Je vous remercie. Je prends comme une chance l'occasion qui m'est donnée aujourd'hui de m'expliquer – en primeur – sur une affaire complexe qui, même si le dossier Adidas en constitue le volet principal, ne se limite pas à celui-ci mais s'étend à d'autres contentieux comme M. le président l'a rappelé, et sur les choix de gestion qui ont orienté la décision de recourir à un arbitrage. J'ai souhaité, en effet, réserver la primeur de mes déclarations à la représentation nationale. Faute de pouvoir réunir la Commission en plein été, j'ai été entendu par le président de la commission des Finances du Sénat juste à la brisure des vacances et en coordination avec vous, je crois, monsieur le président, sur le calendrier. J'avais souhaité qu'il en soit ainsi. Je suis aujourd'hui à la disposition des commissaires pour répondre sans rétention ni dissimulation à toutes les questions qu'ils voudront bien me poser.
Le dossier étant foisonnant, il me paraît nécessaire, après l'audition de vos travaux de ce matin – sans vouloir laisser penser que vous ne connaissez pas le dossier – de revenir, quitte à paraître un peu insistant, sur quelques points concernant les origines de cette affaire.
Je rappellerai, d'abord, en quelques mots ce qu'est le CDR. M. Charles de Courson, qui représente l'Assemblée nationale au conseil d'administration de l'EPFR et suit le dossier de la défaisance du Crédit lyonnais, rapporte tous les ans – il l'a fait encore ce matin – sur la gestion du CDR. Je ne vais évidemment pas paraphraser ses propos, mon intention étant de vous dire brièvement où l'on en est.
Le CDR est une société de cantonnement, c'est-à-dire, dans le jargon professionnel, qui est un mauvais franglais, une structure de défaisance. Il a été chargé, en avril 1995, au sein du Crédit lyonnais – il en était, au départ, une filiale – puis, à partir de novembre 1995, en dehors de celui-ci – après l'intervention d'une loi qui a créé un actionnaire public, l'EPFR, dont l'ancien président, M. Bertrand Schneiter, a été entendu par votre Commission ce matin et dont le nouveau président, M. Bernard Scemama, le sera tout à l'heure – de régler ce que les Anglais appellent la bad bank, c'est-à-dire les dossiers dépréciés, dégradés, « pourris » d'une certaine manière, que cette banque comportait dans son bilan et qui avaient causé, à l'époque, un certain nombre de problèmes. Actionnaire à 100 % du CDR, l'EPFR contrôle et supervise ses activités. Dès l'origine, le CDR a donc reçu la charge de gérer, de céder ou de valoriser s'il le pouvait – mais il ne le pouvait pas toujours – un certain nombre d'actifs douteux, dépréciés, et de faire face – c'est malheureusement le cas dans l'affaire qui nous préoccupe aujourd'hui – aux contentieux multiples et variés qui suivent souvent ce genre de gestion.
À l'origine, il était un véritable monstre. Doté de quelque 25 milliards d'euros d'actifs, en valeurs brutes, il avait à peu près 4 000 lignes de participation et presque autant de contentieux. Cela vous donne une idée de la complexité de la tâche de mes devanciers et de l'énormité du sujet. Aujourd'hui, le sujet s'est substantiellement rétréci. Je ne dirais pas pour autant qu'il ne reste que de petites affaires : certaines sont encore significatives et peuvent poser des problèmes à l'avenir.
Alors que le CDR était l'un des plus gros propriétaires immobiliers de Paris, en héritage du groupe Crédit lyonnais, il n'a conservé qu'une poignée d'actifs immobiliers ou physiques, dont il ne vaut guère la peine de parler. Cette page est tournée. En revanche, il reste de nombreuses créances attachées à des crédits bancaires ou des concours financiers qui n'ont pas été soldés, créances dont la plupart sont décotées ou dépréciées – 400 millions en valeurs brutes au bilan 2007 –, qui sont génératrices de contentieux – quelque 120. À côté d'une poussière de petits contentieux dont il n'est pas utile de parler maintenant, il en est une dizaine qui valent la peine d'être regardés. Je ne les détaillerai pas, nous y reviendrons peut-être dans le débat. Je citerai simplement ceux que nous avons aux États-Unis, qui ne se limitent pas à la queue de la comète de l'affaire Executive Life mais portent sur la poursuite d'un escroc – autant l'appeler par son nom – qui, après, avoir emprunté de l'argent à toute la place bancaire de Paris, en particulier au Crédit lyonnais, s'en est servi pour acheter des hôtels. Nous avons transigé sur l'hôtel mais nous avons poursuivi le personnage en responsabilité personnelle. Pour vous montrer que le CDR ne perd pas toujours, j'ai le plaisir de vous annoncer que, depuis lundi, ce personnage et ses complices sont condamnés par la justice américaine en première instance à la somme de 266 millions de dollars à notre profit. Le problème est maintenant d'aller les chercher car vous devinez comme moi que son insolvabilité a dû être scientifiquement programmée.
