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Intervention de Pierre Espinoza

Réunion du 10 mars 2009 à 16h00
Mission d’évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes

Pierre Espinoza, chef du service des urgences de l'Hôtel-Dieu :

Je suis aujourd'hui médecin au pôle urgences-réseaux de l'hôpital Georges Pompidou. J'ai exercé dix ans comme médecin à l'hôpital des prisons de Fresnes, après avoir travaillé dans le secteur de la médecine générale pendant mon internat puis mon clinicat, et j'ai dirigé dix ans le service des urgences de l'Hôtel-Dieu. Je travaille également à des projets de télémédecine, qui peuvent avoir un intérêt en termes d'interface avec les urgences médico-judiciaires (UMJ). J'ai enfin participé à la commission Henrion.

Que dire sur l'accueil et la prise en charge médicale et psychologique ou psychiatrique des femmes victimes de violences ? En France, les services d'urgence, premier lieu d'accueil, sont un véritable observatoire de santé publique : tout ce qui se passe dans la cité, est visible par l'intermédiaire des personnes qui y sont admises.

S'agissant plus particulièrement des femmes victimes de violences conjugales, leur prise en charge suppose un certain savoir-faire de la part des médecins urgentistes, déjà confrontés à une très grande diversité de pathologies. Ce qui pose le problème de la formation.

La France compte un peu plus de 600 services d'urgences, qui accueillent 14 millions de patients. Si l'on admet que 10 % des femmes sont victimes de violences conjugales, et que le sex-ratio est aux urgences d'environ une femme sur deux patients, sont donc admises aux urgences nombre de femmes victimes de violences conjugales, même si elles n'y sont pas forcément venues pour ce motif. Sait-on dépister ces violences ? Je suis très réservé sur ce point.

Tous les services d'urgences ne sont pas identiques. 150 environ, dans les CHU (centres hospitalo-universitaires), sont très importants. D'autres sont de tout petits services, tandis que plus de 300 sont de taille moyenne, situés dans des villes petites ou moyennes. Dans tous les cas, la lourde charge de travail des urgentistes explique que, dans le flux des arrivées aux urgences, une femme victime puisse ne pas être détectée.

D'autre part, il n'existe qu'une soixantaine de centres d'urgences médico-judiciaires. Des femmes victimes de violences peuvent donc être admises dans des services d'urgence qui, ne pouvant les adresser à un centre médico-judiciaire voisin, doivent se débrouiller, en fonction du savoir-faire des acteurs de terrain.

Qui sont justement ces acteurs ? Il faut savoir que l'accueil aux urgences n'est pas médical, mais avant tout infirmier. Ensuite, accueillir une femme victime de violences et dépister sa situation, c'est écouter, évaluer, conduire toute une série d'actions très bien déclinées dans le rapport Henrion. Or, qui peut mieux écouter une femme qu'une autre femme ? Il m'est ainsi arrivé dans ma pratique d'urgentiste de m'éclipser pour laisser une infirmière ou une femme médecin être le premier contact avec une femme victime de violences.

Ces remarques étant faites, je me permettrai de décliner plusieurs préconisations.

Sachant d'abord que la démographie médicale sera préoccupante dans les prochaines années, selon moi le meilleur référent au sein d'un hôpital ne doit pas être le médecin mais l'assistante sociale, pour peu qu'elle soit bien formée et sache exactement comment fonctionne le réseau local, c'est-à-dire les acteurs intervenant autour de l'hôpital. Pour autant, les services d'urgence ne comportent pas tous une assistante sociale. Ce peut donc être aussi l'infirmière, un cadre de santé, et, bien sûr, un médecin. Il est en tout cas important de savoir qui est le référent, parce que c'est celui qui connaît bien le réseau local.

Pour bien accueillir, il faut aussi savoir écouter. Or, aux urgences, la gestion du temps est un souci majeur. Peut-on réellement penser qu'une infirmière passera une heure, voire plus, à écouter une patiente pour débrouiller une situation de violence ? Des progrès sérieux seraient obtenus si l'on pouvait au moment de l'admission faire venir un référent de l'intérieur de l'hôpital, telle que l'assistante sociale du service de médecine ou des urgences, qui pourrait lui consacrer du temps.

Par ailleurs, le constat effectué aux urgences doit faire l'objet d'un certificat. Or les urgentistes sont loin d'être tous bien formés à leur rédaction. La société française de médecine d'urgence (SFMU) organise des formations et une conférence de consensus a bien été consacrée au dépistage et à la prise en charge de la maltraitance aux urgences, mais elle traite de toutes les maltraitances, celles envers les femmes étant comprises dans l'ensemble.

Agir aux urgences est donc compliqué. C'est pourtant un moment où l'on peut donner des conseils très précieux, tels de conserver ses papiers d'identité. Mais encore faut-il être bien formé, d'autant qu'il faut également prendre en compte le contexte : jusqu'à dix-sept heures, on peut faire appel à l'assistante sociale, mais à trois heures du matin ? Aux urgences, celui qui fait n'est pas nécessairement celui qui sait faire.

Des progrès seraient donc susceptibles d'être réalisés dans plusieurs domaines.

S'agissant d'abord du savoir-faire, la littérature actuelle suffit et les conseils sur ce qu'il faut faire existent. Pour m'intéresser à la télémédecine, le média audiovisuel m'apparaît à cet égard comme un très bon moyen pour faire passer des messages et pour bien former les acteurs du terrain.

Par ailleurs, aucun indicateur ne donne connaissance du pourcentage de femmes victimes de violences conjugales admises aux urgences. C'est à titre personnel que j'avais conduit les études qui figuraient à cet égard dans le rapport Henrion. Elles n'avaient rien d'une étude structurée, menée par exemple par une unité de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM). Or, pour définir une stratégie aux urgences, il faudrait déjà avoir une bonne connaissance du phénomène. On ne prend pourtant bien en charge que ce que l'on connaît. La porte d'entrée des victimes de violences conjugales peut aussi bien être la traumatologie – à la suite d'une « chute dans l'escalier » –, que la psychiatrie – pour une tentative de suicide –, que l'addictologie – pour alcoolisme – ou que la gynécologie-maternité.

Un autre point très important, est celui de la protection des enfants, qui sont également des victimes, ne serait-ce que parce qu'ils assistent aux violences. Le passage aux urgences permet de repérer que des enfants peuvent également être concernés. Or, bien souvent, on ne sait pas le faire.

Enfin, une très bonne interface avec les UMJ est nécessaire. Je reviens à cet égard aux certificats : en disposer constitue en effet un atout pour enclencher une procédure. Voilà pourquoi, encore une fois, l'ensemble du réseau de soins doit bien fonctionner.

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