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Intervention de Marietta Karamanli

Réunion du 5 mai 2009 à 17h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarietta Karamanli, rapporteure :

« La proposition de directive relative aux droits des consommateurs concerne plusieurs enjeux essentiels pour l'Europe.

D'abord, elle vise à jeter les bases d'un droit européen rénové de la consommation. L'objectif est, en effet, de remplacer quatre des directives actuelles et d'ajuster plusieurs autres directives. Le droit européen ne serait plus d'harmonisation dite minimale mais d'harmonisation complète. Les Etats membres n'auraient donc plus latitude pour prévoir des mesures le cas échéant plus favorables aux consommateurs. La vigilance s'impose donc puisqu'il convient de légiférer pour les deux ou trois prochaines décennies.

Ensuite, il faut prévoir des progrès ou, pour le moins, une stabilité dans le niveau actuel de protection des consommateurs. C'est d'autant plus nécessaire que, dans le contexte actuel de la crise, selon l'expression de M. Jacques Toubon, député européen, le droit de la consommation représente un « pare-choc » social qui garantit les achats, notamment pour les plus modestes.

En outre, il y a un enjeu économique. Les intérêts des consommateurs et des entreprises sont liés. De meilleurs produits vont dans le sens de la réussite de la stratégie de Lisbonne.

Enfin, il y a l'enjeu juridique. Dans la perspective ouverte dès 2001 par la Commission européenne pour un droit européen des contrats, le droit de la consommation est un peu le banc d'essai pour cette future et éventuelle harmonisation en matière de droit contractuel.

En dépit de l'importance de ces enjeux et de l'ampleur des travaux préparatoires, la Commission européenne n'a cependant pas répondu aux attentes exprimées. Il convient donc d'adopter une démarche en deux temps avec, d'abord et aujourd'hui, cette communication d'étape pour rappeler les grandes orientations à suivre pour modifier la proposition de directive et, ensuite, pour intervenir sur le fond et d'une manière plus détaillée, en présentant à l'automne, probablement, un rapport d'information se concluant naturellement, compte tenu du sujet, par une proposition de résolution.

Sur le fond, la Commission européenne a présenté un texte ambitieux mais qui ne permet pas en l'état d'envisager un accord, en raison de l'ampleur des interrogations et critiques qu'il suscite.

La Commission européenne propose, en effet, de franchir une nouvelle étape en remplaçant les 27 droits nationaux actuels, que permet l'essentiel des directives, qui sont d'harmonisation minimale, par une harmonisation complète destinée à décloisonner le marché intérieur. L'argument est de réduire les coûts administratifs de vente à distance des entreprises et de faire bénéficier le consommateur d'une concurrence accrue.

Le champ de l'harmonisation ainsi proposée est très vaste et concerne tant les définitions, de manière que le texte couvre l'ensemble des transactions entre les professionnels et les particuliers, que l'essentiel des relations contractuelles à savoir les informations précontractuelles, le droit de rétractation, avec un délai unique de 14 jours, de nouvelles règles sur la livraison et le transfert du risque ainsi que sur les garanties, avec notamment une durée maximale de deux ans pour la garantie légale de conformité. Est aussi proposée la fixation harmonisée de deux listes communautaires de clauses abusives : une liste « noire » des clauses interdites ; une liste « grise » des clauses présumées abusives.

En dépit de son caractère séduisant, car l'ambition poursuivie est respectable, le texte de la Commission européenne suscite des réserves.

Pour l'essentiel, le Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC) et les associations françaises de consommateurs jugent que l'harmonisation maximale appliquée à un niveau de protection intermédiaire porte préjudice à la protection des consommateurs des pays les plus avancés. C'est notamment le cas de la France.

Au niveau politique, la rencontre interparlementaire organisée le 2 avril dernier à Bruxelles par la Commission IMCO du Parlement européen a montré le nombre des oppositions, venant notamment d'Allemagne, de Suède, du Royaume-Uni, d'Autriche, de Slovénie, d'Irlande et de Lettonie.

De manière tout à fait justifiée, notre collègue Jacques Toubon, qui est venu appuyer mes questions à la commissaire européenne à la protection des consommateurs, Mme Meglena Kuneva, a estimé nécessaire que la Commission européenne produise une étude sur l'impact de chacune de ses propositions sur le droit interne.

Il faut également mentionner les critiques des universitaires.

Les réticences face à ce texte d'harmonisation où un régime communautaire unique remplace les différents systèmes nationaux antérieurs se sont accrues très récemment. L'arrêt de la Cour du Justice du 23 avril dernier VTB-VAB a sanctionné le régime belge d'interdiction des ventes liées car contraire à la directive d'harmonisation maximale relative aux pratiques commerciales déloyales, de mai 2005. Pratiquement, cela revient à autoriser les offres conjointes et à « forcer » le consommateur à certains achats.

