Il convient tout d'abord de rappeler que le bilan de santé adopté le 20 novembre dernier par le conseil des ministres européens de l'agriculture était prévu par les accords de Luxembourg, qui avaient réformé en profondeur la politique agricole commune en 2003. Ce qui est actuellement en discussion, ce n'est pas une nouvelle réforme de la PAC, mais un certain nombre d'ajustements dans le droit fil des accords de 2003. Ceux-ci avaient en effet accordé aux États membres des marges de manoeuvre, voire des libertés, dans l'application des décisions. Avait ainsi été prévue la possibilité de recoupler un certain nombre d'aides. Comme la France n'était pas favorable au découplage des aides – c'est-à-dire à la rupture du lien entre l'aide et l'acte de production –, elle a utilisé toutes les possibilités qui lui étaient offertes par les accords de Luxembourg. Pour ne prendre que deux exemples actuellement au coeur du débat, elle a décidé le recouplage à 100 % de la prime au maintien du troupeau des vaches allaitantes, la PMTVA, et le recouplage à 25 % des aides aux grandes cultures – nous devons être le seul État membre à avoir fait ce choix. Soit dit en passant, cette possibilité excluait quasiment de fait la régionalisation des aides : il ne peut y avoir de prime unique si coexistent des aides découplées et des aides recouplées !
Le débat français sur le bilan de santé de la PAC n'existe quasiment pas dans les autres États membres, car la majorité d'entre eux ont engagé, moyennant certains ajustements, une évolution vers une régionalisation des aides, voire vers une aide nationale unique. Parallèlement, les douze États membres les plus récents réclament de plus en plus fortement, vu la situation sur les différents marchés et l'évolution des prix agricoles, de disposer des mêmes niveaux de soutien que les quinze autres.
Il faut souligner que, malgré les tempêtes, la position de la commissaire européenne chargée de l'agriculture, Mme Fischer Boel, et de son entourage n'a pas changé : parvenir au « tout marché », avec, comme filet de sécurité, le régime de paiement unique, qui instaure le principe de l'aide directe. Nous pouvons débattre tant que nous voulons, le discours ne changera pas : « Peu importe la situation du marché, si cela va bien, tant mieux, si cela va mal, tant pis, débrouillez-vous avec le droit à paiement unique » – avec, éventuellement, quelques aménagements nationaux. On l'a vérifié hier encore, lors du conseil des ministres européens, à propos des quotas laitiers : quelle que soit la situation économique, il faut se satisfaire des rares outils de gestion des risques de marché qui restent. C'est triste à entendre, mais c'est ainsi !
Les décisions prises en novembre dernier ont renforcé cet état de choses. La Commission n'a guère laissé le choix, puisqu'elle a imposé le découplage total sur les céréales – avec, toutefois, une mise en oeuvre échelonnée suivant les cultures. Le mot d'ordre actuel, c'est le découplage intégral ! La seule marge de manoeuvre accordée aux États membres concerne le secteur de la viande bovine et ovine, pour lequel est accordé le droit de maintenir le recouplage, total ou partiel.
À l'aide de ce qu'il appelle sa « boîte à outils », le ministre français de l'agriculture a tenté d'apporter un certain nombre d'inflexions par rapport à cette politique. Lorsqu'en novembre 2004, Dominique Bussereau avait succédé à Hervé Gaymard au ministère de l'agriculture, j'avais défendu auprès de lui le principe – et c'est une position que j'assume, en tant que président de la FNSEA – que chaque producteur touche en 2006, année d'entrée en vigueur de la réforme de la PAC, un montant de compensations au plus près de celui de 2005. Telle est la situation actuelle.
C'est dans ce contexte qu'un certain nombre de sujets importants reviennent en discussion. La FNSEA a donné son accord à plusieurs évolutions présentées par le ministre.
Ainsi, personne ne conteste le fait qu'il était urgent de faire quelque chose en faveur du secteur ovin.
