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Intervention de Carlos Ghosn

Réunion du 8 octobre 2008 à 11h00
Commission des affaires économiques

Carlos Ghosn, président de la direction générale de Renault :

Il faut d'abord resituer la situation de Renault dans son contexte. Nous sommes face à une crise financière ; celle-ci touche l'ensemble des entreprises du monde ; la question pour elles est aujourd'hui de trouver de quoi financer leurs activités non pas pour les années mais pour les mois qui viennent. Ensuite, le secteur de l'automobile, dans son ensemble, doit faire face à une série de difficultés spécifiques. Enfin, il y a les préoccupations, dont vous venez de faire état, et qui sont propres à Renault. Aujourd'hui, nous sommes face à l'ensemble de ces trois séries de difficultés.

J'ai présenté le plan Renault Contrat 2009 il y a deux ans. L'objectif unique de ce plan était de positionner durablement Renault comme le constructeur généraliste européen le plus compétitif et le plus rentable.

C'est dans cette optique qu'a été fixé l'objectif de 6 % de profitabilité. Pourquoi ce chiffre ? L'analyse montrait qu'on pouvait classer les constructeurs automobiles en trois groupes. Un premier groupe, composé des trois constructeurs japonais et de BMW, réunissait à la fois les meilleurs taux de croissance et de profit, avec un taux de rentabilité toujours supérieur à 6 % ; nous l'avions appelé le groupe des gagnants.

Un groupe médian, incluant Renault, combinait un taux de croissance modéré et un taux de profitabilité compris entre 2 % et 4 ou 5% de marge opérationnelle.

Enfin, un troisième groupe, le groupe des perdants, composé des constructeurs américains et de petits constructeurs, se caractérisait par beaucoup de difficultés à faire des profits et une croissance faible, voire une décroissance.

Autrement dit, il n'existe pas aujourd'hui de constructeurs automobiles combinant forte croissance et faible taux de rentabilité. L'objectif du plan étant d'amener Renault dans le premier groupe, nous avons lié croissance et profitabilité, et l'objectif de profitabilité a été fixé comme celui d'une entreprise en croissance.

Ensuite, Renault s'est fixé des objectifs stratégiques. Le premier est l'instauration d'une confiance dans la marque. C'est pour cela qu'il a été décidé de faire de la Laguna un symbole de qualité, et c'est le but des efforts qui ont été demandés en ce sens au site de Sandouville. Aujourd'hui, la Laguna, comme la Clio et la Modus, figure parmi les trois meilleurs modèles de son segment. Pour la première fois, la qualité, et non pas seulement la sécurité, est devenue dans le public un des attributs associés à Renault, ce qui n'était pas arrivé depuis longtemps.

Nous avons fait aussi un effort de renouvellement de la gamme. Aujourd'hui, la gamme Renault est étendue et la plus rajeunie ; cela confère à Renault des atouts dans les turbulences que nous connaissons et face aux évolutions de l'avenir.

Ensuite, l'Europe reste le centre de l'action de Renault et la France, un marché essentiel. Mais d'autres marchés se développent où Renault veut être et est désormais présent. En quelques années, nos ventes ont été multipliées par 2 au Maghreb, par 3 au Brésil et par 4 en Russie. Renault a passé un accord majeur avec AvtoGAZ, le premier constructeur russe, qui positionne Renault comme le premier constructeur sur le marché russe.

Nous nous trouvons aujourd'hui dans une situation que personne n'aurait imaginée en 2006. A la crise financière s'ajoute une crise spécifique à l'industrie automobile ; la chute du marché a été de 40 % en Espagne, de 30 % en Italie, de 20 % en Grande-Bretagne. Ce type d'évolution ne s'était jusqu'ici rencontré que dans des pays émergents ; c'est du jamais vu en Europe. La France n'a été préservée que par la création du bonus-malus écologique. Les prix de l'énergie restent toujours à un niveau élevé. Par ailleurs, au contraire des constructeurs américains ou japonais, les constructeurs européens ne peuvent mettre en place des stratégies de sortie de crise par l'exportation : le cours élevé de l'euro les en empêche.

De plus, la situation ne présente pas de signes d'amélioration. Elle pourrait même s'aggraver. L'aggravation de la crise financière a en effet des conséquences supplémentaires : le marché automobile américain a chuté de 26 % en septembre, cette chute étant concentrée sur les deux dernières semaines. Il faut se préparer à un scénario de comportement comparable du consommateur européen et, en parallèle aux stratégies à long terme, conduire une action simplement pour préserver le groupe à court terme. C'est ce qui justifie le gel des embauches en Europe et le plan de départs volontaires, qui permettra de créer des effets de structures et de rétablir les équilibres dans les segments dont la situation est la plus difficile. Nos prévisions sont que le court et le moyen terme seront plus difficiles que ce que nous avons traversé.

Pour autant, la pérennité des sites de Renault en France n'est pas en question. En effet, Renault a des projets d'avenir, dont certains sont stratégiques, et dont les sites ne sont pas encore choisis. Il s'agit notamment du véhicule électrique, que nous prévoyons de centrer à Flins, et d'un véhicule utilitaire aujourd'hui fabriqué hors du groupe et de France, et dont nous rapatrierons la production à Sandouville. Son avenir, Renault va le construire en France.

