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Intervention de Charles Duchaine

Réunion du 25 novembre 2008 à 18h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Charles Duchaine, vice-président du tribunal de grande instance de Marseille, magistrat instructeur à la juridiction interrégionale spécialisée de Marseille :

Dans cette affaire, nous devons tenir compte de la psychologie du juge comme de celle du délinquant.

Sans loi, un juge ne fait rien. Et à l'heure actuelle, dans certains domaines, rien ne se fait faute de texte. Il en est ainsi de la saisie immobilière, une pratique encore très peu répandue.

Quant au délinquant, vous avez noté, monsieur le président, qu'en dépit de son incarcération, ses proches pouvaient mener grand train. Mais il y a plus grave : certains continuent à diriger leurs trafics depuis l'intérieur de la maison d'arrêt, parce qu'on les a laissés en possession de leurs avoirs, et qu'ils ont donc la possibilité de faire fonctionner leur entreprise criminelle.

Au plan légal, en matière de procédure, nous disposons aujourd'hui de trois articles : les articles 54, 94 et 97 du code de procédure pénale. L'article 54 ne concerne que les crimes et délits flagrants. Il permet à l'officier de police judiciaire de saisir l'instrument du crime ainsi que son produit. Cependant, l'objectif recherché n'est pas d'ordre économique ou patrimonial, mais relève de la recherche de preuve : il s'agit de collecter les pièces à conviction. L'article 94 permet au juge d'instruction d'effectuer des perquisitions dans tous les lieux où peuvent se trouver des objets dont la découverte serait utile à la manifestation de la vérité. Là encore, il s'agit de pièces à conviction, et donc, implicitement, de biens mobiliers. Nous sommes donc bien loin de la saisie immobilière ou de la saisie patrimoniale. De même, l'article 97 évoque les objets placés sous main de justice, mais il n'organise pas une procédure de saisie pénale.

En l'absence de textes, une pratique s'est donc développée depuis des décennies. Les magistrats et officiers de police judiciaire se sentent autorisés à saisir les pièces à conviction, c'est-à-dire les éléments de nature à prouver l'infraction, mais aussi les biens mobiliers : véhicules – automobiles, bateaux, voire avions –, butin d'un vol à main armée, produit de la vente de cocaïne, etc. Cependant, si le produit a été réinvesti dans des acquisitions immobilières, pratiquement tout le monde s'accorde à dire que l'on ne peut rien faire.

À mon avis, c'est une erreur, et en ce sens, la loi du 9 mars 2004 m'a donné des ailes. En effet, à partir du moment où l'article 706-103 du code de procédure pénale autorise le juge des libertés et de la détention à prendre des mesures conservatoires sur les biens du mis en examen – ce que l'on pourrait qualifier de mesures de « sûreté judiciaire » –, je ne vois pas pourquoi, en tant que juge d'instruction, je ne pourrais pas prendre des mesures identiques, selon les mêmes règles et en application des mêmes textes, de façon à appréhender le produit de l'infraction, qu'il soit mobilier ou immobilier, direct ou indirect. J'ai donc procédé en 2005 – et j'ai sans doute été le premier à le faire – à la saisie d'un certain nombre d'immeubles dans le département du Vaucluse, acquis par un ancien gendarme d'origine belge devenu escroc international. Après avoir détourné plus de 50 millions d'euros, celui-ci avait en effet réinvesti le produit de ses délits dans des bateaux et dans des villas situées dans le Sud de la France. Pour justifier ces saisies, je me suis appuyé sur l'article 81 du code de procédure pénale, qui permet au juge d'instruction de prendre toute mesure utile à la manifestation de la vérité, et j'ai interprété a contrario l'article 99 : dès lors que le juge d'instruction pouvait décider de ne pas restituer les objets placés sous main de justice, j'ai estimé qu'il pouvait saisir tout ce qui permettait d'assurer la « sauvegarde des droits des parties » – donc, également, des biens immobiliers.