Bien que structure « en finition », le CDR n'est pas, pour autant, totalement négligeable. Il comporte un certain nombre de dossiers significatifs.
Pour avoir assisté aux auditions de ce matin, il me semble également utile de rappeler – en vous demandant de me pardonner quelques redites – ce qu'était le groupe Tapie à l'origine et au moment où l'affaire s'engage et d'où venaient les contentieux. Il est en effet important de préciser de quoi l'on parle et pourquoi un arbitrage a pu se faire.
De manière très simplifiée, le groupe Tapie était organisé à partir du métier – très particulier – de repreneur d'entreprises. Il a été construit par Bernard Tapie, qui en était le propriétaire à 100 % avec son épouse. La structure de tête, en quelque sorte, était donc M. et Mme Tapie. En dessous, on trouve, propriétés exclusives de M. et Mme Tapie, deux sociétés en nom collectif – SNC –, ce qui n'est pas très habituel. L'une, qui ne nous intéresse pas trop en la circonstance, la FIBT – la Financière immobilière Bernard Tapie – porte les avoirs patrimoniaux, privés en quelque sorte, du couple Tapie : le domicile, le bateau, le mobilier et un certain nombre d'actifs patrimoniaux. La seconde SNC, GBT – Groupe Bernard Tapie –, qui est concernée principalement dans la sentence arbitrale, est une holding industrielle, si ce mot peut être appliqué au sujet, qui regroupe les participations détenues par le groupe Tapie dans un certain nombre de sociétés : La Vie Claire, Terraillon, Testut, Tournus. Tous ces noms sont connus et ont illustré l'histoire financière. À côté, il est une société d'un type un peu particulier, qui nous intéresse directement pour Adidas : la sous-holding qui porte Adidas. Lorsque M. Tapie achète Adidas en 1990, il le fait à travers une société de droit allemand qui est une GmbH, c'est-à-dire une SARL allemande : BTF GmbH. Cette société est rattachée à une structure intermédiaire, Bernard Tapie Finance, société cotée sur la place de Paris – qui n'est donc pas la propriété exclusive du groupe Tapie mais compte des actionnaires minoritaires – qui porte les actifs industriels et, indirectement, Adidas à travers la GmbH.
Quand M. Tapie achète Adidas, la société n'est pas celle que nous connaissons aujourd'hui. Elle est le numéro 3, et non le numéro 1, des articles de sport. Propriété des héritiers du fondateur, M. Dassler, elle est cédée au groupe Tapie dans un état moyen. L'ambition de ce dernier est de la redresser, puis d'essayer d'en tirer de l'argent. Il emprunte de manière très lourde au groupe Crédit lyonnais, en particulier aux sociétés dont le CDR est l'héritier aujourd'hui, dont la SDBO – la Société de Banque Occidentale – qui est une banque faisant du crédit à l'intérieur du groupe Crédit lyonnais.
En avril 1992 – je vais, évidemment, à l'essentiel et me limite aux points généraux – M. Tapie est nommé ministre de la Ville. Il indique alors – c'est sa version ; lorsque vous l'entendrez la semaine prochaine, j'imagine qu'il reviendra sur des points de sa biographie que je ne connais pas – qu'il souhaite se dégager le plus possible de ses participations économiques parce qu'il estime que les deux activités doivent être séparées. Sa décision nous paraît un peu « enchanteresse ». La thèse défendue par le CDR devant le tribunal arbitral est que, si cette séparation était demandée, c'est plutôt parce que ses affaires étaient en difficulté et qu'il lui fallait trouver de l'argent pour remettre à flot son groupe. Bien que le tribunal arbitral nous ait donné tort, je tiens à préciser que nous n'avons jamais fait nôtres les thèses de M. Tapie, lequel était pour nous, et est encore techniquement puisque l'arbitrage n'est pas achevé, une partie adverse.