Cela dit, Renault peut-elle faire plus pour l'emploi en France ? Le premier obstacle est qu'il est impossible de rapatrier la production des produits « low cost » en France et même en Europe. Nos concurrents ont la même stratégie. L'écart de coût salarial entre la France et la Roumanie ou entre la France et le Maghreb est de l'ordre de 1 à 10 : 24 euros d'un côté, 2,5 à 3 euros de l'autre. Rapatrier des produits très sensibles aux coûts de main d'ouvre et au prix de vente est impossible sur la durée. Or, nous voulons que nos implantations en France soient de long terme. Il doit donc s'agir de véhicules à forte valeur ajoutée ou comportant une technologie très développée. Nous comptons toutefois rapatrier le véhicule utilitaire : le coût de transport annule les gains qu'on peut faire en matière de main d'oeuvre.

Notre stratégie inclut un volet environnement important. Renault-Nissan est le premier constructeur à se positionner sur le véhicule électrique, conçu non pas comme un véhicule de niche mais comme un véhicule de diffusion massive. Nous avons déjà signé des accords de commercialisation avec différents États. Il y aura non pas un véhicule mais une gamme de véhicules électriques, tant chez Renault que chez Nissan. C'est Renault qui a déposé le plus de brevets en France ces dernières années en matière de véhicule électrique. Parler de frilosité technologique est donc très injuste.

S'agissant de l'abandon du véhicule hybride, il procède d'une analyse du marché. La concurrence n'est pas entre le véhicule hybride et le véhicule électrique mais entre le véhicule hybride et le véhicule diesel propre. La technologie diesel des constructeurs européens est très puissante, innovante, et très compétitive par rapport à l'hybride. Tel n'est pas le cas au Japon ou aux États-unis, où l'image du diesel est très mauvaise et où c'est la technologie de l'hybride qui est en train de l'emporter. Dans ces pays, il est très difficile de vendre des véhicules à moteur diesel. Renault est donc présente sur le segment du véhicule hybride à travers Nissan, qui est implanté sur ces deux marchés. Inversement du reste, Nissan a cessé de développer sa technologie diesel et achète des moteurs Renault.

Le projet de véhicule électrique de Renault est un projet de masse. Une étude du Massachussetts Institute of Technology considère qu'en 2016, sur 70 millions de véhicules vendus, 10 millions seront des véhicules électriques. La moitié de ces véhicules devraient être vendus aux États-unis et 20 % en Europe, ce qui constitue un marché de 2 millions de véhicules annuels.

Plusieurs facteurs expliquent ces prévisions et ont décidé Renault à ses positionner. D'abord, l'opinion considère désormais qu' en matière d'énergie, la norme est que le pétrole soit cher, et de plus en plus cher, et non pas bon marché. Ensuite, les débats sur l'environnement, le CO2 notamment, ne sont plus des débats de spécialistes, et la prise en compte des questions environnementales est devenue une question de marché : les jeunes notamment n'achèteront pas à l'avenir des voitures qui ne prennent pas en compte le respect de l'environnement. La question est aussi politique : tous les programmes politiques, y compris locaux, ont un volet environnemental : tous les responsables politiques sont prêts à dégager des financements publics, en matière d'infrastructures notamment, pour des voitures non polluantes. Renault a signé avec Israël et le Danemark. Des programmes sont en préparation au Japon ou aux États-unis. Nous sommes en discussion en France sur un grand programme de voiture électrique. Enfin, la technologie a évolué ; celle des batteries pour voitures électriques a beaucoup progressé depuis 15 ans. La voiture électrique est au centre du développement de Renault.

Le deuxième programme innovant sur lequel Renault joue son avenir est le programme Ultra Low Cost, le programme du véhicule à 2500 dollars. Ce programme est développé en Inde en partenariat avec le constructeur Bajaj.

En conclusion, Renault développe une stratégie forte en matière de produits et de technologies, dans laquelle ses équipes croient, une gamme très importante, et est engagée sur ses sites en France.

S'agissant de l'avenir immédiat de l'emploi en revanche, il dépend de la situation du marché européen dans les prochaines années. Malheureusement, tant que nous ne sommes pas en situation de faire des prévisions concernant les marchés, nous ne pouvons pas nous engager sur des niveaux d'activité.

S'agissant des autres questions, il faut d'abord évoquer l'ACEA. L'ACEA a bien une démarche favorable à la limitation des émissions de CO2. Un plan européen est en discussion, il va demander de très gros efforts aux constructeurs pour tenir les objectifs. La question est celle de l'exercice de la concurrence. Les constructeurs américains ont obtenu du gouvernement fédéral 25 milliards de dollars de prêts à cinq ans, au taux bonifié de 4,5 %, pour les aider à se reconvertir vers la production de véhicules moins polluants. Leur demande initiale était de 50 milliards de dollars, et il semblerait qu'une deuxième tranche de 25 milliards de dollars serait en passe d'être dégagée. On ne sait pas si les constructeurs de nationalité non américaine, comme Nissan, pourront en bénéficier. L'ACEA est prête à faire le même effort de modernisation, mais elle réclame de bénéficier pour cela d'un appui public comparable par rapport à la capacité de production de l'Europe, soit de 40 milliards d'euros de prêts.

