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Intervention de Serge Poignant

Réunion du 27 mai 2009 à 10h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSerge Poignant, rapporteur :

– Lorsque les Pères de l'Europe ont porté le projet européen sur les fonts baptismaux, leur action s'est concentrée sur le charbon et l'acier. Ce choix n'avait rien d'anodin, car la politique énergétique constituait à l'époque la pierre angulaire de la Reconstruction. Nul ne prétendra que ce secteur ait perdu de son importance alors que s'avancent les menaces conjointes de la crise économique et du changement climatique, alors que nous devons repenser notre mode de vie suivant les principes du développement durable. Notre pays s'est déjà engagé sur ce chemin à travers le Grenelle de l'environnement, dont l'examen du second volet commence au Sénat, et c'est peu dire que notre commission a pleinement joué son rôle dans la définition des objectifs et des moyens fixés, sous l'impulsion de notre président Patrick Ollier et de notre rapporteur Christian Jacob. Il y quelques années déjà, j'avais moi-même eu le privilège de rapporter la loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique, qui a tracé les lignes de force de la stratégie française pour les prochaines décennies ; j'avais également contrôlé sa bonne application avec Philippe Tourtelier en janvier 2008.

Si la France s'est déjà bien avancée dans la réflexion sur les problématiques de l'énergie, il revenait à l'Europe de se livrer à pareille introspection. Force est de constater que la politique communautaire de l'énergie n'a occupé qu'une place marginale une fois enregistrés les premiers succès de la CECA. Il a fallu attendre la deuxième moitié des années 1990 pour lire les premières directives relatives à l'électricité et au gaz, et encore peut-on déplorer qu'elles aient été conçues pour la réalisation économique du marché intérieur plutôt que dans une optique plus politique de constitution d'une véritable stratégie énergétique.

Il était donc temps de rectifier les erreurs du passé. Inspirée en grande partie par la présidence française de l'Union, la Commission européenne a livré une analyse stratégique de la politique énergétique approuvée par le Conseil européen du 20 mars 2009. Il devrait en découler dès l'an prochain un plan d'action dans le domaine de l'énergie, lequel posera des bases durables à la politique intérieure et extérieure de l'Union. C'est parce qu'il revient à la France de porter une parole forte dans ce secteur que la commission des affaires européennes a élaboré la proposition de résolution que nous examinons aujourd'hui, afin que l'Assemblée nationale soutienne le gouvernement dans ses négociations à Bruxelles. Le débat sur l'énergie prévu dans l'hémicycle le 3 juin prochain donnera d'ailleurs un écho supplémentaire à la position française.

Je ne me livrerai pas au commentaire exhaustif du rapport de nos collègues André Schneider et Philippe Tourtelier. D'une part, cela réclamerait un temps considérable tant le sujet m'apparaît vaste et lié à quantité de problématiques connexes. D'autre part, je ne pense pas utile d'ajouter mon analyse à la leur, car elle m'apparaît pertinente et consensuelle. Je me bornerai seulement à souligner quelques traits qui me semblent d'une importance fondamentale et qui justifient les rares corrections que je suggère d'apporter à la proposition de résolution.

Nous savons pourquoi l'Europe s'est brutalement éveillée de son sommeil sur les questions énergétiques. Les Etats de la communauté économique européenne bénéficiaient à la fois d'un cadre de marché réglementé et, globalement, d'une sécurité d'approvisionnement qui les mettaient à l'abri des plus mauvaises surprises. Certes, il y eut dans les années 1970 les chocs pétroliers, mais ils n'eurent d'influence que sur les coûts et non sur l'énergie elle-même. Les hydrocarbures n'ont jamais manqué, il suffisait d'y mettre le prix. Depuis son élargissement à l'est, l'Union européenne affronte une situation jusque-là ignorée. Nos partenaires de l'ex-Europe de l'Est se sont trouvés confrontés, avec la crise gazière de janvier 2009, à une rupture de leur approvisionnement sans que leur capacité de paiement ne soit en cause. Cet évènement a mis en lumière la dépendance énergétique de ces Etats, tributaires de la bonne volonté de Moscou et dénués de solution de secours. Il implique une solidarité sans faille et une prospective efficace pour s'assurer que les mêmes causes, si elles devaient se reproduire, n'entraîneraient plus les mêmes effets.

