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Intervention de Franceline Lepany

Réunion du 28 avril 2009 à 16h00
Mission d’évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes

Franceline Lepany, avocate au barreau de Paris :

Je limiterai mon propos aux violences faites aux femmes dans le cadre des relations du travail, en essayant d'être aussi objective que possible, sachant que j'exerce comme avocate auprès des salariés et des syndicats. Je commencerai par deux remarques préliminaires.

D'abord, le débat sur les violences au travail ne se limite pas aux femmes, même si je conviens que le besoin qu'elles ont de travailler les place souvent dans une situation de soumission et qu'elles peuvent accepter plus facilement des conditions de travail extrêmement dures.

Ensuite, je constate un clivage énorme entre les grandes et les petites entreprises. Dans les premières, des instances internes – instances représentatives du personnel, DRH – jouent le rôle d'interface entre l'employeur et les salariés. Dans les secondes, ces derniers peuvent difficilement faire valoir les dispositions du code du travail, faute de représentants ; ils vivent dans une proximité avec l'employeur qui, quand le dialogue existe, place celui-ci sur le mode affectif, ce qui peut être le pire.

Je ne parlerai pas des violences physiques, qui le plus souvent sont liées au harcèlement sexuel, car dans le cadre de ma vie professionnelle j'ai eu surtout à travailler sur le « harcèlement moral ».

Je n'aime pas cette notion et je demande aux salariés de ne pas l'utiliser d'emblée pour me présenter leur situation. En effet, il est très rare que la jurisprudence reconnaisse le harcèlement moral tel qu'il est défini dans le code du travail. Comment cela se passe : le salarié doit établir les faits susceptibles d'être admis comme du harcèlement moral, et non se contenter de les présenter. Quant à l'employeur, il doit apporter la preuve que les faits dont il s'agit sont liés à une réalité objective, comme la situation économique ou le lien de subordination auquel est soumis le salarié.

Dès lors, à partir de quand y a-t-il harcèlement moral ? Lorsque des salariés se prétendent harcelés moralement parce qu'ils reçoivent beaucoup de mails, par exemple, il peut simplement s'agir d'une réaction à une insubordination. On peut également avoir des déconvenues car il arrive que le salarié soit lui-même harceleur. Le harcèlement moral est une situation très complexe et Mme Hirigoyen, qui ne nous a pas facilité la tâche avec cette notion, a même été obligée d'écrire un autre livre pour expliquer comment discerner le vrai harcèlement moral du faux!

C'est pourquoi on essaie de déplacer le débat sur le terrain de l'obligation de sécurité de l'employeur, inscrite à l'article L 230-2 du code du travail, ou encore de l'exécution loyale du contrat de travail, figurant à l'article L 120-4 du même code, qui n'est ni plus ni moins que la transposition de l'article 1134 du code civil. De cette façon, on part non pas des agissements répétitifs comme le veut la définition du harcèlement moral, mais du contrat et de son exécution dans le cadre du lien de subordination avec l'employeur.

Dans les grandes entreprises, divers outils permettent de lutter contre ces situations difficiles pour les salariés. Il en existe un qui est très peu utilisé : le droit d'alerte. Il permet au salarié de signaler sa situation aux délégués du personnel, lesquels peuvent alors demander une enquête interne qui sera menée avec lui et le directeur du personnel. Mais bien souvent, les salariés ont peur de s'exposer et les délégués du personnel eux-mêmes craignent de voir la procédure aboutir à une plainte en diffamation ou en dénonciation calomnieuse - et tout le monde se tait.

Je préconise donc le déclenchement de ce système d'alerte en cas de problème d'« exécution du contrat de travail », notion contractuelle moins fortement connotée, susceptible de déboucher sur le harcèlement moral, voire le harcèlement sexuel. Inutile de vous dire qu'il n'y a pratiquement pas de condamnations en matière de harcèlement sexuel, l'acte en lui-même ne suffisant pas puisqu'il faut démontrer l'objectif « d'obtenir des faveurs de nature sexuelle », comme le prévoit l'article 222-23 du code pénal, ce qui est très difficile. Du coup, le harcèlement sexuel se transforme en harcèlement moral et, au bout du compte, il n'y a pas de décision.

Je conseille aussi d'intervenir en amont pour aider les salariés. Certaines entreprises ont réfléchi, avec leurs services de relations humaines, aux moyens de les aider à exprimer leur malaise. En effet, la souffrance des salariés n'est pas forcément due à la présence d'un pervers narcissique, elle vient souvent aussi de l'organisation de l'entreprise qui les place dans une situation de soumission.

L'arsenal juridique existe, mais il conviendrait de développer l'intervention des inspecteurs du travail sur ce terrain. Actuellement, les inspecteurs du travail interrogent de façon anonyme les personnes qui se disent victimes de harcèlement moral et n'entendent que les salariés. Les employeurs font donc valoir devant la juridiction le caractère non contradictoire de l'enquête.

Il faudrait que l'on examine s'il y a « exécution loyale du contrat de travail » par l'employeur, de façon plus globale et notamment en matière d'organisation du travail du salarié.

En revanche, je suis totalement démunie face aux problèmes qui se posent dans les petites entreprises, où les salariés n'ont pas de représentants du personnel pour réclamer de l'employeur le respect des dispositions du code du travail.

Pour terminer, je voudrais évoquer l'esclavage moderne. Cette « servitude domestique », constitue une réelle situation de violence. Un groupe de travail a été constitué au ministère de l'intérieur sur la traite des êtres humains.

Il est très difficile de mener des enquêtes sur ces situations car les policiers ne peuvent entrer dans un domicile privé. Ils demandent, en outre, qu'on leur démontre qu'il existe un contrat de travail, ce qui est évidemment impossible car ces personnes sont dans un état de servitude totale. Ce sont souvent des femmes qui arrivent avec des diplomates. Elles doivent tout faire dans la maison, sont mal logées, mal nourries, bref sont soumises nuit et jour à des conditions de vie épouvantables.

Nous avons essayé de sortir des femmes de cette situation et de demander la requalification de leur situation en contrat de travail. D'abord, il a fallu faire reconnaître au pénal que la personne avait des conditions de vie inhumaines, pour ensuite faire reconnaître devant la juridiction prud'homale le travail dissimulé. Cela prend des années… Je travaille avec le Comité contre l'esclavagisme moderne, qui accompagne ces femmes, les place dans des foyers et les aide à se reconstruire au moyen de ces procédures pénales et prud'homales. Mais encore une fois, il est évidemment difficile de démontrer le travail dissimulé si les policiers ne peuvent pas entrer.

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