L'association Femmes solidaires est un mouvement national féministe d'éducation populaire qui regroupe 189 associations locales sur tout le territoire. Son réseau de 10 000 adhérentes se compose de femmes d'âge et d'origine sociale, culturelle et politique, très divers. Depuis 2004, l'association bénéficie d'un statut consultatif auprès des Nations Unies.
Femmes solidaires construit ses campagnes à partir de la parole des femmes. Nos associations locales sont implantées dans les quartiers, au plus près des femmes. C'est cette parole qui nous a poussés, en 2003, à organiser une trentaine de débats à travers la France sur le thème « Laïcité, mixité, égalité pour les droits des femmes », et c'est elle encore qui nous a incités à prendre position en faveur d'une loi contre le port du voile à l'école et à participer aux travaux de votre mission parlementaire.
Les mots burqa ou niqab évoquent pour nombre d'entre nous des pratiques en vigueur en dehors de nos frontières, ce qui dédramatise le port du voile dans notre pays. Certains considèrent que la burqa est afghane et peu répandue chez nous, donc sans danger. Mais même si le voile intégral est plus impressionnant que le foulard qui couvre la tête des femmes, ils renvoient tous deux aux mêmes symptômes et produisent les mêmes conséquences : dans les deux cas, le corps des femmes est l'enjeu d'une guerre contre leur liberté. Pour les fondamentalistes religieux, ce corps doit être emprisonné ; c'est le signe de la puissance d'une religion au service d'un projet politique liberticide.
Plus généralement, sur tous les continents, le corps des femmes est utilisé comme une arme de guerre – on vend des femmes, on les viole collectivement, on les avorte, on les brûle à l'acide, on les cache – parce qu'elles sont les piliers de la famille, donc de la société. C'est par elles que passent nombre de traditions. Les femmes ne doivent prendre le pouvoir ni dans l'espace public ni dans l'espace privé. Alors on les enferme, on les domine, on porte atteinte à leur dignité.
Pour nous, le voile intégral est un signe ostentatoire d'inégalité et discrimination des femmes avant d'être un signe ostentatoire religieux, mais nous défendons aussi fermement le principe de laïcité, car sans laïcité, pas de droits des femmes.
Nos réflexions portent sur cinq points. Le libre choix, tout d'abord – éternelle question à l'intérieur de laquelle les femmes sont prises au piège. La question du libre consentement permet de faire accepter à l'opinion publique les pratiques les plus inavouables. Pourtant, dès 1995, le Conseil d'État avait interdit le « lancer de personnes de petite taille » afin d'assurer la sécurité de la personne en cause, même si celle-ci se prêtait librement à cette exhibition contre rémunération. Ce fut une avancée pour l'ensemble de la société, bien qu'il s'agisse d'une pratique marginale.
Le port du voile intégral, même s'il est présenté comme librement consenti, porte atteinte à toutes les femmes : à celles qui le portent, qui se trouvent en situation de soumission, mais aussi à toutes les autres. Cette notion de libre consentement n'est pas acceptable.
Pendant de nombreuses années, notre société a considéré les femmes victimes de violences conjugales comme des victimes consentantes, sans analyser les liens pervers que le dominant tisse avec sa victime. Le port du voile intégral se situe dans le cadre de cette domination. C'est ce que nous constatons dans nos permanences juridiques et sociales. Dans les quartiers où nous sommes implantés, des femmes, des jeunes filles se font insulter à cause des vêtements qu'elles portent. L'une de nos adhérentes, athée, s'est fait insulter par une femme portant le voile intégral, qui lui a reproché sa tenue vestimentaire. Une autre femme, musulmane, a été insultée par des jeunes de son quartier parce qu'elle portait un tee-shirt à manches courtes !
Le port du voile exclut les femmes de l'espace public. Le voile intégral est un signe militant d'appartenance à un projet de société qui crée un espace privé au sein même de l'espace public et dans lequel les lois de la République n'ont pas d'effet. Avant de voir la femme, on voit sa religion. Le voile intégral encourage l'endogamie, les ghettos, le communautarisme. Dissimuler son visage, c'est nier sa propre identité, au profit d'une physionomie collective.
Le troisième point concerne la protection des enfants. Nous fêtons cette année le vingtième anniversaire de la Convention internationale des droits de l'enfant des Nations Unies. La protection des fillettes nous tient particulièrement à coeur. Il est impensable que, dans notre pays, signataire de cette convention, des fillettes portent des signes de soumission à leur père ou à leur frère. Nous avons rencontré des enfants de huit ans totalement voilées ! Ces fillettes sont considérées par ceux qui les voilent comme des objets de tentation pour des hommes adultes. C'est intolérable ! On ne peut considérer, s'agissant de mineures, que le port du voile est librement consenti. Certaines mamans nous ont dit subir des pressions de plus en plus fortes, parce que à l'école ou au centre de loisirs, leur enfant portant un nom d'origine arabe mangeait du porc. Elles sont obligées de se justifier et leurs enfants culpabilisent.
Nous avons également réfléchi à question de l'universalité des droits. Dans notre association, nous avons l'habitude de dire que lorsque les droits des unes progressent, ici ou là-bas, cela a un impact sur les droits des femmes sur toute la planète. La France laïque est l'un des pays les plus regardés par les femmes qui ont soif d'égalité. Si la France baisse sa garde, ce sont des dizaines de fronts qui s'inclineront, faute d'être soutenus.
Il est curieux de constater que des hommes et des femmes qui se sont offusqués du port de la burqa en Afghanistan sont prêts à accepter le port du voile intégral en France. Nous leur opposons l'universalité des droits : ce qui est bon pour nous est bon pour toutes les femmes ; ce qui est intolérable pour elles l'est également pour nous. Le « différentialisme » culturel n'est pas une chance pour la démocratie mais bien un recul de civilisation.
Nous vous demandons de protéger toutes les femmes de France, qu'elles aient la nationalité française ou non. Les lois de la République sont au-dessus des lois religieuses. Notre Constitution et la Déclaration universelle des droits de l'homme doivent être des remparts pour toutes les femmes, quelles que soient leur religion et leurs origines. Le principe de protection doit être appliqué à toutes les femmes.
De nombreuses jeunes filles sont venues nous voir, en 2004, pour nous demander de les aider. Ne voulant pas porter le voile, elles craignaient que leur père ne cède à la pression du groupe. La voix de ces jeunes filles doit porter plus loin que la voix de celles qui disent être libres. Au nom de la liberté des unes, on ne peut ignorer la souffrance des autres.
Enfin, l'association Femmes solidaires dispose d'un réseau d'élues ; ses militantes sont issues de divers partis politiques. Elles travaillent ensemble sur des thèmes comme la parité en politique et le port du voile intégral, qui pose de plus en plus de problèmes aux maires de nos communes. Que feront ces femmes lorsqu'elles seront amenées à célébrer un mariage dans de telles conditions ou lorsqu'une élue de leur conseil municipal se présentera voilée ?
Quelle que soit l'issue de votre mission, nous devrons favoriser l'émancipation des femmes. Nous vous demandons donc de prendre en compte, dans vos travaux, la question des droits des femmes. Pour notre part, nous poursuivrons notre combat contre les idées et les pratiques rétrogrades et nous espérons que votre mission y contribuera.