En novembre 1992, le Groupe Bernard Tapie prend l'attache du groupe Crédit lyonnais et lui indique qu'il souhaite un réaménagement de leurs rapports financiers pour permettre une vente d'Adidas. Entre-temps, l'entreprise Pentland, propriétaire de Reebok et numéro 1 à l'époque du secteur, a pris une participation assez faible dans Adidas et laissé entendre qu'elle pourrait aller jusqu'à en prendre le contrôle majoritaire. Mais l'affaire n'a pas eu lieu pour différentes raisons que je laisse le soin à M. Tapie de préciser, car nous n'en faisons pas la même présentation. Au moment où GBT contacte le groupe Crédit lyonnais, il n'a pas d'acheteur pour Adidas et demande donc à la banque de lui en trouver un. Cela prend la forme d'accords, conclus au mois de décembre 1992. Ceux-ci sont le noeud de l'affaire car tout provient de là.
Le 10 décembre 1992, est signé ce que l'on appelle le mémorandum, sorte de contrat cadre entre la SDBO – aujourd'hui CDR Créances –, le groupe Bernard Tapie Finance, c'est-à-dire la holding cotée qui porte les participations industrielles, et ce que l'on appellera le groupe Tapie, c'est-à-dire la société GBT au-dessus de BTF. Cet accord prévoit – en simplifiant – le désengagement industriel du groupe Tapie, sa restructuration et son désendettement au moyen d'un levier : la vente programmée d'Adidas, qui est sans doute l'actif le plus valorisé et valorisant de ce groupe.
Pour mettre en exécution ce contrat, qui n'a pas de portée directe mais est simplement un gentlemen's agreement, sont signés, le 16 décembre 1992, une lettre d'engagement et un mandat. Par la première, les sociétés GBT et BTF s'obligent à vendre Adidas avant le 15 février 1993 à toute société désignée par la SDBO pour la somme – le prix est déjà fixé et est ne varietur – de 2,085 milliards de francs. Pour donner le moyen technique de l'exécution de cette lettre, un mandat, au sens pleinement juridique du mot, consenti par BTF – qui est l'actionnaire direct de la société allemande qui porte Adidas – à la SDBO, confie à cette dernière le soin de solliciter des acheteurs : la banque a toute liberté dans le choix de ces derniers, le prix a été fixé par la fameuse lettre d'engagement, la date butoir est fixée au 15 février 1993.
Que fait la banque ? Elle cherche des acheteurs et exécute son mandat. Le problème est qu'elle ne trouve pas d'acheteur. Peu à peu s'impose l'idée de ce que l'on appelle dans les documents de l'époque un « actionnariat de transition » destiné à remplacer le groupe Tapie dans la propriété d'Adidas en attendant qu'un acheteur final se dégage, le désengagement souhaité par le groupe Tapie risquant de ne pas avoir lieu dans les délais.
Entre alors en scène Robert Louis-Dreyfus, qui est un industriel important et connu. En janvier 1993 – c'est en tout cas ce qu'il a déclaré au procureur général Burgelin lors de la médiation de 2004 –, il indique qu'il pourrait s'intéresser à Adidas et envisager de l'acheter mais demande à voir au préalable ce dont il s'agit : il accepterait d'être le manager de cette entreprise et de prendre une participation modeste de 15 %.
Le tour de table correspondant à l'actionnariat de transition dont je parlais s'esquisse. On y trouve Clinvest, la deuxième société que représente le CDR, une petite banque d'affaires du groupe Crédit lyonnais – que le CDR maison mère a remplacée –, les AGF, la banque Worms, Mme Beaux en tant que particulier et trois nouveaux venus : la société RICESA de M. Louis-Dreyfus, un fonds de la banque Warburg, qui s'appelle Coatbridge, et un fonds de la Citibank, qui s'appelle Omega détenu par une société appelée Citistar. Comme tous ces investisseurs n'ont pas forcément à l'instant t l'argent nécessaire pour acheter, le groupe Crédit lyonnais – en l'occurrence, la SDBO – met à leur disposition des crédits sous la forme de ce qu'on appelle des prêts à recours limité, c'est-à-dire des prêts assortis d'une sorte de clause d'intéressement : les partenaires – le prêteur et le prêté – s'entendent sur une clause de partage de la plus-value, du gain de croissance, qui sera dégagée par le bien dont l'achat est financé par le prêt.
