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Intervention de Jean-Hervé Lorenzi

Réunion du 13 mai 2008 à 16h45
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Jean-Hervé Lorenzi :

Même si je partage beaucoup des analyses de Christian de Boissieu, ma position diffère un peu de la sienne en ce qu'elle est plus interrogative et plus pessimiste.

Nous assistons à une course de vitesse entre une crise classique, celle de l'immobilier, et une crise systémique, extrêmement grave et inquiétante à laquelle les économistes n'ont pas beaucoup de réponses à apporter. Le risque existe de voir la crise bancaire dégénérer en crise financière majeure, mais le pire n'est pas sûr. Il faut déjà dresser un état des lieux précis, car nous sommes dans le brouillard.

Le rôle des subprimes est connu ; ce qui l'est moins, c'est la façon dont la crise s'est diffusée, à partir de quelques milliers de Special Investment Vehicles, de Collateralised Debt Obligations, selon une mécanique financière complexe, sécrétant sa propre logique. Il n'est pas sûr que l'on sache aujourd'hui déterminer l'ampleur de ce qui est en jeu : à l'heure qu'il est, nous en sommes, hors AIG, à 310 milliards de dollars de dépréciations d'actifs, tandis que le FMI parle, lui, à juste titre à mon avis, de 1 000 milliards. La création d'instruments bancaires parallèles, non contrôlés, a permis aux trente ou quarante premières banques mondiales de sortir des créances de leur bilan via la titrisation, mais elles restent au coeur de la tourmente. Il n'est pas sérieux de dire que la crise financière est derrière nous – si tant est que la fourchette donnée soit la bonne –, ne serait-ce que parce qu'AIG ne sera pas la seule compagnie d'assurance à être touchée dans de telles proportions. L'incertitude subsiste donc quant à l'ampleur du phénomène. Le seul point commun avec 1929, ce sont les annonces en décalage avec la réalité. À la veille du Jeudi noir, Irving Fisher déclarait que le problème était sous contrôle, ce qui incite à la modestie. Comment en sortir ? Par une meilleure régulation, comme le prônera le prochain rapport de Patrick Artus, Jean-Paul Betbèze et Christian de Boissieu.

La titrisation, nous sommes tous d'accord, est une bonne chose pour aller chercher l'épargne là où elle existe. Le déficit commercial américain a permis de créer de l'activité au niveau mondial, sur la base d'un accord entre les pays émergents, qui produisaient, et les pays occidentaux qui achetaient, les États-Unis se finançant auprès des banques centrales des premiers, ou bien grâce à la titrisation. L'équilibre a été rompu à cause d'un phénomène historique : jamais, depuis un siècle, le système bancaire n'a connu un tel taux moyen de rentabilité. Les grandes banques d'investissement américaines, et derrière elles, tout le système bancaire, ont été entraînées dans une double dérive : aller chercher des clients insolvables – c'est la crise des subprimes – et transformer la mécanique bien connue de la titrisation en une machine infernale. Nous sommes d'accord aussi pour souligner à quel point les normes comptables et la nouvelle réglementation prudentielle sont pro-cycliques. Le principe du mark to market accélère l'enregistrement des dépréciations d'actifs. Le système qui s'est créé autour de la titrisation crée par ailleurs des conflits d'intérêts entre les emprunteurs, les cédants, les arrangeurs, les sociétés de gestion, les réhausseurs de crédit, les agences de notation, les autorités de tutelle et les investisseurs. On ne peut pas en sortir en quelques mois.

J'ai la conviction que la priorité des priorités, c'est de tout faire pour éviter un nouvel incident, ou accident. Nous n'en sommes pas à l'abri. La réorganisation du système financier mondial ne se fera pas sans la moitié de l'économie mondiale, c'est-à-dire sans les pays émergents. Je souscris donc à la proposition de réunir autour d'une même table les ministres des finances, les banquiers centraux, les banquiers, les agences de notation qui sont le danger public n° 1, en intégrant non seulement la Chine et l'Inde, mais aussi, notamment, l'Afrique du Sud et l'Argentine. Les agences de notation se sont révélées incapables d'évaluer les produits complexes. Six mois avant que la crise n'éclate, aucune ne mentionnait les risques potentiels, même les plus évidents. Il faudrait donc, comme le suggèrent Patrick Artus et Jean-Paul Betbèze, que la Commission européenne puisse donner son label à d'autres agences que les deux et demie qui ont reçu l'aval de la SEC. À propos de la régulation, et plus particulièrement des réformes Bâle II et Solvency II, je souligne que, dès avant la crise, 70 % des produits de titrisation avaient été rachetés par des hedge funds, qui sont en dehors du champ. Difficile de réguler quoi que ce soit dans ces conditions. Pour éviter la combinaison des deux crises, il faut, d'une part, autoriser le système bancaire à amortir les dépréciations d'actifs sur cinq, dix, quinze ou vingt ans, pour éviter qu'un credit crunch ne contribue à propager la crise financière à l'économie réelle. Sinon, les banques vont devoir se procurer des fonds propres car ce qui était en hors bilan va devoir remonter dans leur bilan. D'autre part, en début d'année, de grandes banques ont envisagé de créer un grand fonds, rassemblant tous les produits titrisés difficiles pour un montant de l'ordre de 300 à 500 milliards de dollars. Seuls les pouvoirs publics mondiaux pourraient mettre en oeuvre un tel instrument, conforme à ce qui s'est fait, toutes proportions gardées, en France pour le Crédit Lyonnais. Le Gouvernement français devrait réfléchir avec ses partenaires européens à la manière de protéger le système bancaire d'un deuxième choc, dont il aurait beaucoup de mal à se remettre.

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