L'analyse stratégique avancée par la Commission européenne s'articule par conséquent logiquement autour d'une idée force, la sécurité énergétique. C'est désormais l'objectif poursuivi au premier chef, et les autres politiques sont coordonnées de façon à y concourir. C'est pour éviter un black-out que les interconnexions sont défendues, outre leur contribution à l'édification du marché intérieur. C'est pour réduire les besoins en énergie et la dépendance extérieure que la maîtrise de la consommation est encouragée, en sus de l'impératif respect de l'environnement. C'est pour enrichir le bouquet énergétique sans risque que la sûreté nucléaire est mise en avant, comme d'ailleurs les énergies renouvelables. C'est à la diversification de nos sources d'approvisionnement que doivent participer les bonnes relations de l'Union avec les Etats de son voisinage immédiat.

En ce qui concerne cette sécurité énergétique, il me semble que la France peut valablement se prévaloir d'une situation qui lui assure depuis plusieurs décennies une certaine indépendance vis-à-vis de pressions extérieures. Entre l'option nucléaire civile, réaffirmée par tous les présidents de la République depuis Charles de Gaulle jusqu'à Nicolas Sarkozy, qui nous a procuré en 2004 plus de 40% de l'énergie que nous avons consommée, et la sagesse qui nous conduit à diversifier notre bouquet énergétique, nous pouvons – au prix de quelques corrections bien sûr – donner un modèle réaliste à l'échelle européenne.

La grande question est celle de l'approvisionnement gazier des nouveaux entrants de l'Union européenne. Nos collègues de la commission chargée des affaires européennes ont recensé l'ensemble des parades envisageables au cas où une nouvelle crise gazière entre Kiev et Moscou secouerait le continent. Je ne reviendrai pas sur la pertinence d'une réversibilité des flux de distribution, encore qu'elle m'apparaisse techniquement délicate, ni sur la nécessité de réviser la directive de 2004 sur la sécurité d'approvisionnement en gaz naturel, ni même sur le caractère souhaitable d'une extension de nos capacités de stockage dans une optique de solidarité avec nos partenaires, bien que le coût d'une telle initiative appelle à être précisé. Le vrai débat, et la proposition de résolution me semble claire dans ses points 2 et 3, est celui de la diversification des sources d'approvisionnement. Un véritable effort diplomatique doit être lancé, qui réunisse la totalité des membres de l'Union européenne sur une position commune. Nous ne pouvons nous permettre de faire durer toujours cette valse hésitation entre Nord Stream, South Stream et Nabucco. Nous ne pouvons, non plus, nous adresser de façon inintelligible à cette grande puissance qu'est la Russie. Nos intérêts communs ne seront bien défendus que lorsqu'ils seront exprimés sans réserve. Les gouvernements, les diplomaties doivent s'accorder, sans quoi l'indépendance énergétique ne sera qu'une chimère, et les traités qu'une transition entre deux épreuves de force. Je l'ai encore constaté le mois dernier, lorsque je représentais l'Assemblée nationale à la Grande commission franco-russe.

Au regard des actions à entreprendre à l'intérieur de nos frontières, la proposition de résolution de nos collègues et le rapport qui l'accompagne me pousse à quelques remarques.

Premièrement, je souscris à l'analyse selon laquelle la multiplication des sources d'approvisionnement ne suffit pas à garantir la sécurité énergétique. Il nous faut, nous l'avons dit et nous sommes en train de le faire, contrôler notre consommation d'énergie et accroître nos capacités de production à l'intérieur de nos frontières. Je me permets de rappeler que ce n'est jamais, appliqué à l'Europe, que le principe de sagesse qui dirige la France depuis la loi de 2005.