Le tour de table se met en place et, le 10 février 1993, la cession d'Adidas intervient. Le même jour, les membres du tour de table consentent à M. Louis-Dreyfus, via sa société, une promesse de vente. Contrairement à ce qui a pu être soutenu, il ne s'agit ni d'un engagement ferme de M. Louis-Dreyfus d'acheter, ni d'un acte de vente. C'est une option d'achat : il a la liberté d'acheter dans un délai qui se termine à la fin de 1994, conformément au souhait qu'il a émis de voir ce que devenait Adidas sous sa direction et s'il y avait des perspectives de croissance et d'enrichissement. Le prix auquel M. Louis-Dreyfus s'engage à acheter s'il lève l'option dans le délai est de 3,7 milliards de francs. Ce chiffre ne vient pas d'une exoplanète : il correspond au business plan de l'entreprise, elle-même sous la gestion du groupe Tapie. M. Louis-Dreyfus prend la direction d'Adidas. Fin 1994, il lève l'option et l'achète.
Entre-temps, s'est déroulé un autre événement : le 13 mars 1994, M. Tapie et son épouse ont signé un protocole d'accord de séparation avec le Crédit lyonnais maison mère – en fait avec nous puisque le Crédit lyonnais se porte fort de la SDBO. Ce protocole correspond à la volonté des deux intéressés de mettre fin à la relation de clientèle bancaire. Je pense que M. Tapie détaillera ce point. La SDBO était devenue le banquier majoritaire, pour ne pas dire exclusif, du groupe Tapie. Cette situation n'était pas, j'imagine, très confortable à vivre ni d'un côté, ni de l'autre.
Ce protocole annule le mémorandum et, par là même, un certain nombre d'opérations de restructuration qui n'avaient pas eu lieu. Si les actifs proposés par le groupe Tapie pour désintéresser la banque ne suffisent pas à éteindre les prêts, elle accepte de faire remise du solde des créances à M. et Mme Tapie. Le problème est que le protocole est dénoncé quelques semaines après, le 17 mai 1994, par la banque, qui en notifie la caducité. M. Tapie ayant proposé des biens qu'il avait à sa disposition pour éteindre ses dettes, dont son mobilier, une des conditions du protocole était qu'une expertise des meubles devait être effectuée. Celle-ci n'ayant pas été produite dans les délais, pour des raisons que j'ignore, la banque a utilisé cet argument pour mettre fin au protocole. Il s'ensuivit toute une série de conséquences. Après que le tribunal de Paris eut constaté, au mois de novembre, la caducité du protocole et l'eut confirmée, une procédure de redressement judiciaire fut lancée, suivie assez vite, d'une procédure de liquidation judiciaire. Le groupe Tapie ainsi que M. Tapie personnellement ont été mis en liquidation.
Le CDR étant créé peu de temps après, j'arrive au moment où il commence à s'occuper de l'affaire puisque des contentieux apparaissent. Je vais préciser la genèse de cette affaire car on ne peut pas comprendre l'arbitrage si on ne sait pas quels sont les contentieux dont on parle.
On peut facilement imaginer que M. Tapie et ses avocats – techniquement ses liquidateurs, au sens juridique du mot – ne sont pas satisfaits. Ils lancent toute une série de procès pour, d'abord, faire annuler la déclaration de faillite et la liquidation qui a été prononcée et, ensuite, contester les opérations qui ont été conduites par les banques. Ils contestent, non seulement la rupture des relations de 1994, mais également – c'est finalement l'action principale – les conditions dans lesquelles la sortie d'Adidas du groupe Tapie a été organisée : ils attaquent en justice les banques pour avoir – c'est leur thèse, pas la nôtre – manqué au mandat qui avait été confié à la SDBO et organisé un tour de table qu'ils qualifient d'impur, puisqu'on y trouvait, selon eux, des opérateurs détenus en réalité par le groupe Crédit lyonnais.
Toute une série de procès débutent alors, qui durent encore aujourd'hui. Aucun d'entre eux, sauf exception rare, n'est éteint en 2007 et 2008 : on en trouve encore une bonne douzaine à des stades inégaux. Certains sont encore en première instance devant des juridictions commerciales ou au tribunal de grande instance, d'autres sont en cours d'appel. Adidas est en retour de la Cour de cassation devant la Cour d'appel de Paris. Ce foisonnement d'affaires sur la table complexifie extraordinairement cette affaire et la fait durer.
Deux étapes importantes concernant Adidas proprement dit doivent être rappelées.
