En effet, nous avons le sentiment de parvenir progressivement à un consensus sur notre proposition. J'en rappelle l'économie générale.
La taxe professionnelle est un vestige de l'histoire industrielle de la France. Son paradoxe est sans doute de s'être révélée, dès sa création, en décalage avec l'économie de notre pays. Elle a été conçue pour un monde fordien, où l'économie est enfermée dans des frontières et où l'activité se mesure à la sortie des chaînes de production des usines. C'est ainsi qu'elle frappait dès son origine les facteurs de production industriels : les lieux, les machines et les hommes.
Dans un monde ouvert où l'industrie est en concurrence sévère et où une part essentielle de l'activité est immatérielle, cet impôt est rapidement devenu une source d'injustices. Il a principalement imposé de façon constante des industries de moins en moins productives de revenus, tandis que des secteurs émergents à forte valeur ajoutée demeuraient sous-imposés.
De replâtrages en réformes de l'assiette, l'État en est donc venu à assumer la moitié de l'imposition à la place des entreprises, si l'on tient compte de la compensation de la part salaires et de tous les dégrèvements. Ceci ne pouvait donc plus durer.
Quelles sont les principales propositions de notre scénario ?
Première proposition : la taxe professionnelle doit être remplacée par un impôt moderne et comparable au plan international. Il sera constitué de deux volets. Tout d'abord, un volet foncier assis sur les valeurs locatives. Nous proposons que ces valeurs soient révisées, car leur mode d'évaluation a pénalisé l'industrie depuis 30 ans. Toutefois, dès à présent, nous proposons de minorer les valeurs locatives industrielles de 15 %, pour amorcer un rééquilibrage. Ensuite, un impôt égal à 1,5 % de la valeur ajoutée des entreprises. Cette cotisation serait due par toutes les entreprises, mais son taux serait progressif pour celles de moins de 7,6 millions d'euros de chiffres d'affaires. Il s'agit en effet de trouver un compromis entre des effets d'aubaine que la mission a voulu éviter, des situations de sous-impositions manifestes que la mission a voulu corriger, et de nombreuses PME industrielles dont la mission n'a pas voulu augmenter la cotisation. Nous réfléchissons encore, avec le Gouvernement, sur les modalités précises de cette entrée progressive dans la CVA. Il pourrait notamment être envisagé de ne taxer au taux de 1,5 % que les entreprises de plus de 50 millions d'euros de chiffre d'affaires.
Deuxième proposition : revoir le financement des collectivités locales par la fiscalité. Nous proposons de spécialiser les impôts locaux selon une ligne simple : à l'échelon de proximité les assiettes foncières les mieux localisées, au département un panier de recettes mixte afin de préserver des budgets sous contrainte forte, à la région un impôt économique dynamique mais plus volatile, en lien avec sa compétence économique.
Certes, nous avons entendu de nombreuses revendications de la part des associations d'élus locaux quant au mode de répartition des nouvelles ressources fiscales. Certaines demandes reposent sur la volonté de profiter du dynamisme – réel ou supposé – de certains impôts (comme la CVA) réputés plus dynamiques que d'autres. D'autres demandes témoignent de la volonté de conserver une liberté de vote de taux, fut-ce sur une fraction marginale des impôts perçus. Ainsi, le bloc communal souhaiterait obtenir une part de la CVA, plutôt que la totalité de la taxe d'habitation. Les départements souhaiteraient bénéficier d'une fraction gelée du produit national de CSG, en lieu et place des dotations. Quant aux régions, elles souhaiteraient conserver un lien fiscal avec les ménages.
Sur ces aspects de répartition, le rapport que nous vous soumettons propose un schéma équilibré. Pour autant, nous avons considéré qu'aucune porte ne devait être fermée et que la discussion devrait se poursuivre d'ici au vote de la loi de finances. Il sera important, alors, de traiter ces questions car le scénario de notre mission permet, vu son coût budgétaire, d'opérer en une fois, dès 2010, la réforme pour les entreprises. Mais il sera indispensable de donner une année supplémentaire, afin que leur garantie de ressources soit appréciée au mieux.
Par ailleurs, nous avons jugé indispensable de proposer que la réforme en cours soit l'occasion de créer de nouveaux mécanismes de péréquation, y compris horizontale. Il faut mesurer qu'à la sortie du processus, certaines collectivités seront financées majoritairement par des dotations gelées en valeur, tandis qu'il faudra prélever sur la fiscalité d'autres collectivités massivement gagnantes. De telles disparités ne seront soutenables qu'avec une péréquation efficace. C'est pourquoi nous proposons notamment qu'une partie des croissances annuelles de produit, au-delà d'un certain seuil, soit partagée avec un Fonds national de péréquation, qui la reversera aux collectivités moins autonomes ou moins favorisées. Pour celles-ci, la péréquation sera le dynamisme minimal qui leur garantira, dans la durée, le maintien en volume de leurs ressources.
Le travail de la mission va continuer sur cette réforme, afin de préciser certains arbitrages concernant notamment la progressivité de la CVA, ou encore la répartition des impôts locaux.
Plus globalement, nous n'estimons pas avoir épuisé avec cette réforme la question de la fiscalité locale. Au contraire, il nous semble que plusieurs chantiers d'importance demeurent devant nous, tels que le régime de la taxe d'habitation. De plus, nous avons conscience qu'une fois la réforme de la taxe professionnelle achevée, ou à tout le moins votée au Parlement, il sera nécessaire d'entamer une révision en profondeur des critères de répartition des dizaines de milliards d'euros que l'État verse chaque année aux collectivités territoriales.