Par ailleurs, il faut aussi souligner que si l'on éliminait en Europe la partie du parc automobile la plus ancienne et la plus polluante, ce que l'on appelle les « euro zéro » et « euro 1 », l'effet sur les émissions de CO2 serait plus important que celui du plan européen, sans compter les effets sur la relance de la production.

Ces deux actions recueillent l'unanimité de l'ACEA.

La politique et la stratégie de Renault sont évidemment transparentes à l'égard de l'État. L'État siège au conseil d'administration : il y apprend donc ce qu'y apprennent ses autres membres. Il y agit dans le cadre des prérogatives de son statut d'actionnaire de référence de Renault, et dans ses limites. Par ailleurs, Renault dispose d'une direction des relations institutionnelles. Enfin, le P-DG de Renault répond lui-même aux demandes de précisions sur sa stratégie que peuvent formuler les membres du Gouvernement, et bien sûr le Président de la République ; à Sandouville, il la lui a bien sûr présentée.

L'implantation du véhicule utilitaire à Sandouville, ce seront 2000 emplois. Par ailleurs, la pérennité de l'implantation en France de la fabrication du véhicule électrique est garantie par le fait qu'il est extrêmement coûteux de transporter les batteries.

L'Espace n'est pas abandonnée ; elle sera remplacée. Mais nous allons prolonger sa durée de vie, car, avec l'institution du dispositif du bonus-malus, on ne sait pas vers quoi vont aller les consommateurs. Le Qashqai de Nissan a remplacé un véhicule dont la construction avait été abandonnée. Renault veut avoir un Espace moderne qui sera en phase avec les goûts de consommateurs en 2011.

L'innovation est toujours présente chez Renault. Renault a inventé l'Espace, la Twingo ; la Scénic, en 1996, la Logan, en 2004. Chaque fois, c'était un nouveau concept. La Logan constitue maintenant une gamme de cinq voitures ; la plate-forme de la Logan est la base d'un million de véhicules. Renault n'a pas perdu le sens de l'innovation : simplement, cette énumération le montre, dans la construction automobile, on n'invente pas un véhicule innovant tous les ans. Les prochaines étapes sont la voiture électrique et l'ultra low cost. Il y a beaucoup d'esprit d'innovation ; cela dit, ce n'est pas le constructeur qui décide finalement de ce qui est une innovation, mais le client.

S'agissant de la relation de Renault avec l'action pour l'environnement et la mise en oeuvre du Grenelle, la situation est simple : proposer des solutions conformes avec le Grenelle fait partie du métier de Renault, tout simplement parce que c'est la position du marché ! Les constructeurs n'ont pas le choix. Renault a tout simplement intérêt à être perçue comme une société d'avant-garde en matière de prise en compte de l'environnement.

La Laguna 3 est-elle mal commercialisée, et ses prix trop élevés ? Elle est en tête de son segment en France. En Europe, elle est à la peine, car les autres constructeurs sont aussi très agressifs sur leurs marchés. La frustration des équipes de Sandouville devant des résultats de commercialisation qui ne sont pas à la hauteur des efforts consentis est légitime, mais la Laguna n'est pas en situation d'échec. Elle est toujours en période de croissance ; nous venons de sortir un coupé, qui est une quatre roues motrices. Cela dit, il faut encore faire des efforts pour faire connaître sa qualité – la précédente Laguna n'était pas irréprochable – et rapporter ses difficultés au fait que les ventes du segment de la Laguna se sont contractées de 20 %.

Il n'y a pas de partage des rôles entre Renault et Nissan, où Renault se spécialiserait dans les voitures les plus petites et les plus simples. En particulier, le réseau Renault en Europe est d'une puissance et d'une sophistication sans rapport avec celui de Nissan.

Il n'y a pas chez Renault de « parachutes dorés ». Les conditions d'établissement de la rémunération et du bonus de son P-DG (ce dernier dépendant d'ailleurs des résultats) sont fixées par le Conseil d'administration, et sont transparentes. Une entreprise qui fonctionne bien n'a pas besoin de parachutes dorés pour renouveler sa direction : elle le fait par promotion. Au départ la question des parachutes dorés a été une solution qu'ont trouvée des entreprises mal en point pour attirer de l'extérieur des talents dont elles avaient besoin et qu'elles ne trouvaient pas dans leurs rangs. Légiférer à ce sujet ne nous poserait donc aucun problème. En revanche, il faut analyser l'ensemble des données du problème : il ne faudrait pas aboutir à ce que, pour attirer ces talents venus d'ailleurs, le système du « golden parachute », le « parachute doré », devenu illégal, soit remplacé par le « golden shake hand », l'accueil doré, système pire encore puisque la prime serait versée au nouveau dirigeant avant même qu'il n'ait commencé à travailler !

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