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Intervention de Jean-Michel Lemétayer

Réunion du 24 mars 2009 à 16h15
Commission des affaires économiques

Jean-Michel Lemétayer, président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles :

Je n'ai entendu personne tenir ce genre de discours dans notre pays. Il y a chez nous, qu'on le veuille ou non, beaucoup d'opinions convergentes en matière de politique agricole. Mais nous avons des interlocuteurs – Suédois, Anglais, Hollandais ou Danois – qui tiennent ce discours, même dans la profession.

La luzerne fait partie, me semble-t-il, des secteurs protégés. Elle a fait l'objet d'un traitement spécifique pour ne pas remettre en cause les enjeux que représente la production de protéines, dont elle fait partie.

La notion de chargement est apparue pour soutenir l'aide à l'herbe d'un point de vue économique. Un taux de 0,5 UGB par hectare correspond à une vache tous les 3 hectares. La vache faisant en principe un veau, on en tient compte. Cela concerne 9 millions d'hectares, même s'il en reste qui ne seront pas pourvus. Au-delà des aides existantes, il nous faudrait approcher cette question sous l'angle de l'occupation du territoire et de la gestion de l'espace. Mieux vaut que celui-ci soit géré par des animaux… que par des Canadairs, pour reprendre l'image employée par un de mes prédecesseurs.

Le problème est qu'on ne peut poursuivre uniquement par des budgets à justification économique une ambition qui n'est pas seulement économique. Lors du Tour de France, je me plaisais à rappeler que, si les reportages nous donnaient à voir des paysages de montagne beaux et bien entretenus, c'était grâce aux paysans et aux estives. Il y a donc un complément de réponse qui doit être apporté, dès lors que la volonté politique affichée de rééquilibrage des aides ne trouve pas sa réponse dans ce qui est proposé. Il y a des problèmes réels, comme ceux évoqués concernant certains territoires de Lozère – même si d'autres seront mieux pourvus. Nous devons essayer d'avoir une politique qui couvre le plus largement possible les territoires concernés et de ne pas prendre en compte des aspects trop sectoriels.

A la question du devenir des surfaces qui sont entièrement en SCOP, je répondrai par une autre question : quel est le temps de travail avec 115 hectares si l'on n'est qu'en SCOP ? Tout le monde sait que ce n'est pas du plein temps, pas plus que ce n'en est quand on n'est qu'allaitant et vendeur de broutards. Ayons le courage de dire les choses. C'est en parlant avec le plus d'objectivité possible qu'on permettra aux gens de se comprendre – ce qui est mon rôle, que j'accepte et assume, à la FNSEA. Si l'on ne dit pas les choses avec honnêteté et vérité maintenant, ce sera difficile en 2013. Il faut avoir un discours courageux sur les sujets qui nous préoccupent.

Mes concurrents syndicaux ne s'encombrent pas de tels scrupules. La Coordination rurale répète qu'il ne faut pas toucher aux céréaliers, mais changer la PAC. J'attends qu'elle me dise comment faire. J'ai aussi le courage de dire qu'on ne peut pas rester sur des références historiques vieilles de vingt-cinq ans. Il est normal que les lignes bougent, que les choses évoluent. La question que nous devons résoudre est : comment faire pour que les choses soient encore plus équitables dans une politique agricole et un système qui ont changé ?

Sans vouloir entrer dans une polémique politique, je rappelle que les aides aux céréales versées aujourd'hui résultent des négociations menées par Louis Mermaz en 1992. Rien ne tombe du ciel. Si des secteurs ne reçoivent aucune aide, cela tient à l'histoire de la PAC. Ce n'est pas une raison pour qu'ils n'en aient pas demain – on a d'ailleurs fait en sorte qu'ils en aient. A l'origine, la politique agricole ne consistait qu'en des aides aux grandes cultures, au secteur laitier et à l'élevage de viande bovine et ovine, matinées d'un peu d'interventionnisme pour le secteur des fruits et légumes – avec une politique de retrait – et pour la viticulture.

Si l'on ignore l'histoire de la PAC, on peut tout dire. Le séminaire que j'ai assuré à la FNSEA le 11 décembre, qui nous a permis d'aborder toutes ces questions, a commencé par un rappel historique d'une demi-journée afin que toutes les personnes présentes puissent se comprendre. On ne peut comprendre la situation actuelle qu'à partir de celle d'hier.

