Monsieur le président Pierre Méhaignerie, mes chers collègues, je salue moi aussi le climat de travail constructif et consensuel qui a régné tout au long des travaux de notre mission, dépassant les clivages politiques : l'égalité d'accès aux soins, ce n'est ni de gauche, ni de droite.
Au cours de ces travaux, entamés en avril dernier, nous avons procédé à près de cinquante auditions et tables rondes, ainsi qu'à trois déplacements dans des territoires très différents – dans la Nièvre, la Mayenne et la Seine-Saint-Denis. Ainsi, nous avons pu prendre la mesure de la gravité et de la diversité des difficultés d'accès aux soins auxquelles sont confrontés nos concitoyens.
Le rapport que je vous présente aujourd'hui dresse dans sa première partie un état des lieux de ces inégalités et de ces difficultés d'accès aux soins, puis expose dans sa seconde partie les trente propositions que je fais pour y remédier. Ce rapport arrive au bon moment, juste après les états généraux de l'organisation de la santé et juste avant l'examen du projet de loi « Hôpital, patients, santé et territoires ».
Tout le monde est d'accord sur le constat suivant : il est de plus en plus difficile de trouver un médecin, un dentiste ou une infirmière en zone rurale ou en zone urbaine sensible, notamment la nuit et le week-end ; même en ville, les dépassements d'honoraires peuvent créer des difficultés d'accès aux soins. La baisse des numerus clausus dans les années 1980 et 1990 va engendrer dans les années à venir une véritable pénurie de médecins et de dentistes. De près de 10 000 médecins et dentistes formés par an en France jusque dans les années 1980, on est passé brutalement à 3 500 médecins et 800 dentistes.
De ce constat ressortent deux points importants.
D'une part, les pouvoirs publics mesurent mal les difficultés d'accès aux soins. D'après les statistiques officielles, en moyenne, les Français seraient à quatre minutes d'un cabinet médical et il n'y aurait que cinq cantons où ce temps d'accès dépasserait vingt minutes. Notre expérience quotidienne, sur le terrain, permet d'en douter.
D'autre part, en attendant les agences régionales de santé (ARS), les pouvoirs publics manquent de leviers d'action pour maîtriser le niveau et la répartition des professionnels de santé. À partir de 2003, nous avons mis en place des incitations financières diverses pour attirer les médecins dans les zones qui en manquent, mais elles n'ont pas produit l'effet escompté.
Alors, que faire ? Dans la perspective de la discussion du projet de loi annoncé sur l'hôpital, les patients, la santé et les territoires, je fais trente propositions, que je formule sans tabou car il est urgent d'agir.
Avant tout, je crois indispensable de renforcer les outils de pilotage de l'offre de soins. Aujourd'hui, nos multiples aides à l'installation des professionnels de santé sont ciblées sur des zonages délimités de façon variable et souvent contestable – avec des frontières qui méconnaissent la réalité des bassins de vie. C'est pourquoi je propose d'instituer dans la loi des normes quantifiées d'accès aux soins (proposition n° 1) et de réviser sur cette base la situation de chaque bassin de vie, qui est l'unité géographique la plus pertinente pour cela (proposition n° 2). Ainsi, on fixera un cap clair aux futures ARS, ce qui, bien sûr, n'interdit pas de leur laisser des marges de manoeuvre. Elles devront en effet mener un vrai travail de terrain pour renforcer le maillage territorial de l'offre de soins même en dehors des zones classées déficitaires, afin à la fois d'atténuer les effets de seuil, de frontière, voire d'aubaine inhérents au principe même du zonage (proposition n° 3) et d'anticiper les difficultés à venir, liées au départ à la retraite d'un nombre important de médecins : ainsi, en Mayenne, 40 % d'entre eux ont plus de 55 ans.