Depuis lors, la pratique a été encouragée, si je puis dire, et une distinction s'est établie entre le patrimonial, qui relève de l'article 706-103, et donc du juge des libertés et de la détention, et le pénal, qui relève du juge d'instruction. On a ainsi estimé que l'objet, le produit ou l'instrument de l'infraction étaient de la compétence du second, et tout le reste de celle du premier. C'est, à mon avis, une erreur grossière, car l'article 706-103 ne prévoit pas des confiscations, mais une sûreté judiciaire en vue de garantir le paiement des amendes encourues, l'indemnisation des victimes ou, par équivalence, l'exécution d'une confiscation qui n'aurait pas été effectuée. Il n'a donc pas vocation à être associé à l'article 131-21 du code pénal, lequel définit les peines de confiscation. Je le déduis du texte même de l'article 706103, selon lequel le jugement de condamnation valide les mesures de conservation même si une confiscation n'est pas expressément prononcée par le tribunal.

Tel est, grosso modo, l'état de notre pratique. Nous l'avons largement développée avec l'aide de la PIAC, dont l'existence est un atout en faveur de sa dissémination dans d'autres tribunaux. Mais je le répète, sans texte, le juge ne fera rien. Nous sommes encore peu nombreux à explorer ainsi le terrain de façon empirique.

La plupart de mes collègues n'ont pas recours à de telles procédures, considérant qu'elles ne sont pas prévues par la loi, et sont donc illégales. Quant à ceux qui, comme moi, y ont recours, ils sont confrontés à de nombreuses difficultés. À défaut de cadre pénal, nous devons nous soumettre aux dispositions de la procédure civile, qui sont extrêmement formalistes, rigoureuses et coûteuses : il faut rendre un titre exécutoire – ce que seul un juge peut faire –, puis passer la main au parquet qui, en tant que représentant de l'État, se présente comme le créancier de la personne poursuivie. La créance étant déterminée – elle est constituée par le montant maximum de l'amende encourue, le montant éventuel du produit de l'infraction investi dans les acquisitions immobilières, et, le cas échéant, quelques accessoires –, on procède à une inscription à la Conservation des hypothèques, comme n'importe quel créancier privé. Comme on ne peut se prévaloir d'aucune prérogative de puissance publique, le processus est long et coûteux.

Le problème existe aussi, malheureusement, au plan international. Nous sommes en effet de plus en plus sollicités par des États étrangers, membres ou non de l'Union européenne. S'appuyant sur des conventions que notre pays a signées ou sur des dispositions que nous avons intégrées en droit interne, ils nous demandent de procéder à des saisies ou à des gels – la terminologie est variable, mais l'objectif est le même. Or, étant à peine capables de le faire pour nous-mêmes, nous avons du mal à le faire pour nos collègues étrangers. J'ai toutefois pris la liberté de le faire, avec les Italiens ou les Hollandais, par exemple. En ce domaine, il serait cependant nécessaire d'harmoniser les procédures : la loi de 1996 reste en vigueur, tandis que les articles 695-9-1 et suivants du code de procédure pénale, issus de la loi de 2005 qui a transposé la directive européenne de 2003, prévoient des compétences et des modalités d'exécution différentes. Il faudrait que le même juge soit toujours compétent dans le même cas, et que la procédure applicable soit la même.

En ce qui concerne la gestion, la création d'une agence spécialisée m'apparaît indispensable. Je me souviens ainsi d'avoir été confronté à d'importantes difficultés après avoir saisi une vingtaine de bateaux. Lorsque j'ai demandé à ce qu'ils soient placés dans le port de Marseille, le préfet a aussitôt pris un arrêté me faisant l'heureux concessionnaire – en mon nom propre ! – d'une centaine de mètres linéaires de quais, pour un tarif exorbitant. J'ai bataillé avec la Chambre de commerce et d'industrie de Toulon pour les convaincre de m'accorder la gratuité, puisque le cahier des charges le prévoyait s'agissant des navires de l'État. Finalement, on m'a fait payer comme si j'étais un plaisancier ! En outre, il faut prévoir l'entretien et le gardiennage des navires. On peut certes saisir les Domaines pour effectuer une vente avant jugement, mais la procédure est très lourde. Au final, de telles saisies coûtent parfois plus cher qu'elles ne rapportent, car la gestion des biens est éparpillée et confiée à des gens dont ce n'est pas le métier. La création d'un organisme central spécialisé serait donc bienvenue.

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