Un arrêt de la Cour d'appel de Paris du 30 septembre 2005 condamne, de manière un peu spectaculaire pour les commentateurs, les banques, c'est-à-dire le Crédit lyonnais et ses filiales, à une indemnité au profit des liquidateurs du groupe Tapie. Le fondement de cette condamnation réside dans les prêts à recours limité, ce mécanisme particulier et un peu rare de financement des opérations de rachat d'Adidas qui comportait une clause de partage prévoyant que, au cas où il y aurait une plus-value dégagée sur Adidas, le vendeur, c'est-à-dire les nouveaux acquéreurs, recevrait 30 % de ce surcroît d'enrichissement et la banque, le financier qui porte le risque, 70 %. La thèse défendue par le groupe Tapie devant la Cour d'appel, et sur laquelle la Cour d'appel lui donne raison, est que ces prêts ont été proposés aux intervenants dans le tour de table intermédiaire, mais pas à lui alors qu'ils auraient dû également être mis à sa disposition. Il fait valoir que, faute d'avoir disposé de ces prêts qui lui auraient apporté un surcroît d'oxygène financier, il n'a pas été en mesure de conserver Adidas, de le développer et, ensuite, de le vendre au mieux de ses intérêts.
Tel est le motif précis de la condamnation à une indemnité de 135 millions d'euros, portée ensuite à 145 millions d'euros par la Cour d'appel de Paris.
Le CDR et le Crédit lyonnais élèvent pourvoi. La Cour de cassation se saisit du dossier et rend, le 9 octobre 2006, en assemblée plénière, un arrêt sur lequel je vais m'arrêter un instant car il en est fait diverses présentations. Je suis heureux que M. Schneiter l'ait commenté avant moi. Je ne pense pas trop me départir de ce qu'il a dit. S'il est indéniable que cet arrêt constitue une victoire momentanée pour le CDR et le Crédit lyonnais, je vais essayer de vous expliquer, en quelques minutes, qu'il ne pouvait en aucun cas s'agir d'une victoire absolue et intemporelle.
Cette cassation, qui est une cassation partielle – cela figure en toutes lettres sur l'arrêt – ne met pas fin aux procédures pouvant être formées par les liquidateurs dans la mesure où elle confirme la recevabilité de ces derniers à agir, qui avait été reconnue par la Cour d'appel de Paris. Or il ne s'agit pas de n'importe quelle recevabilité. Je vous invite à lire attentivement ces arrêts car ils ont leur importance. On parle d'une matière technique, juridique, compliquée. La Cour d'appel de Paris, confirmée par la Cour de cassation – il y a unité de jurisprudence – reconnaît la recevabilité des liquidateurs de GBT. Pourquoi de GBT ? Parce que BTF, Bernard Tapie Finance, société cotée, qui était la sous-holding qui détenait indirectement Adidas, n'est plus, à ce moment-là, dans le groupe Tapie. En 1995, le CDR nouvellement créé, a exercé un gage constitué par un nantissement des titres de cette société, si bien que BTF a été ramenée dans le groupe CDR en position de filiale. Cela viendra en diminution d'ailleurs de la dette du groupe Tapie le moment venu. Cela veut dire qu'il ne reste plus dans la liquidation que la structure de tête, c'est-à-dire GBT. Or cette société n'était pas l'actionnaire direct d'Adidas. Le problème était donc de savoir si les liquidateurs de cette société et du groupe Tapie en général étaient ou non recevables, alors qu'ils n'étaient pas les détenteurs directs de l'ancienne participation dans Adidas, à venir rechercher une responsabilité supposée des banques. La réponse apportée par la Cour d'appel de Paris a été qu'ils avaient ce droit, mais pas n'importe quel droit. Ce qu'a dit très précisément la Cour d'appel, et qui a été validé par la Cour de cassation, c'est que les liquidateurs du groupe Tapie avaient le droit d'engager des procédures à condition de prouver que GBT avait un préjudice propre, indépendant de sa qualité d'actionnaire. En effet, bien que ce soit un peu étonnant – je livre cette particularité à la sagacité des membres de la commission des Finances – en droit français, un actionnaire d'une société n'a pas le droit de se plaindre de ce qui se passe dans une filiale ou même du fait qu'une filiale soit lésée ou autre, s'il ne peut prouver un préjudice propre. Il a des droits assez stricts et délimités. Les liquidateurs intervenant au nom d'un actionnaire ne peuvent pas mettre uniquement en avant la qualité d'actionnaire de leur client pour contester une opération qui s'est passée dans la filiale. La Cour d'appel de Paris, suivie par la Cour de cassation, a reconnu aux liquidateurs du groupe Tapie le droit d'agir sur la base de l'exécution du mémorandum signé par GBT, qui donnait à cette société des droits particuliers, indépendants de sa qualité d'actionnaire. Le contrat prévoyait, en effet, que le produit de la vente d'Adidas devait servir principalement, et presque exclusivement, à éteindre les dettes du groupe donc, en particulier, de la tête du groupe. Prétendre que toute recevabilité des liquidateurs était barrée est une erreur technique. Le chemin était certes étroit, mais il existait.
