J'ai actuellement pour tâche principale de préparer le programme de Stockholm, ainsi intitulé parce qu'il devrait être approuvé par le Conseil européen de la fin 2009, sous la présidence de la Suède. Ce programme sera valable pour les années 2010-2014.
La plupart des questions relatives au secteur justice, sécurité et liberté étant jusqu'à présent soumises à la règle de l'unanimité, il était parfois difficile d'avancer. Ainsi nous ne pouvons pas lancer de procédure d'infraction contre un État membre qui ne transpose pas un texte. Les Irlandais devraient revoter début octobre sur le Traité de Lisbonne, ce qui devrait permettre son entrée en vigueur début 2010. Le secteur justice, liberté et sécurité connaîtra alors un essor important.
Pourquoi est-il important d'avancer dans ce domaine ? Tout d'abord ce ne sont pas moins de 8 millions d'Européens qui vivent dans un État membre autre que leur pays d'origine. Près d'une succession sur dix a une dimension internationale. La cybercriminalité ne connaît pas de frontières – on dénombre 1 500 sites Internet marchands ou non marchands à caractère pédopornographique. En 2007, 600 attaques terroristes ont été perpétrées dans onze États membres. Aux 1 636 points d'entrée que compte désormais l'Union, 900 millions d'entrées ont été comptabilisées en 2006. Près de 18 millions de ressortissants de pays tiers vivent en Europe, soit près de 4 % de la population totale, auxquels s'ajoutent plusieurs millions d'immigrés en situation irrégulière.
L'espace européen doit par conséquent devenir un espace de droit. Le programme de Stockholm compte quatre chapitres, tournant tous autour de la question de la citoyenneté : l'Europe des droits, avec la garantie de faire valoir partout ses droits fondamentaux ; l'Europe de la justice, c'est-à-dire l'accès à la justice quel que soit l'État membre où l'on se trouve ; l'Europe qui protège, par le biais d'une stratégie d'action contre la criminalité organisée et le terrorisme ; l'Europe solidaire en matière de droit d'asile et d'immigration.
S'agissant de l'Europe des droits, le programme abordera les problèmes de protection des données. Dans ce domaine, nous devons repenser nos instruments et doter l'Europe d'un dispositif posant les principes du consentement des citoyens pour l'usage de leurs données personnelles et du contrôle des applications par des autorités indépendantes, comme notre CNIL.
L'Europe des droits couvre aussi le domaine des élections. Il serait souhaitable que le prochain scrutin européen se tienne en un jour unique.
La protection consulaire doit être offerte à tous les citoyens européens. Après l'attentat de Bombay, les ressortissants d'États membres dépourvus de consulat ont été un peu laissés de côté alors qu'un consulat chef de file aurait pu s'occuper d'eux.
Si le Traité de Lisbonne est ratifié, l'Union européenne deviendra partie à la Convention européenne des droits de l'homme et la Charte des droits fondamentaux sera intégrée dans le corpus de textes de l'Union, ce qui fera converger les jurisprudences de la Cour de justice des communautés européenne et de la Cour européenne des droits de l'homme, la CJCE et la CEDH.
S'agissant de l'Europe de la justice, le principe n'est pas l'harmonisation des systèmes judiciaires mais la reconnaissance mutuelle, qui permet de se passer d'exequatur. À cet égard, le mandat d'arrêt européen fonctionne bien, il apporte de l'efficacité à la police judiciaire.
Il conviendra de développer la formation des magistrats afin de les initier aux nouveaux outils européens et surtout de leur faire mieux connaître les systèmes judiciaires des autres États membres. Nous pensons développer des modules de formation auprès d'Eurojust – l'Unité de coopération judiciaire de l'Union européenne – et organiser un système de stages Erasmus pour les magistrats.
Je rêve d'aller plus loin en dressant un tableau comparatif des systèmes judiciaires pour évaluer les forces et les faiblesses de chacun et insister sur les bonnes pratiques. Ce sera un peu difficile à « vendre » mais je pense que la présidence suédoise sera assez ambitieuse dans ce domaine.
En matière de justice civile enfin, nous avons toujours une aide judiciaire à apporter pour lutter contre les comportements abusifs sur les marchés financiers, pour mettre sur pied un système de saisie bancaire européenne et pour introduire un vingt-huitième régime optionnel concernant le droit des contrats. Un vingt-huitième régime optionnel pour le droit de la famille faciliterait les procédures de divorce des couples binationaux mais il sera beaucoup plus difficile à mettre en place.