Le seul membre de la FNSEA qui soit très content est M. Prévéraud, président de la Fédération nationale ovine. Premièrement, des mesures sont prévues dès 2009 par redéploiement ou par mobilisation des DPU dormants. Deuxièmement, l'enveloppe, qui va être redéployée pour 2010, va permettre à la fois d'améliorer la prime compensatrice ovine – PCO – et le montant des DPU. Troisièmement, l'ICHN et la PHAE seront maintenues. Toutes ces mesures, mises bout à bout, apportent des réponses – qui étaient nécessaires – à un secteur qui, malgré une conjoncture de prix correcte, ne dégageait pas de revenus pour ses producteurs. Voilà un cas où l'on était obligé de toucher aux aides directes indépendamment de la conjoncture sur le marché.

Concernant la prime d'irrigation, je précise que, à partir du moment où on ne touche pas à la partie DPU découplée, les secteurs irrigués conservent, de fait, une part de DPU plus élevée. Cet avantage, attribué en 1992, est conservé. Cela étant, nous avons demandé, comme mesure d'accompagnement, qu'on agisse sur les retenues collinaires, qui ont fait l'objet d'un large débat lors de l'examen du projet de loi sur l'eau. La question de l'irrigation est indissociable de celle de la gestion de l'eau. Il est indispensable, au-delà de l'aide directe, d'agir sur la politique de l'eau afin d'éviter des débats où sont pris à parti les irrigants.

Toujours dans le cadre des mesures d'accompagnement, on se bat actuellement pour que le Premier ministre entende notre appel sur l'indispensable complément de mesures rotationnelles via le deuxième pilier. C'est une affaire de 60 millions d'euros, qui devrait être réalisable dans le cadre du cofinancement national. Aidez-nous à convaincre le Gouvernement d' « irriguer » les zones intermédiaires d'un complément d'aides.

Nous travaillons également à élargir la notion de DPA – dotation pour aléa – aux aléas économiques. Personne ne peut prédire ce que sera, demain, la situation de marché. Il apparaît dès lors normal de travailler la question des aléas économiques et des aléas de marché et de réfléchir aux moyens d'intervenir quand cela va mal. Je préfère qu'on aide plus quand ça va mal et moins quand ça va bien. Il serait bon d'être plus souple et plus interactif et de créer plus d'interférences entre les filières. Quand le prix des céréales est monté à 250 euros, je n'avais aucune réponse à donner aux producteurs de porc et de volaille et à tous ceux qui utilisent de l'aliment pour bétail. Il faudrait travailler davantage la connexion entre la filière « céréale aliment du bétail » et la filière « élevage de viande ».

Il faut aussi réfléchir aux gains de productivité. Oublions le terme de « productivisme » : il ne veut plus rien dire depuis que l'aide est déconnectée de la production. Essayons, en revanche, de faire travailler la recherche. L'INRA et les centres de recherche de nos entreprises, qu'elles soient coopératives ou privées, font des travaux de recherche importants, qui peuvent également améliorer la productivité.

Un débat va avoir lieu, dans les prochaines semaines, sur l'Europe. La FNSEA réclame une plus grande harmonisation des réglementations. Notre marché étant européen, il est insupportable qu'il n'y ait pas plus d'harmonisation des réglementations européennes dans les secteurs des phytosanitaires, des biotechnologies et de la pharmacie. Il ne devrait pas être possible qu'un phytosanitaire soit interdit en France et autorisé en Espagne. Il est insupportable que les produits sortant de nos fermes, transformés ou non par nos entreprises respectent un cahier des charges que ne respectent pas des produits importés – ce problème se pose a fortiori dans le cadre des négociations à l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

Cela vaut pour les OGM. Si l'Union européenne autorise des importations de matières premières OGM, on ne peut pas les empêcher ensuite de circuler alors qu'une fois transformées, elles circuleront. Il faut être transparent sur ces sujets pour que les décisions soient respectées, et par ceux qui produisent, et par ceux qui consomment – car la transparence est destinée avant tout au consommateur. Pas plus sur ce sujet que sur d'autres on ne peut dire que chaque Etat membre se débrouille, alors que le marché des matières premières est totalement libre, comme celui des produits agro-alimentaires.

Cela vaut également pour les questions sociales. Il n'est pas normal qu'il y ait un différentiel de charges entre l'Allemagne et la France pour l'emploi de saisonniers. En Allemagne, il est possible d'employer, par exemple, des Polonais, et toutes autres personnes transitant par la Pologne, dans les conditions du marché du travail polonais alors qu'en France, on applique les règles du marché français. Une harmonisation s'impose là aussi afin d'introduire un peu d'équité.

J'ai en partie répondu à la question de Jean Auclair sur les éleveurs naisseurs engraisseurs. J'ai conscience des difficultés rencontrées. Une redistribution au maïs fourrage a été discutée mais on ne sait pas si elle permettra une compensation complète ou seulement partielle. Je reviens à ma préoccupation des prix. Quand on regarde quelle est la part de centimes au kilo de viande pour la classe R, par exemple, qui est la race à viande la plus coutumière, on met plus l'accent sur la valorisation, qui est heureusement en hausse, pour améliorer les rémunérations, même s'il ne faut pas négliger le fait que 50 euros par hectare font 5 000 euros pour 100 hectares.

