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Intervention de Pierre Lellouche

Réunion du 29 octobre 2008 à 17h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Lellouche, rapporteur :

Depuis la révision de l'article 35 de la constitution, le Parlement est associé à la décision de maintenir une opération extérieure. Les parlementaires en sont donc les coresponsables. C'est dans ce contexte qu'il fallait instituer cette mission d'information.

Au cours de ce premier séjour en Afghanistan, nous n'avons pas eu le temps d'aborder les questions liées à la drogue ni de travailler sur la situation économique ou de balayer l'ensemble des aspects militaires. Le temps a manqué, par exemple, pour effectuer un déplacement en Surobi. Ces points seront l'objet d'étapes ultérieures.

Au cours de ce séjour, nous avons pu nous féliciter de l'accueil qui nous a été réservé par les instances diplomatiques et militaires. Tous les éléments d'information souhaités nous ont été transmis. En revanche, de retour en France, nous éprouvons les plus grandes difficultés à obtenir du ministère de la défense une carte du dispositif français et les détails concernant les retours d'expérience des trois dernières embuscades les plus importantes, dont celle du 18 août dernier. Il n'est, dans ces conditions, pas encore possible d'étayer nos réflexions par des éléments matériels.

L'actuel conflit afghan est une guerre, d'un genre particulier, « à la carte », qui met en présence trois types de protagonistes : ceux qui se battent, ceux qui ne se battent pas et ceux qui « font semblant ». Il faut rappeler que le conflit a débuté en 2001 et qu'il s'agissait alors d'une intervention essentiellement américaine, fondée sur la légitime défense. La clause de sécurité collective de l'article 5 de la charte Atlantique a été invoquée pour la première fois, à l'initiative de la France. Notre pays a participé alors au renversement du régime taliban, et nous sommes engagés depuis cette époque en Afghanistan.

Ce pays était toutefois en en proie à l'instabilité depuis de longues années. On peut ainsi considérer qu'il subit la guerre depuis trente ans, avec notamment l'intervention soviétique, de 1979 à 1988-1989. À cet égard, j'attire votre attention sur le fait que les Soviétiques se sont retirés après avoir compté environ 13 000 tués ou blessés sur les 108 000 militaires qu'ils avaient engagés, et après avoir perdu la maîtrise de l'environnement aérien, lorsque l'insurrection de l'époque a disposé de missiles Stinger, fournis par les États-Unis. Il s'en est suivi une guerre civile qui s'est achevée avec l'installation au pouvoir du régime taliban qui a introduit Al-Qaida sur le territoire. Après les attentats du 11 septembre, deux forces ont été déployées : l'Operation Enduring Freedom (OEF) de lutte contre le terrorisme et dont les 13 700 militaires sont, pour l'essentiel, américains. L'autre force, l'International Security Assistance Force (ISAF, ou FIAS en français), a été créée après la conférence de Bonn d'octobre 2001. En 2003, à la demande des pays la composant, et notamment de l'Allemagne et des Pays-Bas, son commandement a été confié à l'OTAN. Les deux forces agissent dans la légalité internationale : sous mandat de l'ONU pour la FIAS, et avec son accord pour l'OEF.

À partir de 2003, avec l'engagement des États-Unis en Irak, la question afghane a été gérée « à l'économie » : la France ne se bat pas directement, mais assure le commandement de l'aéroport de Kaboul et participe à la formation de l'armée afghane. Ce n'est qu'en avril 2008, avec le sommet OTAN de Bucarest, que la présence militaire française a connu un tournant décisif.

La question est souvent posée de l'articulation des deux missions : il est évident qu'elles interagissent. Il est à noter que les américains n'opèrent pas de distinction entre la FIAS et l'OEF, les deux forces étant placées sous le commandement du général McKiernan, qui est d'ailleurs le seul en Afghanistan à disposer d'une connaissance d'ensemble de ce qui se passe sur le terrain.

Au cours de cette période, la société afghane a réalisé des progrès importants dans les domaines de l'éducation, des infrastructures, du développement économique – avec une croissance d'environ 8 % en 2006 et 2007 –, de l'armée (l'armée nationale afghane – ANA – compte aujourd'hui 63 000 hommes). Des élections ont pu se tenir en 2004. Malgré cela, la dégradation conséquente de la situation sécuritaire fragilise la reconstruction économique et civile et favorise la « bunkerisation » des forces alliées entraînant une coupure totale entre la population et les occidentaux. Grâce à des techniques simples, leur mode d'action par petits groupes et leur mobilité, les insurgés immobilisent un très grand nombre de forces. La situation est aujourd'hui bloquée : les insurgés sont empêchés de reprendre Kaboul ou de se regrouper mais leur nombre ne faiblit pas et ils ont l'initiative militaire.

Il n'y aura pas de solution au conflit si rien n'est fait pour résoudre le problème de la drogue. Le ministre en charge de la lutte contre les narcotiques nous a fait part d'une légère amélioration dans ce domaine, mais semble pessimiste quant à l'avenir. Il nous a paru particulièrement impuissant.