Deuxièmement, la Cour de cassation a cassé l'arrêt de la Cour d'appel nous condamnant sur un motif et un seul, très précis. La Cour d'appel avait estimé que nous avions commis une faute en ne proposant pas de mettre à disposition du groupe Tapie les prêts à recours limité. La Cour de cassation qui, en l'espèce, a protégé les intérêts de la place bancaire de Paris, a refusé de reconnaître – il n'aurait plus manqué que cela ! – qu'il y avait une obligation de prêter. Elle a très normalement – et on peut tous s'en réjouir – annulé la partie de l'arrêt de la Cour d'appel qui indiquait clairement à des emprunteurs qu'ils avaient un droit absolu au prêt. Un banquier, d'après la Cour de cassation, a tout à fait le droit, pour des raisons fondées, de refuser un crédit. Comme la Cour d'appel nous a condamnés uniquement sur ce motif, son arrêt a été cassé par la Cour de cassation. Cela ne signifie pas, comme cela a malheureusement été dit ou écrit – ce qui me paraît être une approximation dommageable – que toute condamnation des banques était impossible. La Cour de cassation a écarté la responsabilité du Crédit lyonnais maison mère dans l'exécution des contrats parce qu'elle estimait qu'il n'était pas signataire des contrats ou le faisait pour un tiers. Mais d'autres voies pouvaient être plaidées – avec succès ou pas, c'est une autre affaire. La Cour de cassation ne fermait pas la porte à une condamnation au titre, par exemple, de la responsabilité civile délictuelle prévue à l'article 1382 du code civil : la responsabilité pour faute indépendante d'un contrat. Par ailleurs, la responsabilité du CDR, c'est-à-dire des filiales du Crédit lyonnais, SDBO ou Clinvest, pouvait parfaitement être recherchée. En tant que financier, banquier, prêteur, mandataire, il était un peu le Maître Jacques de l'affaire. Le fait de savoir si une juridiction reconnaîtrait ou pas cette responsabilité est une autre affaire. En tout cas, un droit à agir était ouvert aux liquidateurs sur tous les motifs que la Cour de cassation n'avait pas écartés. Deux étaient mis en avant depuis le début de cette affaire : l'exécution du mandat était-elle correcte ou non ? Le banquier avait-il ou non commis un manquement à l'interdiction de se porter contrepartie ? C'est un point important. Si vous demandez à un agent immobilier de mettre en vente un appartement, il n'a pas le droit de l'acheter lui-même et il commet une faute s'il le fait acheter par quelqu'un qu'il contrôle ou qui lui est proche. L'une des questions posées par nos adversaires et qu'il appartenait aux juridictions de trancher, était de savoir si, en composant le tour de table intermédiaire, les banques avaient ou non correctement agi.
Enfin, la Cour de cassation n'était pas une ligne de crête indépassable. Nous aurions souhaité qu'elle le fût. Mais ce n'était pas le cas. Elle avait laissé ouvertes un certain nombre de brèches : une sur la recevabilité, une autre sur les responsabilités qui pouvaient nous être imputées. La cassation n'était que partielle. Elle portait sur un seul motif de responsabilité et non pas, par avance, sur tous les motifs, en tout temps, en tout lieu. Elle n'était pas en acier inoxydable, elle n'était pas incontournable.
Telle est la situation juridique et factuelle fin 2006 à partir de laquelle nous avons agi. À cette cheville de mon exposé, je me dois de vous donner trois précisions utiles.
