Je rejoins M. Duchaine et Mme Mathys : seuls les textes conduisent notre action ; à défaut, nous travaillons dans l'improvisation, avec tous les risques d'invalidation de la procédure que cela comporte. De ce point de vue, les textes dont nous avons parlé – articles 54, 56 et 97 du code de procédure pénale –, qui donnent un fondement à la saisie, sont inadaptés aux objectifs des investigations modernes, car focalisés sur les pièces à conviction. Dès lors, OPJ et magistrats éprouvent, d'un point de vue juridique, des difficultés à appréhender certains éléments de patrimoine même lorsqu'ils sont en relation avec l'infraction – qu'ils en soient le produit ou l'instrument –, hormis le cas de ce qui peut servir à la manifestation de la vérité, c'est-à-dire des éléments constitutifs de l'infraction. Dans ce domaine, la réécriture proposée par la proposition de loi est donc utile.
L'article 54 est le plus important, puisque les autres en découlent. Mais l'esprit de cet article, c'est la constatation de la scène de crime, la recherche des armes et instruments qui ont participé à la commission de l'infraction ou du produit direct de cette infraction. Or les actions que nous conduisons aujourd'hui vont bien au-delà. Dès lors, la possibilité pour des officiers de police judiciaire de procéder, sous le contrôle de l'autorité judiciaire, à des perquisitions destinées à saisir des avoirs pour la seule raison qu'il s'agit d'avoirs confiscables représenterait un très grand progrès.
Beaucoup de professionnels du secteur ont apprécié la modification de l'article 131-21 du code pénal accomplie par la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance. Désormais, les modalités de confiscation sont clarifiées, qu'il s'agisse de la confiscation stricto sensu – c'est-à-dire du produit direct de l'infraction ou de l'instrument de commission –, de la confiscation des biens dont on ne peut justifier l'origine, ou de la forme la plus offensive, c'est-à-dire la confiscation générale du patrimoine, prévue pour une dizaine d'infractions parmi les plus graves. En l'état actuel de la législation, cependant, au lieu de nous demander si nous sommes en mesure de saisir, nous nous demandons si le bien est confiscable, ce qui relève d'une logique contraire à la chronologie. De ce point de vue, la proposition de loi apporterait une clarification importante en posant le principe général selon lequel tout bien qui encourt la confiscation est, par ce seul fondement, saisissable. Une fois ce principe affirmé, il ne restera plus qu'à déterminer quelle autorité prononce la saisie, selon qu'il s'agit d'un bien mobilier ou immobilier, corporel ou incorporel.
En ce qui concerne la gestion des biens saisis, tous les praticiens font le même constat : dans notre pays, nous ne faisons qu'organiser l'absence de gestion. Nous faisons même tout pour ne pas avoir à gérer les biens, et pour commencer, nous essayons de nous en débarrasser en les faisant vendre – ce qui n'est d'ailleurs pas la plus mauvaise solution, à partir du moment où cela permet de consigner une somme sur une chose qui se déprécie par nature. Toutefois, la question reste entière s'agissant des immeubles. Je pense ainsi à certains dossiers sur lesquels nous travaillons en relation avec des juridictions interrégionales spécialisées, et qui concernent des immeubles laissés à l'abandon. Le risque est d'autant plus grand, dans de tels cas, que la protection apportée par les scellés est loin d'être parfaite.
La gestion des immeubles représente pourtant un enjeu patrimonial et budgétaire non négligeable, puisque j'ai pu constater, au vu des états statistiques établis grâce à la base nationale des saisies de la PIAC, que la valeur de seize biens immobiliers saisis, en 2007, dépassait celle de l'ensemble des véhicules saisis sur tout le territoire national.
J'en reviens, comme Patricia Mathys, à l'article 706-103 du code de procédure pénale. Je constate qu'il n'est pas supprimé par la proposition de loi, même si elle lui apporte quelques modifications. Ainsi, plutôt que d'employer le terme de « saisies » conservatoires, on parle de « mesures » conservatoires, ce qui est en effet bien plus exact.