Avant toute approche individuelle ou même régionale, il faut voir que, quand on est à moins 10 aujourd'hui, en réalité on est à zéro. Je veux dire par là que la modulation s'applique à tout le monde. Je mets mon point d'honneur à écouter tout le monde, en prenant en compte toutes les remarques qui sont faites, mais je veux aussi dire les choses telles qu'elles sont. Quand on fait les calculs et que l'enveloppe globale se termine à zéro, cela signifie qu'on améliore la situation de dix parce que l'article 68 s'applique à tout le monde. La hauteur de la marche est plus forte – et c'est ce que dénoncent les céréaliers – lorsqu'au dix, on ajoute 14 % de prélèvement supplémentaire. Cependant, si la mesure leur paraît brutale, c'est parce que – il faut avoir le courage de le dire – on n'a pas engagé le changement, comme il aurait fallu, quatre ans plus tôt.

J'essaie de faire en sorte que les gens s'écoutent. Une question m'a été posée sur le prochain congrès de la FNSEA. Le bureau a proposé la semaine dernière au conseil d'administration d'accorder tout le temps nécessaire au débat qui aura lieu pendant le huis clos du premier jour. Je veux que les gens s'entendent. Car notre profession ne gagnera rien à se diviser. Le combat qu'il faudra mener en 2013 et après sur le plan européen ne pourra être gagné si nous allons à Bruxelles avec des voix discordantes. Il faudra, au contraire, resserrer les rangs.

Je l'ai dit à un concurrent syndical lundi dans ma région. Il est facile de faire de beaux discours chez soi. J'aimerais parfois que quelques-uns de mes collègues m'accompagnent à Bruxelles pour se rendre compte de ce qu'il faut entendre de la part des autres. On n'avancera pas tout seuls.

Nous avons également besoin de l'opinion publique. D'ailleurs, les céréaliers sont conscients que l'opinion est assez d'accord avec les décisions qui ont été prises.

Comme on est à enveloppe constante, le revenu de la ferme France, dans sa globalité, dépendra des prix. Il faudra faire en sorte d'être encore capable d'agir si ça va mal dans un secteur.

Cela me conduit à répondre à la question sur les leviers de gestion du marché. Je me suis battu contre leur démantèlement mais ils y sont tous passés, les uns après les autres, ce qui est invraisemblable.

Aujourd'hui, sur le lait, Mme Fischer Boel se vante de faire du stockage privé quasiment au prix de l'intervention. Mais ce n'est pas à ce niveau-là qu'on sauvera le revenu des producteurs de lait ! Ces derniers doivent chercher à retrouver le plus vite possible avec leurs entreprises le moyen de mieux rémunérer le lait qu'au prix de l'intervention.

La question portant sur l'enseignement agricole traduisait une vision assez négative. Nous venons de faire une campagne de communication sur les métiers de l'agriculture. Dans la crise actuelle, notre secteur économique est une valeur sûre pour notre pays d'autant que gravite, autour du métier de producteur, une multitude d'autres métiers. Notre campagne de communication avait pour but de montrer aux jeunes que la formation agricole ouvrait à toute une palette de métiers, en plus de ceux de producteur, chef d'exploitation ou salarié d'exploitation, que ce soit dans les secteurs de l'agrofourniture, de l'agroéquipement, de l'agro-alimentaire ou des services.

En tant que président de ce qui est devenu l'Agrocampus Ouest, qui regroupe l'Ecole supérieure agricole de Rennes, l'INH – Institut national d'horticulture – d'Angers et la formation des ingénieurs agroalimentaires de Rennes, je suis optimiste car nous voyons des jeunes de grande qualité entrer dans ces formations.

J'ai bien compris que la question portait sur l'enseignement agricole en amont, c'est-à-dire dans les formations initiales. Nous devrons les rapprocher des formations débutant à la troisième et sanctionner ces études par un bac professionnel ouvrant toutes les portes dont je viens de parler.

Pour terminer notre rencontre sur une note optimiste, je pense que le secteur agricole est vraiment un secteur porteur, d'autant qu'il apporte une contribution non négligeable à la balance commerciale de notre pays : plus de 9 milliards d'euros en 2008.

C'est une raison de plus pour que, dans le débat que vous allez avoir, vous ayez des paroles d'optimisme. Au-delà de certaines difficultés et du débat sur le rééquilibrage des aides, une grande politique est à mener pour garder sur notre territoire une agriculture qui soit un véritable vivier d'emplois en milieu rural. J'espère que nous saurons garder la cohésion indispensable à l'ambition agricole de notre pays.

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