Premièrement, je reviendrai, après avoir lu des choses malheureusement inexactes, sur les conditions de ma nomination au CDR. J'ai été nommé le 20 décembre 2006 au terme normal du mandat de mon prédécesseur Jean-Pierre Aubert qui parlera dans cette salle dans un instant. Jean-Pierre Aubert était à quatre mois de son départ à la retraite. Il était difficilement envisageable de le prolonger très longtemps. Le mandat du conseil d'administration arrivant à son terme, celui-ci a été renommé et recomposé. Il était normal de nommer un nouveau dirigeant. On m'a proposé ce poste. Il n'échappera à personne que cette nomination prend place alors que M. Breton est ministre de l'économie et des finances, M. Dominique de Villepin, premier ministre et M. Jacques Chirac, président de la République. Je n'ai pas été nommé pendant le mandat de M. Sarkozy. J'ai été nommé à une échéance normale de la vie de cette société. Ce rappel, malheureusement, était nécessaire.
Deuxièmement, je précise que, à partir de maintenant, quand je dirai « la banque », il ne s'agira que du CDR. J'ai parlé du Crédit lyonnais dans mon rappel historique mais le Crédit lyonnais maison mère n'est pas partie à l'arbitrage – on pourra dire pourquoi mais je ne vais pas m'attarder là-dessus. Par ailleurs, le CDR a été créé par un protocole signé entre l'État et le Crédit lyonnais pour protéger les intérêts du Crédit lyonnais et les défendre. Je ne voudrais pas – je le dis publiquement – que, de près ou de loin, tel ou tel de mes propos puisse être déformé et utilisé contre le CDR et que le Crédit lyonnais vienne se plaindre de mon comportement ou de mes actes. Il est hors de question que je dise quoi que ce soit sur le Crédit lyonnais que j'ai la charge de protéger. Donc, quand je dirai la banque, il s'agit, premièrement, de SDBO, la Société de Banque Occidentale, la filiale qui a financé les activités industrielles du groupe Tapie et qui s'appelle aujourd'hui CDR Créances, filiale de premier rang du CDR et, deuxièmement, de Clinvest, banque d'affaires, qui intervenait en haut de bilan et qui s'appelle aujourd'hui CDR maison mère.
Troisièmement – c'est une tautologie mais j'ai tellement l'impression par moments d'être en position de défense que je préfère donner cette précision, quitte à passer pour un balourd – je ne suis pas, pour paraphraser un aphorisme récent et célèbre, un « copain » de M. Tapie. Je suis un haut fonctionnaire, à la carrière sans tache et sélectif dans le choix de ses « copains ». M. Tapie est une partie adverse. Cela signifie que nous ne sommes pas dans le même camp et que, aujourd'hui encore, comme l'arbitrage est toujours en cours, nous sommes des adversaires au sens juridique du mot. Nous ne sommes pas des ennemis. Je n'ai pas de raison particulière de détester M. Tapie mais ni moi-même ni ma société n'avons non plus aucune raison particulière de passer, de près ou de loin, pour ses affidés.
J'arrive maintenant à la genèse de l'arbitrage. Celui-ci n'a pas été demandé par le CDR. Il a été sollicité par les liquidateurs du groupe Tapie, en deux temps.
Premier temps. Fin janvier 2007, je crois – alors que j'avais été nommé le 20 décembre 2006 – je reçois un courrier, dont je suis d'ailleurs assez surpris, des liquidateurs de M. Tapie. Trouvant la procédure trop longue, ils suggèrent un arbitrage. Je me suis contenté d'une réponse purement d'attente, faisant valoir que, venant de prendre mes fonctions, je ne connaissais pas l'affaire, que, la décision devant se prendre au niveau des organes sociaux, on verra bien le moment venu et qu'il était hors de question de répondre sur le fond. Les choses en sont restées là.
Second temps. Le 1eraoût, une nouvelle sollicitation nous est adressée par les liquidateurs du groupe Tapie, qui nous réinvitent à accepter un dénouement de l'ensemble des contentieux nous opposant – je rappelle qu'il y en a une douzaine avec Adidas – par le biais d'un arbitrage. Nous acceptons d'étudier, dans un premier temps, cette proposition. Pourquoi ? Parce qu'un certain nombre de paramètres techniques – j'insiste sur ce qualificatif ; n'allez pas me faire dire ce que je ne dis pas – ont bougé.
Premier paramètre. Le président de la Cour de cassation a changé. Nous connaissions le point de vue de celui qui avait présidé aux travaux de l'assemblée plénière de 2006. Il était, en revanche, parfaitement oiseux de spéculer sur la position de la Cour de cassation, sous un nouveau premier président. C'est un premier élément de changement technique qu'il nous est apparu important de peser.