S'agissant de l'Europe qui protège, le premier dossier est celui de la coopération policière. Nous avons commencé à faire travailler ensemble les policiers des différents États membres, notamment à travers les équipes d'enquête communes et des exercices d'alerte. Nous allons essayer de renforcer les équipes communes d'enquête autour d'Europol – l'Office européen de police –, de mettre cette agence en synergie avec Eurojust et de faire circuler l'information, ce qui requiert un système de protection des données efficace.
En matière de justice pénale, nous devons progresser en renforçant Eurojust, en créant un mandat européen d'obtention de preuve, en partageant les informations contenues dans les casiers judiciaires et surtout en prévoyant des garanties minimales pour les procédures pénales, un peu défaillantes dans certains États membres. La reconnaissance mutuelle est impossible sans de telles garanties.
Frontex – l'Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures – joue un rôle de plus en plus important pour contrôler les frontières. Nous avons surtout besoin de systèmes d'information électroniques sophistiqués, comme le SIS II (Schengen Information System II), pour les contrôles d'identité dans l'espace Schengen, ou le VIS, Visa Information System, pour les demandeurs de visas. Il faut faire travailler les entreprises ensemble pour améliorer la standardisation et l'interopérabilité.
Nous devons aussi nous donner des stratégies contre les grandes criminalités, la prostitution, la drogue.
S'agissant enfin de l'Europe solidaire, il convient de distinguer politiques migratoires et politiques d'asile.
En matière migratoire, nous ne nous en sortirons que par une approche globale intégrant aide au développement et gestion concertée des migrations. Pour le volet migration régulière, un cadre juridique commence à s'ébaucher, avec une carte bleue pour les migrants qualifiés, dont l'Europe a besoin. Je compléterai ce cadre juridique avec des mesures pour les saisonniers et les stagiaires rémunérés. Je voudrais surtout fonder un observatoire des besoins et des migrations car l'action des États membres reste trop fragmentée.
En matière de migration irrégulière, il faut lutter contre les passeurs, qui organisent notamment les passages par voie maritime et ont aujourd'hui pignon sur rue. Il faut aussi que Frontex facilite les retours par des vols organisés selon des règles bien précises.
En matière d'asile, l'Europe n'est pas suffisamment solidaire. Certains États membres crient au secours : Malte, qui ne compte que 400 000 habitants, a accordé le statut de protection de Genève à plus de 10 000 réfugiés et ne peut plus aller au-delà. Il faudra donc que les États membres se répartissent la charge. Nous allons nous efforcer d'uniformiser les procédures d'instruction des demandes d'asile. Le bureau d'appui, qui devrait être opérationnel au début du mandat du futur Parlement européen, veillera à ce que les textes harmonisant les procédures d'asile soient vraiment mis en pratique.
Avec le programme de Stockholm, nous avons donc entrepris de créer un véritable espace de droit et de justice.
Lors de mon voyage aux États-Unis, en mars, j'ai pris acte d'une demande très forte de l'administration Obama : elle souhaite que les Européens participent à la réorientation de la lutte antiterroriste et qu'un terme soit mis à tous les excès et abus tolérés voire encouragés jusqu'à présent à Guantanamo. Nous avons un peu progressé puisque nous avons fait admettre aux États-Unis la nécessité de faire circuler l'information entre nos États membres, notamment par le canal de leurs services de renseignement, quand l'un d'eux accepte un ex-détenu de Guantanamo. Surtout, une déclaration politique conjointe de l'Union européenne et des États-Unis devrait être adoptée par le conseil Affaires générales du 15 juin prochain, mettant en évidence l'engagement mutuel des deux signataires en faveur du respect de l'État de droit et du droit international dans le combat contre le terrorisme, mais aussi en faveur de la coopération antiterroriste et plus généralement en matière de justice et d'affaires intérieures.
La protection des données est un problème récurrent que nous n'avons pas encore résolu. Un comité d'experts est tombé d'accord sur quelques principes généraux mais nous butons sur une discrimination : un citoyen américain peut obtenir par voie de justice la rectification des données le concernant, mais pas un citoyen européen demeurant aux États-Unis. C'est pour nous une question de principe et j'ai bon espoir – les premiers contacts ont été positifs – qu'un accord puisse être obtenu avant la fin de l'année avec la nouvelle administration.