La question pakistanaise doit aussi être réglée. Il faut rappeler que la ligne Durand traverse artificiellement la zone de peuplement pachtoune. Pour ainsi dire, la notion de frontière n'y existe pas vraiment. Il s'agit là d'une donnée fondamentale, qui nourrit le constat selon lequel aucune évolution favorable ne sera possible sans la coopération du Pakistan. À cet égard, il est positif de relever que le nouveau président semble afficher un comportement plus volontariste. D'ores et déjà, il existe un dispositif tripartite, ISAF – Pakistan – gouvernement afghan, qui traite de la coopération en zone tribale. Nous entendons nous y intéresser de plus près à l'avenir.

S'agissant de la reconstruction économique, les Provincial Reconstruction Teams (PRT) ont été mises en place dans différentes régions. La France a pour l'instant refusé d'y participer, ce qui illustre le constat général que nous dressons, selon lequel l'investissement français en Afghanistan se caractérise par la grande faiblesse de son aide civile au regard des dépenses militaires. Cette position paraît problématique : avec 150 à 170 millions d'euros, elle figure en effet parmi les premiers contributeurs au plan militaire mais le Quai d'Orsay n'a décaissé l'année dernière que 11 millions d'euros en faveur de la reconstruction. L'ambassade de France à Kaboul ne compte aucun attaché commercial et aucune entreprise française n'est implantée en Afghanistan. La seule entité française dans le pays est l'hôpital Mères et Enfants, qui fonctionne grâce à une subvention de l'Agha Khan.

J'en viens maintenant aux questions relatives à l'organisation militaire.

Tout d'abord, il m'apparaît important de rappeler qu'un des éléments-clés de l'afghanisation réside dans la formation des forces armées afghanes. Plusieurs milliers de soldats ont été ainsi formés dans le cadre de deux dispositifs, les Operational Mentoring and Liaison Teams (OMLT), qui forment des unités de l'armée afghane, et l'opération Epidote, qui se focalise sur ses cadres et ses forces spéciales. Nous avons toutefois relevé deux axes d'optimisation de notre action. Nous recommandons, d'une part, la fermeture d'une OMLT conduite avec nos alliés néerlandais en raison de l'éloignement manifeste de nos bases : deux jours de transport sont nécessaires pour rejoindre le campement. D'autre part, le transfert de souveraineté doit se faire au profit de formations qui ont été au contact de nos forces. Or, trop souvent, ce passage de relais s'effectue vers des unités qui n'ont pas été formées par nos armées, ce qui peut se révéler préjudiciable pour le bon déroulement du processus d'afghanisation.

En deuxième lieu, c'est la cohérence du dispositif militaire qui doit être recherchée. Nos soldats sont répartis entre deux zones militaires qui relèvent de commandements distincts. D'un côté, la région de Kapissa dans laquelle exerce notamment le 3e RPIMa est placée sous le commandement du général américain Schloesser. D'un autre côté, le district de Surobi regroupe des unités militaires placées sous commandement français, à savoir celui du général Stollsteiner. Or, si dans le secteur américain, la coordination avec les moyens de l'OTAN et d'Enduring Freedom est assurée tant sur le plan logistique qu'opérationnel, la planification conjointe ne semble pas opérante pour les forces situées dans le secteur de Surobi. Cette absence de coordination met alors en lumière les propos du général Stollsteiner, pour lequel je cite « nous avons pêché par excès de confiance ». L'interopérabilité des moyens, qui passe par une planification commune avec les autres autorités, constitue donc un enjeu fondamental.

S'agissant enfin des soldats envoyés en Afghanistan, je tiens à souligner que les propos relayés par les médias français n'ont en rien affecté leur moral. J'ajoute que les blessés que nous avons pu visiter ont conservé toute leur motivation. Par ailleurs, l'équipement de nos soldats nous apparaît adapté à la situation, même si des améliorations sont toujours possibles. Sur le plan de la protection, nous avons ainsi constaté que le surblindage des VAB était bien en cours, que les nouveaux gilets pare-balles avaient été livrés. A contrario, il est nécessaire de modifier les conditions de protection de nos véhicules logistiques dont le blindage reste pour le moins superficiel. En ce qui concerne les systèmes de reconnaissance et d'écoute, nous pensons que la livraison de trois matériels permettrait de perfectionner nos actions : l'envoi de systèmes d'écoute dits de « renseignement d'origine électromagnétique » (ROEM), la modernisation des pods laser placés sur nos Mirage, et l'acquisition du dispositif ROVER pour garantir la communication entre nos pilotes et nos bases.

En conclusion de cette présentation, les principales difficultés qu'il nous faut résoudre sont d'ordre stratégique. L'organisation des commandements doit être revue afin d'assurer une interopérabilité des moyens effective. En outre, la possibilité d'adjoindre une autorité militaire française ou européenne au commandement militaire américain nous garantirait une vision de l'ensemble du conflit ainsi qu'une réelle capacité de co-décision. Au-delà de ces aspects militaires, d'autres actions doivent être menées en termes de présence économique française, de lutte contre la drogue et d'accroissement de nos moyens de coopération civile.

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