Deuxième paramètre : les demandes de l'adversaire ont été sérieusement modifiées, pour ne pas dire bouleversées, en juin 2007. Je rappelle que, au moment où le second courrier nous parvient, nous sommes devant la Cour d'appel de renvoi : la Cour de cassation a renvoyé le dossier à la Cour d'appel de Paris autrement composée. Je ferai à ce sujet une remarque. Ayant une formation juridique, je n'ignore pas la loi. Je sais parfaitement que la Cour de cassation a le droit de renvoyer à la même Cour d'appel, autrement composée. Néanmoins, même si ce n'est pas la même chambre ou les mêmes juges, on ne peut pas ignorer qu'il s'agit de la même juridiction, laquelle, dans notre cas, nous avait condamnés. Or, dans les écritures que les liquidateurs du groupe Tapie produisent devant cette Cour d'appel, en juin 2007, apparaît un fait étrange et nouveau : au lieu de demander, comme ils le faisaient d'habitude, la compensation plus ou moins intégrale de la plus-value qu'ils estimaient « avoir été abusivement captée par la banque », ce qu'ils appellent la « revente au double » – je mets des guillemets ; c'est leur thèse –, ils demandent la compensation du préjudice qu'ils auraient subi par une somme, certes extravagante mais inquiétante, partant de la valeur d'Adidas au moment où les écritures sont produites. L'entreprise ayant, entre-temps, été recédée par M. Louis-Dreyfus à de nouveaux actionnaires, elle est assez prospère et vaut, à ce moment-là, 9 milliards d'euros en capitalisation boursière à la bourse de Francfort. Or le groupe Tapie détenait 78 % dans cette société. Le calcul est simple à faire : il est question de quelque 7 milliards d'euros. Il est évident – ne me faites pas dire ce que je ne veux pas dire ; je ne suis pas en train d'essayer de vous vendre un propos de charlatan – qu'aucune juridiction, Cour d'appel ou autre, n'aurait consenti une telle indemnité. Cela étant, un juge du fond, quand il est saisi, a deux attitudes possibles : soit il part d'un raisonnement et, s'il estime que ce raisonnement conduit à une indemnité, il l'applique, soit il fait l'inverse et part de l'indemnité et trouve ensuite un raisonnement. Personne ne peut dire ce qu'aurait fait une juridiction du fond. C'est un morceau d'histoire qui n'a jamais été écrit et qui ne le sera jamais. Je sais bien – je réponds par avance à un argument que M. le rapporteur ne manquera pas de m'opposer – qu'on ne part pas de la valeur actuelle d'un bien. Tous les juristes le savent et moi le premier. Cette thèse ne pouvait pas prospérer. Mais il suffisait qu'en adossement financier, on nous demande, pour une faute alléguée, de payer une indemnité représentant 5 % de la somme exigée, cela faisait 350 millions d'euros, c'est-à-dire plus que ce que le tribunal arbitral a décidé. Je vois des députés hocher la tête. Mais nous craignions très fortement à l'époque qu'un juge du fond ne nous condamne à une somme potentiellement plus importante que la première fois. Lors du premier jugement, le moteur, si j'ose dire, était bridé. La thèse défendue alors par le groupe Tapie reposant sur les prêts à recours limité, une condamnation ne pouvait excéder 30 % de la plus-value correspondant à la clause de partage. Dès lors que la Cour de cassation avait écarté ce motif, la voie d'autres fautes était accessible – à condition, bien sûr, de les prouver ; encore une fois, nous avons combattu violemment les thèses de notre adversaire – et, là, il n'était plus question des mêmes chiffres. On peut discuter sur le sujet à n'en plus finir. En tout cas, théoriquement, ce calcul était accessible à un juge du fond.
Troisième paramètre : le contentieux concernant Adidas n'était plus seul en cause. Une douzaine d'affaires étaient sur la table. La crainte que nous avions – et c'est la raison pour laquelle nous avions accepté, non pas l'arbitrage, à cette époque, mais l'examen de celui-ci, ce qui n'est pas pareil, je ne suis toujours qu'à la genèse de l'arbitrage – est que, dans l'hypothèse où nous aurions été condamnés dans l'affaire Adidas par la Cour d'appel de renvoi – ce qui ne pouvait être écarté – toute une série d'effets indésirables auraient pu en découler en aval. On pouvait redouter, par exemple, d'être condamné une deuxième fois au titre d'un comblement de passif, c'est-à-dire de payer l'aggravation du passif causé par le consentement de la banque qui finance un peu trop longtemps un client en difficulté.