Personne ne conteste non plus qu'il fallait trouver le moyen, à travers l'enveloppe budgétaire consacrée aux aides du premier pilier, d'améliorer la gestion des risques en agriculture. Nous aurions souhaité aller plus loin et que soit évoquée la notion d'aléa économique, ou de risque de marché, mais la Commission européenne ne veut pas en entendre parler. Toutefois, une réelle avancée a été enregistrée dans la mesure où une enveloppe a été dévolue, du moins en partie, à l'assurance récolte et à la gestion des risques, notamment sanitaires. Il faut dire que nous avons traversé une suite de crises sévères, qu'elles soient sanitaires, avec la fièvre catarrhale ovine et la grippe aviaire, ou climatiques, avec la récente tempête dans le sud-ouest ! Cela répond, je crois, à une attente commune à la profession agricole et au monde politique.
Le développement de l'agriculture biologique s'inscrit pour sa part dans la ligne du Grenelle de l'environnement : un redéploiement des moyens paraissait nécessaire. Il en va de même du rééquilibrage des soutiens au profit de l'élevage à l'herbe. Certains privilégient les systèmes d'élevage à base de grandes cultures fourragères, d'autres les systèmes d'élevage à l'herbe. Cependant, tout le monde a fini par s'accorder sur la nécessité d'apporter un plus grand soutien à ces derniers.
Je voudrais souligner l'importance de la décision du Gouvernement de doter le deuxième pilier, consacré au développement rural, d'une enveloppe de 300 millions d'euros destinée à financer la prime à l'herbe agro-environnementale (PHAE), à revaloriser l'indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN), à soutenir l'installation des jeunes et à encourager la conversion vers l'agriculture biologique. C'était pour nous un préalable. Le risque était en effet grand que cette somme soit prélevée sur le premier pilier, consacré aux aides directes. Pour Bercy, c'était une opportunité pour ne plus avoir à financer directement sur le budget national un certain nombre d'aides, notamment la part nationale de la PMTVA. Il s'agit donc d'un engagement politique important : ce ne sont pas les autres producteurs qui paieront ces mesures.
S'agissant des autres mesures annoncées par le ministre devant le CSO (conseil supérieur d'orientation et de coordination de l'économie agricole et alimentaire), compte tenu des attentes et des craintes des différents acteurs, personne ne pouvait être pleinement satisfait.
Toutefois, certaines régions s'y retrouvent. Ainsi, le soutien à la production laitière en montagne anticipe les conséquences prévisibles de l'abandon des quotas laitiers, que Mme Fischer Boel a confirmé avec force hier. Il est important, dans un pays comme le nôtre, de soutenir l'élevage et la production laitière en montagne.
Cela fait partie du volet « redistribution » : dès lors que l'on travaille en enveloppe fermée, il faut nécessairement prendre aux uns pour donner aux autres. Or certains producteurs nourrissaient de fortes attentes, tandis que les autres craignaient que le prélèvement soit trop élevé et viennent amputer de manière importante leur revenu – lequel, il faut bien l'admettre, est dans de nombreux secteurs comme les grandes cultures, la viande bovine ou la production laitière, largement dépendant des aides, d'autant que les marchés sont devenus extrêmement erratiques. On n'abordait pas en 2007 une discussion concernant les grandes cultures de la même manière qu'en 2006 ! Idem pour la viande bovine, ou pour la production laitière, pour laquelle, cette année, l'aide directe au producteur ne suffira pas. Il faut donc gérer au mieux les quelque 9 milliards d'euros du premier pilier.
Qu'en pense-t-on sur le terrain ? Il y aura demain à Paris une importante manifestation des agriculteurs des grands départements céréaliers, qui contestent la brutalité de la redistribution et l'importance de l'effort qui leur est imposé. Il est vrai qu'on aurait pu accorder une certaine progressivité et définir des niveaux de participation. D'un autre côté, on a également entendu à Clermont-Ferrand les éleveurs regretter que les annonces ministérielles ne soient pas à la hauteur de leurs attentes.