Comme l'a rappelé Charles Duchaine, nous avons peu à peu échafaudé une réflexion juridique sur la capacité, pour des magistrats et des OPJ, de préparer des saisies dans deux contextes juridiques radicalement différents. Dans un cas, il s'agit de saisies purement pénales, au sens où on peut déduire des éléments objectifs du dossier un lien évident entre le bien et l'infraction – qu'il s'agisse du produit ou de l'instrument de l'infraction. Ainsi, le bénéfice d'un trafic de stupéfiants est le produit direct de l'infraction, et les intérêts générés par le placement de cette somme, le produit indirect. Quant à l'instrument, c'est tout simplement le lieu de fabrication ou de stockage, ou le véhicule utilisé pour le transport. Je note au passage que dans les affaires de proxénétisme ou de traite des êtres humains, on ne saisit que très rarement des immeubles dans lesquels les propriétaires ont pourtant entassé des familles de vingt-deux personnes dans des deux-pièces de dix mètres carrés...
L'autre voie explorée provient de l'article 706-103, lui-même inspiré par l'ancien article 706-30, qui ne concernait que le trafic de stupéfiant. Il permet de prendre des mesures de garantie civile sur le patrimoine – sous-entendu non lié à l'infraction – dans le but de rendre possible une confiscation générale des biens – mais seulement, je le répète, pour une petite famille d'infractions. La rédaction de l'article 706-103, tel qu'il a été adopté, va toutefois au-delà de l'intention initiale de ses auteurs, puisqu'il comprend des dispositions destinées à indemniser les victimes. Elles ont été très bien accueillies, mais leur application reste très théorique. En effet, la prise de mesures de sûreté sur un bien appartenant au mis en examen ne pourra bénéficier à la victime que si celle-ci s'en trouve être la créancière. Or si les articles R. 24-1 et suivants du code de procédure pénale, relatifs au contrôle judiciaire, prévoient qu'une sûreté peut bénéficier à la victime – même si, dans ce cas, la sûreté doit être acceptée par le mis en examen –, il n'en est pas de même dans l'article 706-103. Ainsi, s'il existe une volonté, tout à fait honorable, de rendre aux victimes une partie de ce qu'on leur a pris – je pense en particulier aux affaires d'escroquerie organisée, qui peuvent toucher des centaines de personnes et représenter des dizaines de millions d'euros de préjudice –, cette volonté reste toutefois très théorique : concrètement, il n'existe que peu de moyens d'indemniser les victimes, car les sûretés prises au nom de l'État ne leur sont pas transmissibles, à moins de l'avoir prévu très en amont.
Rappelons que les mesures conservatoires prévues par l'article 706-103 visent à garantir le paiement des amendes, l'indemnisation des victimes et l'exécution de la confiscation. Or cette dernière disposition risque de se retrouver vidée de son sens avec la mise en place, par la proposition de loi, d'un nouveau titre XXIX visant à organiser les saisies en vue de la confiscation. Il serait sans doute nécessaire de prévoir une meilleure articulation entre l'article 706-103 et l'article 706-147, relatif « aux saisies patrimoniales ». Il y a en effet une évidente proximité entre les deux articles – dans les deux cas, il s'agit de saisir tout ou partie des biens en vue d'une confiscation – qui risque d'entraîner une certaine confusion. Or nous avons déjà éprouvé de grandes difficultés à faire accepter la capacité, pour un juge d'instruction, de saisir pénalement en dehors de l'article 706-103. Il a fallu, de la part de certains pionniers dont fait partie M. Duchaine, un travail intensif d'explication. Et si on peut se réjouir de voir cette proposition de loi avaliser, pour partie, des pratiques que nous avons développées sur le terrain, il reste que l'articulation entre ces deux articles pourrait poser problème, d'autant que, et l'expérience le montre, l'usage de l'article 706-103 demeure largement méconnu dans les juridictions françaises.