Les critiques de fond sont parfois d'ordre technique et concernent notamment les clauses abusives, pour lesquelles des spécificités nationales sont très marquées, ou encore les mécanismes nationaux spécifiques de garantie, qui incombent aux producteurs.

D'autres sont dues au manque de réponses adaptées de la part de la Commission aux interrogations sur la portée du texte, ce qui implique une situation assez tendue.

D'autres critiques sont plus virulentes, car elles mettent en cause le fond de la démarche de la Commission européenne. Certains remarquent ainsi que le texte apporte, avec le décloisonnement des marchés, des perspectives aux entreprises, alors qu'il se traduit par des régressions pour les consommateurs. C'est une critique très forte. Philosophiquement le droit de la consommation est d'inspiration humaniste : il vise à protéger la partie faible dans une relation contractuelle qui est jugée déséquilibrée. Ainsi, pour prendre l'exemple de la définition du « consommateur », la proposition retient les personnes physiques qui agissent à des fins n'entrant pas dans le cadre d'une activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale, alors que retenir toute personne qui agit hors de son activité professionnelle eut été préférable.

Enfin, on peut remarquer que le commerce transfrontalier, c'est-à-dire concrètement le commerce électronique, que le texte vise à promouvoir, ne concerne pour l'instant que 7 % des transactions. Faut-il par conséquent prévoir tant de changements pour un enjeu concret si réduit ?

Pour ce qui concerne plus précisément la France, la proposition de directive suscite plusieurs interrogations, incompréhensions, réserves ou oppositions. Tel est notamment le cas de la partie relative aux informations des consommateurs. Si elle s'applique à toutes les transactions, elle peut remettre en cause nos habitudes réglementaires d'affichage des prix qui concernent la vie quotidienne et non le marché intérieur. C'est le cas pour la coiffure, par exemple. Il y a aussi des reculs avec l'absence d'obligation de prévoir un numéro de téléphone où joindre effectivement le professionnel. Il y a d'autres points de préoccupations, notamment sur l'absence d'obligation de contrat écrit, sur le maintien du dispositif spécifique de garantie contre les vices cachés ou la garantie décennale pour les travaux, ainsi que sur les clauses abusives. Le dispositif récent du décret du 19 mars 2009 deviendrait caduque, avec 12 clauses interdites, contre 5 au niveau européen.

En dépit de l'ampleur de ces problèmes et critiques, le texte peut néanmoins faire l'objet d'améliorations permettant d'envisager à terme un accord.

L'exemple de la directive sur les crédits aux consommateurs le montre.

La voie à suivre est donc, de la même manière, de réduire le champ de l'harmonisation maximale pour s'orienter vers une harmonisation ciblée sur l'essentiel.

Il s'agit ainsi de faire davantage jouer la subsidiarité en faveur des Etats membres en leur laissant sur les dispositions ainsi exclues de l'harmonisation totale, plus de facultés, et de recentrer le texte sur un point d'équilibre plus favorable aux consommateurs. L'objectif doit être de prévoir les mesures strictement nécessaires permettant aux consommateurs de tirer effectivement parti du marché intérieur.

Pour ce qui concerne la subsidiarité, il faut mentionner, pour la France, le souhait de pouvoir explicitement continuer à faire bénéficier les organismes, tels que les associations, qui se trouvent dans la même situation que les particuliers, des règles de protection des consommateurs ainsi que de maintenir nos règles habituelles relatives à l'affichage des prix.

Sans préjuger sur ce que peut être le fond et à condition que nos équilibres nationaux soient préservés, le champ de l'harmonisation complète maintenue pourrait donc porter sur les définitions, ainsi que sur certains aspects des informations précontractuelles, certains aspects du droit de rétractation et, le cas échéant, des garanties.

A l'occasion de ces réflexions, certaines hypothèses comme celle d'un contrat européen commun à tous les Etats membres, accessible sur option aux consommateurs, qui renonceraient ainsi à leur droit national, volontairement et au cas par cas, peuvent être étudiées. C'est le projet « blue button ».

Enfin, il est acquis que le champ d'application de la directive doit être clarifié, tant en ce qui concerne les transactions visées (faut-il maintenir des références aux transactions immobilières ?) que vis-à-vis d'autres directives. Certaines questions sectorielles, comme le cas des ventes aux enchères publiques et celui, différent, des enchères sur Internet (le rôle d'hébergeur qui est notamment revendiqué par e-bay doit être précisé) doivent également faire l'objet d'une réflexion approfondie.

En résumé, les trois voies d'un futur accord s'avèrent être une harmonisation ciblée, une plus grande souplesse en faveur des Etats membres conformément à ce que permet la subsidiarité, et une protection accrue des consommateurs. Tels sont les éléments dont il convient d'ores et déjà de faire part, à la Commission européenne notamment.

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