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Intervention de Roland Courteau

Réunion du 10 mars 2009 à 16h00
Mission d’évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes

Roland Courteau, médecin psychiatre :

J'ai à cet égard deux pratiques, l'une, dans le service public, au sein de la plus importante consultation de sujets en obligation de soins, l'autre dans le cadre associatif de la Ligue française pour la santé mentale, où nous sommes partenaires du parquet.

Quel est l'état des lieux ? Mon équipe, qui a commencé voilà plus de dix ans, doit répondre à de plus en plus de demandes relevant de l'obligation de soins créée par le législateur et la plupart des sujets qui viennent nous voir le font dans ce cadre.

Nous pratiquons essentiellement des techniques de groupe en prenant en compte trois profils : d'une part, les sujets violents : marqués par l'immaturité, ils sont assez faciles à prendre en charge ; ils sont même presque demandeurs et sont motivés ; d'autre part – le groupe principal –, les sujets égocentrés qui, sensibles à l'action de la société et de la justice, acceptent de se laisser recadrer ; enfin, les sujets pathologiques à la personnalité plus problématique. Certains de mes collègues ont popularisé à leur égard le concept de pervers narcissique, qui suscite de ma part quelques réserves car il est trop général : tous les hommes violents ne sont pas pervers et narcissiques.

Ce qui m'intéresse en matière de violences conjugales c'est de tenter de distinguer, après un signalement, les signes qui indiqueraient que les auteurs de violences pourraient recommencer, voire aller jusqu'à tuer leur compagne. Il serait intéressant d'identifier de tels sujets capables de récidiver même après une plainte et leur présentation au procureur.

Pour autant, il s'agit d'une minorité. La majorité est sensible à l'interpellation et renoncent à la violence physique: ils se sentent sous l'oeil du procureur.

Sur ce sujet, les parquets ont été plus réactifs que les juges du siège. Ils sont plus interventionnistes ne serait-ce que par le classement sous conditions ou encore l'obligation de soins jusqu'au procès. À l'inverse, la pratique d'accompagner les peines par de telles obligations de soins ne se développe que lentement, car les juges savent que les structures d'accueil manquent.

Par ailleurs, le temps de l'obligation de soins que nous donne la justice est insuffisant eu égard à l'évolution nécessaire de l'homme violent, tout particulièrement dans les cas où le couple ne se sépare pas. En matière de violence conjugale, en effet, si dans plus de la moitié des cas de violences la séparation intervient après une plainte, certains couples reconstituent leurs liens après la plainte.

Un accompagnement de la famille est alors nécessaire. Aussi serait-il pertinent – je sais que je suis en l'occurrence atypique par rapport au discours associatif – que ceux qui s'occupent des uns et des autres se rencontrent afin que l'on n'en arrive pas à ce cas que j'ai connu récemment où un homme, exclu du domicile par le procureur, rentrait dormir chez lui, la porte lui étant ouverte par sa femme… Le couple reconstituait la vie conjugale dans le dos de la société ! La réalité n'est pas toujours simple.

Mon équipe dispose, en un même endroit, d'un lieu pour les auteurs, d'un autre pour les victimes et d'une consultation pour les enfants témoins, car nous pensons qu'un accompagnement systémique de la famille est nécessaire quand le couple se reconstitue. Voulant trop bien faire, certaines associations ont fait acter par le ministère que les services qui s'occupaient des auteurs ne seraient pas validés comme lieux de bonne pratique s'ils s'occupaient aussi des victimes. Il s'agit là selon moi d'une démarche idéologique dont je comprends l'esprit, mais qui ne correspond pas à la pratique de terrain d'autant que l'on s'aperçoit que les personnes qui traitaient les victimes sont aussi intellectuellement intéressées par le traitement des auteurs.

Dans ma pratique, j'ai également compris qu'il fallait s'appuyer sur la famille si l'on voulait que la pression sur l'auteur continue à s'exercer au-delà du temps strict de l'obligation judiciaire de soins. Rencontrer la famille permet à cet égard de demander ce qu'ils pensent à la mère de la femme battue et au père de l'homme violent. Tel est le type de prise en charge que mon équipe et moi essayons de développer.

Je comprends que des associations se soient opposées à la médiation pénale. En revanche, interdire un entretien de couple alors que celui-ci s'est reconstitué depuis des mois est proche de la posture idéologique. En tout cas, l'accompagnement d'un couple qui reconstitue la vie commune après que des violences sont survenues, présente une complexité spécifique qui nécessite, selon moi, des outils complémentaires.

Ma préconisation phare reste avant tout la consultation spécialisée fléchée de sujets sous main de justice. Il se peut d'ailleurs que nous l'obtenions de la part du ministère de la santé pour les agressions sexuelles car c'est un leurre de croire que le sujet agresseur sexuel va, dès sa sortie de prison, se diriger vers le centre médico-psychologique le plus proche.

Il serait même pertinent que les familles puissent, en amont, saisir ces lieux spécialisés, de façon, comme dans certains pays, à exercer une sorte de chantage affectif sur l'agresseur, en menaçant de le dénoncer s'il n'engage pas à son tour la démarche.

Si je suis favorable à la judiciarisation, puisque j'ai développé l'obligation de soins, je prône donc également le développement d'outils sociaux plus innovants et plus subtils pour traiter la masse de ces situations. Face à des femmes qui ne veulent pas porter plainte, il faut, à l'instar d'autres pays, des dispositifs en amont. Nous disposerons alors d'un échiquier satisfaisant pour le traitement de ce problème complexe.

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