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Intervention de Michel Terrot

Réunion du 20 novembre 2007 à 17h00
Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Terrot :

a observé qu'il s'agit d'une immense question, qui a été au coeur de la réflexion des historiennes et qu'elle-même a abordée dans le livre : Les femmes ou les silences de l'histoire.

Pour tenter d'y répondre, il faut d'abord rappeler l'ambiguïté du mot « histoire ». Dans la langue française, il recouvre deux réalités qui sont distinctes en anglais : le mot « story » y signifie ce qui s'est passé et les traces qui en restent dans les sources, les archives et les monuments ; le mot « history » est le récit que les historiens et les historiennes en font.

Or, ce récit est un regard, qui change au cours du temps. On n'écrit plus l'histoire maintenant comme on l'écrivait il y a cent cinquante ans et on ne l'écrira pas de la même manière dans vingt ou trente ans parce que les questions que l'on se pose ne sont pas les mêmes et aussi parce que les méthodes évoluent. Le récit de l'histoire est un médiateur entre les questions du présent et ce qui s'est passé autrefois. Aujourd'hui, c'est l'histoire très contemporaine qui intéresse les chercheurs. Pourquoi la Seconde guerre mondiale ? Pourquoi le nazisme, la shoah ? Ces questions cruciales sont largement débattues et l'on s'aperçoit que la réponse se fait avec des documents différents tels la photographie, les images, les films.

L'histoire des femmes est née de la question posée par les femmes il y a une trentaine d'années sur leur place dans l'histoire. Puisqu'on ne parlait pas d'elles, elles ont décidé de le faire.

Reste la question de savoir pourquoi, alors que les femmes ont toujours existé, vécu, travaillé, aimé, fait des enfants et beaucoup d'autres choses, elles n'ont pas plus de place dans l'histoire que l'on écrit. La raison en est que, à partir du moment où l'histoire a existé comme récit – c'est-à-dire à partir des Grecs avec Hérodote et Thucydide qui ont commencé à réfléchir à ce qu'était le temps des hommes, en délaissant la mythologie des dieux –, il n'a été question que des choses publiques – les guerres, les règnes – et non de la vie privée et quotidienne, des lieux cachés et obscurs où étaient les femmes.

Pendant les travaux préparatoires à la publication de l'ouvrage collectif l'Histoire des femmes en Occident, la spécialiste d'histoire ancienne et notamment d'histoire grecque, Pauline Schmitt, a souligné ses difficultés à raconter l'histoire des femmes grecques. Elle n'avait presque pas de traces. Il a fallu faire appel à un historien qui travaillait sur les vases grecs pour y étudier la manière dont étaient représentées les femmes, notamment dans leur rapport avec les hommes.

Les premiers historiens ne parlent pas des femmes parce que ce qui est considéré comme important, c'est l'histoire publique, où les femmes ne sont pas. Autrement dit, le récit historique se construit sur le mode de la virilité. C'est un récit des faits et gestes des hommes.

Au fil du temps, les choses changent. Les chroniqueurs du Moyen-Âge parlent davantage des femmes et celles-ci entrent en scène progressivement. Au XVIIIe, les historiens en parlent également davantage. Le grand historien du XIXe siècle, dont la République française se revendiquera et qui a écrit une histoire de France et une histoire de la Révolution française, Jules Michelet, parle des femmes. Cependant, on s'aperçoit qu'il a sur les hommes et les femmes les idées de son temps, c'est-à-dire qu'il y a des rôles sexuels à respecter : les hommes interviennent dans la vie publique et la politique, les femmes dans la sphère familiale et privée. Par exemple, il trouve magnifiques les femmes des 5 et 6 octobre 1789 parce qu'elles agissent comme des mères et des ménagères et remplissent donc leur rôle, mais il déteste Catherine de Médicis parce qu'elle a voulu régner quand elle était régente. Michelet la rend d'ailleurs responsable de la Saint-Barthélémy !

S'il existe des obstacles à la reconnaissance de la place des femmes dans l'histoire, c'est à cause de ces représentations qui président à la construction du récit historique. Quand les femmes ont voulu qu'il y ait une histoire des femmes, elles ont bien sûr étudié ce qu'elles faisaient dans la sphère privée – leur rôle de mère, leur travail – mais ont également parlé de leur intervention sur la scène publique, par exemple, leur rôle dans la résistance.

La troisième question porte sur la façon de sensibiliser enseignants et parents à ces thématiques et les résistances rencontrées.

Premièrement, la sensibilisation à l'histoire des femmes va au-delà de l'enseignement de l'histoire. Elle doit commencer dès la petite enfance dans les rapports entre les garçons et les filles. La manière dont les enfants jouent dans la cour de récréation – sans renoncer, bien entendu, à être des garçons et des filles – est très importante. Il y a toute une culture enfantine et adolescente dans les écoles qui est essentielle pour la suite des événements.

Deuxièmement, les enseignements dans les IUFM sont très importants. Il faut qu'il y ait des enseignements sur l'histoire des femmes et que toutes les recherches actuelles sur le sujet passent à travers eux.

Troisièmement, le rôle des professeurs, est primordial. On s'aperçoit que les hommes se sentent quelquefois un peu culpabilisés, surtout dans la nouvelle génération, et se disent qu'ils ne peuvent pas faire autrement que de parler des femmes. À l'inverse, certaines femmes ne veulent pas trop en parler de peur d'avoir l'air d'être trop féministes. Ces tendances ne sont pas générales mais montrent qu'on peut attendre beaucoup des jeunes hommes.

Cela étant, statistiquement, le rôle des professeurs femmes est très important. Celles qui ont une cinquantaine d'années aujourd'hui ont vécu le féminisme et peuvent donc témoigner de leur expérience. On ne sait pas ce qu'il en sera pour la génération qui vient. D'où l'importance d'interroger des personnes sur le terrain. Dans certains collèges et lycées, la transmission bute. Cela peut provenir du rapport entre garçons et filles. Si la mixité est globalement un bénéfice, elle pose parfois des problèmes quand les garçons et les filles vivent des situations d'identité sexuelle difficile. Dans un tel contexte, un professeur désireux de parler de l'histoire des femmes pourrait rencontrer des difficultés.

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