Je voudrais revenir sur la question des prête-noms. Dans le cadre d'investigations internationales menées par une JIRS sur des montages transnationaux impliquant des sociétés luxembourgeoises ou panaméennes, le problème se pose évidemment en termes de preuves et d'entraide pénale. Néanmoins, dans les cas de blanchiment de proximité, nous sommes quotidiennement confrontés à des affaires complexes dans lesquelles les biens ne sont quasiment jamais au nom des suspects. Il s'agit souvent d'artifices de courte vue, faisant appel à la famille proche ou à la concubine ; les certificats de carte grise sont ainsi systématiquement établis au nom de tiers.
À la PIAC, nous avons étudié la manière de tourner l'obstacle. L'incrimination de non justification de ressources est une solution, dès lors que le propriétaire est en relation régulière avec l'auteur de l'infraction et qu'il est incapable d'expliquer comment il a financé l'acquisition du bien. On peut également faire appel à un texte plus ancien, mais peu utilisé : l'infraction de recel – notamment pour les compagnes détenant des biens dont elles savent pertinemment la provenance frauduleuse. Enfin, dans le cas de prête-noms « actifs », on peut invoquer l'article 324-1 du code pénal, qui assimile à un blanchiment toute participation à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit d'un crime ou d'un délit. La difficulté est d'en apporter la preuve pénale.
En tout cas, nous considérons que nos investigations ne s'arrêtent pas parce qu'un titre de propriété est au nom d'un proche. Patricia Mathys l'a dit, nous nous inspirons de textes civils, comme l'article 1321 du code civil sur « les contre-lettres », pour en transposer les méthodes au plan pénal. Quand une voiture luxueuse est au nom d'une personne dont le nom ne figure pas dans le dossier, ce qui est un obstacle à sa saisie, nous engageons des investigations complémentaires sur son financement – qui, bien souvent, est assuré par un crédit à la consommation. Si, comme cela arrive souvent, le prêt est remboursé bien avant l'échéance suite à un important dépôt d'espèces sur le compte bancaire, il n'est pas compliqué d'en tirer des conclusions pénales. En outre, après l'achat, il faut entretenir le véhicule, le faire contrôler, payer le stationnement ou le droit d'amarrage, etc. Un faisceau d'indices permet ainsi au juge d'aboutir à la conclusion que la propriété apparente n'est pas la propriété réelle, laquelle est d'ailleurs souvent confirmée par des témoins. Nous avons obtenu gain de cause sur quasiment la totalité de ce que nous appelons les « requalifications de propriété », ce qui nous a permis d'obtenir, suivant les dispositions de l'article 99-2, des ordonnances autorisant la remise de ces biens aux Domaines ainsi que leur vente.