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Intervention de Bernard Derosier

Réunion du 9 octobre 2007 à 9h30
Simplification du droit — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBernard Derosier :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, simplifier le droit, c'est la vocation même du législateur. Malheureusement, elle n'est pas toujours respectée. Établir des textes simples, c'est aussi répondre à la demande du citoyen. La proposition de loi qui nous est soumise part donc d'un bon sentiment et je n'en attendais pas moins de M. le président de la commission des lois, qui est un homme de bons sentiments.

L'examen de ce texte en commission des lois a cependant donné lieu à un dévoiement du texte initial par deux amendements présentés par le rapporteur, mais sans doute rédigés par le ministère de la justice.

Par ailleurs, on peut se demander pour quelles raisons le groupe UMP a choisi cette proposition pour ce premier créneau réservé aux parlementaires. Pourquoi tant de précipitation alors que le président de la commission des lois a ouvert, dès sa désignation à cette fonction, un grand chantier de simplification en proposant aux membres de cette commission d'y participer, soit directement, soit en prenant appui sur les propositions formulées par nos concitoyens sur le site Internet dédié à cette réforme ?

Notre corpus juridique a atteint au cours des dernières décennies un tel degré de complexité qu'il est en effet souhaitable de le rendre plus accessible. L'objectif de simplification du droit devrait d'ailleurs dépasser, à de nombreux égards, les clivages politiques. Je crois pouvoir affirmer, sans froisser les consciences, que nous avons tous pour ambition d'élaborer une loi d'une qualité irréprochable. Au demeurant, les principes à valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité dégagés par le Conseil constitutionnel en 1999 sont là pour nous le rappeler. Le Conseil d'État, quant à lui, dans son rapport annuel sur la sécurité juridique et la complexité du droit, a souligné en 2006 qu'une « fracture juridique » menaçait notre État de droit.

La complexité du droit peut désorienter nos concitoyens dans leur vie quotidienne, ternir l'image de nos institutions et entraver nos administrations dans l'exécution de la norme : vous l'avez souligné, monsieur le ministre. Et deux idées sont souvent avancées pour expliquer la situation d'insécurité juridique dans lequel notre droit est tenu : d'une part, la multiplication des sources de droit, laquelle engendre des flux et des strates qui embrouillent les esprits ; d'autre part, la complexité de la règle écrite à caractère général, qui peut favoriser l'instabilité de notre droit.

« Nul n'est censé ignorer la loi », comme le rappelait le président de la commission. Mais qu'en est-il, pour ne prendre qu'un exemple, quand une loi comprend 203 articles rédigés sur 231 pages, comme la loi du 13 août 2004 relative à la décentralisation ? Face à un tel magma textuel, comment se repérer dans l'enchevêtrement des textes, des renvois, des modifications, des altérations, des ajouts ?

En conséquence, le texte qui nous est soumis aujourd'hui devrait traduire les aspirations qui nous animent en matière de simplification du droit.

Dès l'article 1er, les auteurs de la proposition affirment leur détermination à travers une phrase dont le président de la commission a souligné toute l'importance : « L'autorité administrative est tenue d'abroger tout règlement illégal. » C'est tout de même le moins que l'on puisse attendre. Mais quelles seraient les sanctions si cette même autorité administrative – le ministre concerné, pour être clair – ne procédait pas à l'abrogation ? Je suggère, au détour de ce propos, que ledit ministre soit déclaré démissionnaire d'office puisqu'il n'aura pas rempli la mission que la loi lui impose.

Le groupe socialiste, républicain et citoyen a apporté sa contribution, en soumettant à la commission des lois plusieurs amendements, dont certains ont été retenus.

L'article 9 manquait de précision, ne faisant référence qu'au domaine public communal. J'ai suggéré qu'on n'oublie pas de mentionner l'existence de domaines publics relevant d'autres collectivités comme les départements, les régions et les établissements publics de coopération intercommunale.

Par ailleurs, nous avons suggéré que la dénomination « territoires d'outre-mer », qui n'existe plus, soit remplacée par « collectivités d'outre-mer » ainsi que le précise la loi constitutionnelle du 28 mars 2003.