Ensuite, des aides publiques sont distribuées par l'État, l'assurance maladie et les collectivités territoriales, qui ont chacun leurs propres dispositifs. Résultat : le système est incompréhensible pour les professionnels, et les collectivités territoriales se livrent à une surenchère coûteuse et inéquitable. Celles qui ont le plus de moyens à y consacrer, par exemple en investissant massivement dans l'immobilier médical, ne sont pas toujours celles qui ont le plus besoin de médecins. Comme on nous l'a souvent dit, on répond aux déserts médicaux par la loi de la jungle. C'est pourquoi je propose d'encadrer ces aides (proposition n° 5) et de les organiser autour d'un schéma et d'un guichet unique (proposition n° 4).
Pour corriger les inégalités financières dans l'accès aux soins, un encadrement des dépassements d'honoraires des professionnels de santé doit être envisagé (proposition n° 6).
Enfin, on voit bien sur le terrain que les incitations financières mises en place depuis déjà plusieurs années ne suffisent pas à attirer des professionnels de santé là où ils manquent. Aussi est-il désormais nécessaire de mettre des freins à leur installation dans les zones déjà suréquipées, dans le cadre d'une réponse graduée à ce problème. Il est proposé d'envisager, dans un premier temps, des mesures « désincitatives », comme une modulation de la prise en charge de leurs cotisations sociales par l'assurance maladie (proposition n° 7). Dans un deuxième temps, si de telles mesures ne suffisent pas, des mesures plus contraignantes seraient à prévoir, à l'image du dispositif de conventionnement sélectif que les infirmiers libéraux viennent d'accepter. Enfin, en cas de grave accentuation des difficultés actuelles, les pouvoirs publics ne devront pas s'interdire de prendre des mesures plus contraignantes encore, du type des règles géo-démographiques en vigueur pour les pharmaciens. Il en va de la sécurité de nos concitoyens. Ces mesures permettront un pilotage plus efficace de l'offre de soins.
Encore faut-il qu'il y ait assez de professionnels de santé et qu'ils exercent effectivement leur métier. Ce n'est pas toujours le cas. Près de 40 % des diplômés de médecine générale, soit près de 40 000 médecins, n'exercent pas la médecine générale de premier recours, préférant s'installer comme homéopathe, acupuncteur et autres, afin notamment de contourner la permanence des soins. Jusqu'en 2005, les généralistes pouvaient, sans être spécialistes, opter pour un exercice spécialisé, comme la gynécologie médicale ou l'allergologie. Désormais, les diplômés de médecine générale sont des spécialistes. Pour utiliser au mieux le temps de travail des professionnels de santé et redonner de l'attractivité à leur métier, il convient de structurer l'offre de soins de premier recours, c'est-à-dire l'ensemble des soins curatifs et préventifs du quotidien, dispensés notamment par le médecin généraliste, le dentiste, l'infirmier libéral et certains spécialistes, comme l'ophtalmologue ou le gynécologue.
Il me semble indispensable de revaloriser les soins de premier recours, en reconnaissant leur spécificité dans la loi (proposition n° 8) et en confiant aux professionnels qui les dispensent des « mandats de santé publique » (proposition n° 9) ouvrant droit à des rémunérations forfaitaires, plus adaptées que le paiement à l'acte pour valoriser leurs actions de santé publique et leur coordination. De façon inattendue, les futurs médecins semblent d'ailleurs moins attachés au paiement à l'acte que leurs prédécesseurs. Contrairement à ce qui se passe trop souvent, il ne faut pas exclure de cette démarche les centres de santé (proposition n° 10), qui peuvent utilement pallier le déficit de l'offre libérale dans bien des territoires.
Dans certains départements, la permanence des soins est encore organisée de façon coûteuse et peu fiable, compliquant l'accès aux soins la nuit et le week-end. Le rapport recommande donc de mutualiser, dans un cadre contractuel, les moyens qui y sont consacrés de façon cloisonnée (proposition n° 11) et de résorber en parallèle les « zones blanches des services mobiles d'urgence et de réanimation » (proposition n° 12). L'encombrement des urgences est la conséquence directe de la mauvaise organisation de la permanence des soins. L'expérience de la Mayenne, où 207 des 209 médecins généralistes participent à la permanence des soins, montre qu'il est possible de l'organiser de façon attractive pour les praticiens.