet accord arrête un corpus d'engagements pris par 47 organisations professionnelles (fournisseurs d'accès, chaînes de télévision, représentants des ayants droits de l'audiovisuel, du cinéma et de la musique, etc.).
Le projet de loi constitue le volet préventif de cet accord et traduit l'engagement de tous les professionnels concernés de mieux favoriser l'accès aux oeuvres culturelles dans un cadre légal, mais aussi de mieux lutter en faveur d'une protection des droits attachés à ces oeuvres.
Ce texte est donc un signal positif et nécessaire envoyé aux utilisateurs d'Internet de la volonté publique de mieux réguler Internet.
Il doit être une réponse efficace dans le cadre de la révolution numérique que nous connaissons et que les pouvoirs publics ont décidé d'accompagner dans le cadre du plan numérique 2012. En effet, l'accès à tous au haut débit ne doit pas se traduire par une recrudescence du piratage. Aujourd'hui, la France compte 18 millions d'abonnés à Internet, dont près de 17 millions en haut débit. Avec un taux de pénétration du haut débit de 61 % des ménages, la France arrive en troisième position en Europe, à égalité avec le Royaume-Uni. Le plan numérique 2012 devrait encore amplifier cette bonne position puisqu'il prévoit l'accès de 100 % de la population au haut débit en 2012.
Cette révolution numérique entraîne de nombreuses évolutions dans les modes de communication bien sûr, mais aussi dans les modes de consommation et, enfin, dans certains modèles économiques. Les très bons chiffres du commerce en ligne ou « e-commerce » en témoignent avec une croissance de 29 % en 2008 pour un total de 20 milliards d'euros. Dans le domaine de la communication, les possibilités ouvertes par Internet permettent la création de nouveaux réseaux, et pas seulement chez les jeunes générations comme on le croit souvent.
Évidemment, ces nouveaux réseaux de communication ne servent pas qu'à échanger des photos de vacances ou des oeuvres légales. Le piratage est devenu un phénomène massif autant qu'inacceptable. On estime en effet que pour chaque fichier vendu légalement, 20 fichiers sont téléchargés illégalement sur le Net. Dans le domaine musical, le principal syndicat professionnel estime qu'un milliard de fichiers sont échangés illégalement pour 20 millions issus des plateformes légales. Les flux « peer to peer » représentent 80 % de l'ensemble des flux de communication numérique de l'Internet, dont une grande partie est liée au piratage.
C'est ce phénomène massif que le présent projet de loi va tenter de juguler par le biais de la « réponse graduée », qui consiste à sortir d'une logique uniquement pénale pour adopter une logique de sensibilisation progressive du contrevenant, à plus grande échelle.
Une nouvelle autorité administrative indépendante devra en effet envoyer un premier mèl d'avertissement en cas de piratage, puis un second mèl accompagné d'un courrier avec accusé de réception en cas de récidive. Ce n'est que dans un troisième temps que cette autorité administrative pourra prendre une sanction qui consiste soit en la coupure de l'accès à Internet, soit, lorsque cela sera possible, la limitation de l'accès à Internet, ou enfin l'injonction de prendre des mesures propres à prévenir un nouveau piratage.
Ce dispositif pédagogique, pragmatique, doit permettre d'apporter une réponse aux difficultés que connaît aujourd'hui la filière de l'industrie culturelle. En effet, le marché de la musique a enregistré une baisse de 50 % en 5 ans, avec une diminution de 30 % des effectifs des maisons de production, mais également la résiliation de nombreux contrats d'artistes et la diminution de 40 % du nombre de nouveaux artistes qui bénéficient d'un contrat. Aujourd'hui l'industrie culturelle se porte mal alors même que les salles de cinéma sont pleines et que les jeunes notamment écoutent énormément de musique. Les vidéoclubs, par exemple, pâtissent énormément de la situation actuelle. On ne peut donc pas laisser Internet tuer un secteur industriel et la création artistique. Faute de quoi, il n'y aurait bientôt plus rien à télécharger !
C'est à ce résultat que risque de conduire l'illusion de la gratuité des oeuvres culturelles que véhicule actuellement l'Internet : « tout, tout de suite et gratuitement ». Car c'est bien d'une illusion qu'il s'agit : les jeunes (et les moins jeunes) qui téléchargent gratuitement ne mesurent pas pour certains, aujourd'hui, les conséquences de leur acte pour eux-mêmes et pour les créateurs.
Cette illusion de la gratuité pose aussi la question de l'offre légale qui doit être un enjeu majeur du présent projet de loi. Si une musique ou un film ne se trouve pas légalement, il est presque inévitable qu'une personne intéressée aille le chercher sur des réseaux illégaux. Aujourd'hui, cette offre légale existe, soit qu'elle soit payante, soit qu'elle soit gratuite et financée par la publicité. Mais elle mérite d'être encore développée, encore soutenue. Pour ce faire, il était nécessaire de revenir sur la chronologie des médias : aujourd'hui, il existe un décalage temporel entre la possibilité de diffuser un film en salle, ou sur un support physique et par le biais de la VoD (« Video on Demand »). Ce décalage, probablement trop important (6 mois pour les DVD physiques et semaines pour la VoD), ouvre un boulevard au téléchargement illégal.
Les professionnels ont largement eu le temps d'engager une concertation dans ce domaine et ne l'ont pourtant pas fait. En ce qui me concerne, je trouve anormal que le secteur n'ait absolument pas anticipé l'adoption de la loi. Je proposerai donc que celle-ci fixe un délai de trois ou quatre mois pour que soit engagée une démarche volontaire en la matière car comme nous l'avons dit le développement de l'offre légale est l'outil qui permettra les mutations de consommation des produits culturels. Un équilibre doit donc être trouvé. Nous devons agir pour le plein respect des droits d'auteur. Nous devons également assurer au consommateur l'existence d'une offre légale intéressante, abordable financièrement et accessible. J'ai été sensible aux arguments de certains interlocuteurs que j'ai rencontrés qui font preuve d'initiative en la matière, qu'il s'agisse de plateformes d'écoute financées par la publicité et qui rémunèrent les artistes ou encore d'offres d'abonnements forfaitaires proposés par des fournisseurs d'accès (FAI).
Plusieurs amendements de la Commission des lois répondent en outre opportunément aux questions qui m'ont été soumises. Ils garantissent notamment le caractère transparent de la procédure devant la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (HADOPI), et la garantie des droits pour le justiciable. Celui-ci pourra être informé de ce qu'on lui reproche, avoir accès à la liste des oeuvres frauduleusement téléchargées sur demande et pourra formuler des observations à l'HADOPI dès l'envoi du premier mail. En outre, une seule des sanctions prévues (coupure, limitation d'accès, ou installation d'un logiciel anti-piratage) pourra être imposée par l'HADOPI.
Dans l'ensemble, il s'agit donc d'un projet de loi qui adopte une démarche constructive et pragmatique. Il ne sera peut-être pas la panacée compte tenu de l'évolution très rapide de la technique. Mais il invite l'internaute à une conduite citoyenne et à une réflexion sur les modalités de la diffusion de la création sur Internet.