Deuxièmement, la France souscrit au triple vingt européen et le Grenelle de l'Environnement a transcrit cet engagement dans la loi nationale en portant spontanément l'objectif d'énergie renouvelable de 20% à 23%. Le point 4 de la proposition de résolution appelle à rééquilibrer la consommation d'énergie en Europe au bénéfice des productions de source renouvelable. Nul ne peut désapprouver cette orientation. Néanmoins, je tiens à réagir aux conclusions présentées par le rapport qui laissent apercevoir une priorité dont pourrait bénéficier la filière éolienne au détriment, notamment, de l'énergie solaire. Nous savons que si la carte des vents peut être habilement exploitée pour une production électrique, des questions perdurent quant à l'acceptabilité des éoliennes. Je doute qu'une impulsion donnée en faveur des parcs marins génère des réactions enthousiastes de la part des gens de mer et des populations côtières. Le rapport de la commission des affaires européennes me semble également passer bien vite sur les potentiels de l'énergie solaire photovoltaïque – sujet que je connais bien puisque le président Ollier m'a confié une mission d'information dont je vous présenterai les conclusions prochainement. On reproche au photovoltaïque son coût élevé, ce qui est exact aujourd'hui mais ne le sera pas demain : la parité réseau est escomptée dès 2012 en Italie et quelques années plus tard en France. Quant à la crainte de conflits d'usage et de captation des terres arables, un cadre réglementaire concis suffirait à la prendre en compte.

Enfin, il est proposé d'installer des centrales solaires en Afrique du Nord pour développer ces territoires et rapatrier vers l'Europe une partie de l'électricité ainsi produite. Il est souhaitable de permettre aux populations locales de se développer et de produire elles-mêmes une énergie propre. Tous applaudiront cette initiative. Mais si elle est bonne pour eux, elle ne le sera pas forcément pour nous. Alors que nous réfléchissons à garantir notre sécurité d'approvisionnement et notre indépendance énergétique, quel sens y aurait-il à implanter à l'étranger nos capacités de production, les laissant à la merci d'un bouleversement politique ? L'ouverture en faveur du développement, dans le cadre de l'Union pour la Méditerranée promue par le Président de la République, reste prioritaire sans que les nations européennes ne cherchent absolument à exploiter à leur bénéfice les ressources du sud, fussent-elles renouvelables.

Troisièmement, je regrette que les sages exposés de nos collègues sur la nécessaire relance nucléaire sur le continent européen et l'apport majeur de l'énergie atomique au bouquet énergétique de l'Union trouvent place dans leur rapport mais non dans la proposition de résolution qui nous est soumise. En février dernier, le Parlement européen n'a pas manqué de souligner « l'importance de l'énergie nucléaire qui est produite dans 15 des 27 Etats-membres, utilisée dans un plus grand nombre encore d'Etats-membres et qui couvre près du tiers de la demande en électricité de l'Union. » La France, à nouveau, bénéficie dans ce domaine d'une compétence que l'Union pourrait utilement mettre à profit. Si nous voulons réellement réduire nos émissions de carbone, le sentiment que les seules énergies renouvelables puissent nous le permettre semble chimérique à court terme et très idéaliste à moyen terme.

Or la proposition de résolution ne traite de l'atome que par le prisme de la sûreté nucléaire, du fait de l'imminence d'une nouvelle directive communautaire sur ce sujet. Par ailleurs, si des règles communes sont admissibles et même souhaitables pour une plus grande sécurité des installations et des produits, la France considère que les autorités de contrôle doivent demeurer de la responsabilité des Etats, en vertu du principe de subsidiarité. Aucune économie d'échelle n'est en effet à espérer d'un hypothétique organe communautaire de contrôle, les meilleures vérifications se réalisant toujours au plus près du terrain. Nous pouvons d'ailleurs nous féliciter que cette position inspirée par la France figure en toutes lettres dans la proposition de directive.

Enfin, quatrièmement, la proposition de résolution approuve la priorité donnée par la Commission au développement des interconnexions électriques et gazières dans l'Union européenne ainsi que le travail de fond mené par les coordonnateurs européens sur quatre projets majeurs. Cette prise de position est à même de renforcer la sécurité énergétique de chaque Etat en mettant en commun les ressources de tous. Tout au plus devons-nous insister sur l'importance d'une association des populations concernées au premier chef par ces interconnexions et sur le fondamental respect des territoires qui doit présider à leur mise en oeuvre. Il est inutile de réitérer les erreurs du projet de très haute tension entre la France et l'Espagne qui, au terme de multiples reports et délais, a fini par privilégier la voie de l'enfouissement pour apaiser les craintes environnementales des habitants.

Sous ces quelques réserves traduites en trois amendements, j'invite à accueillir favorablement la proposition de résolution qui nous est soumise, et je remercie André Schneider et Philippe Tourtelier pour la qualité de leurs investigations et la pertinence de leurs conclusions.

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