Enfin, il était nécessaire de mettre fin à la situation de non-droit concernant la compétence des établissements publics de coopération intercommunale en matière économique, question à laquelle notre collègue Philippe Tourtelier, ici présent, a consacré une proposition de loi lors de la précédente législature. Si notre amendement est adopté, les EPCI pourront contribuer à la création ou au maintien d'un service nécessaire à la satisfaction des besoins de la population en milieu rural.

Toutefois, je déplore que plusieurs de nos amendements aient été rejetés.

Ainsi avons-nous demandé en vain, à l'article 7, l'abandon de la suppression de certaines dispositions relatives aux marchés publics, notamment l'obligation de transmission des actes. Car même si cela ne modifie pas le code des marchés publics, comme l'a souligné notre rapporteur, cela a une incidence sur l'organisation des marchés. Or, compte tenu des dérives constatées ces dernières années, il faut, aujourd'hui encore, entourer les élus et les services des collectivités locales de toutes les précautions possibles face à telle ou telle tentation de contournement des règles.

S'agissant du Comité des finances locales, composé de représentants des collectivités territoriales et de représentants de l'État, j'avais proposé que ces derniers n'aient qu'un avis consultatif car cette instance traite essentiellement des moyens dont les collectivités vont disposer et il me paraissait normal que ses décisions soient avant tout l'affaire de ceux qui les représentent. J'avais pris soin de préciser que les représentants de l'État ne prendraient pas part à l'élection du président, ce qui éviterait que ne se renouvelle l'aventure qui les a vus voter comme un seul homme pour le candidat du groupe majoritaire alors que la majorité des élus locaux avaient une autre préférence. Mais notre proposition a été refusée au prétexte qu'elle ne procédait pas à une simplification du droit mais à une modification d'une disposition législative. Je vous vois acquiescer, monsieur le rapporteur, j'y reviendrai dans un instant.

Je regrette que n'ait pas été davantage pris en considération le travail remarquable du Conseil d'État, une institution qui compte dans notre paysage politique et administratif, car il avait fait d'intéressantes propositions relatives à la simplification du droit. Il avait notamment suggéré une loi organique, également souhaitée par le président de notre commission, qui aurait eu pour objectif d'instituer des études d'impact et des études d'opinion, d'organiser une procédure législative simplifiée pour les projets de loi de transposition ou de codification, d'imposer le dépôt des amendements à la commission compétente au moins quarante-huit heures avant la séance plénière, de permettre au président de l'Assemblée nationale ou au président de séance, après avis de la commission des lois, de déclarer irrecevables des amendements relevant du domaine réglementaire. Je veux enfin rappeler que le même Conseil d'État avait déjà proposé en 1991, dans son rapport sur la sécurité juridique, de limiter plus strictement la pratique des lois fourre-tout.

Nous savons que la complexité et la densité de notre corpus juridique nécessitent une réforme de très grande envergure et qu'une simple loi ne saurait suffire. Le président de la commission des lois a cité des chiffres impressionnants. Mais ceux-ci ne sont finalement que le résultat d'une action politique : toutes les belles intentions de ces dernières années sur la simplification du droit n'ont abouti de facto qu'à une complexification accrue. Les deux lois d'habilitation de 2003 et de 2004, qui ont permis au Gouvernement de prendre par ordonnances des mesures en matière de simplification du droit, n'ont eu qu'un effet très relatif.

Trop souvent, et nous le déplorons, les lois promulguées ne peuvent être appliquées car les décrets interviennent tardivement, après un délai moyen de dix mois, parfois après des années, voire pas du tout. Nous en avons eu quelques exemples récents avec les textes relatifs à la justice.

Plus grave, enfin, la présente proposition, qui aurait pu faire l'objet d'un large consensus dans cette assemblée, a été dévoyée par deux articles additionnels, présentés par le rapporteur, visant à utiliser les nouvelles technologies dans les procès judiciaires, en étendant notamment le recours à la visioconférence. A priori qui pourrait s'élever contre une telle modernisation ? Mais n'oublions pas que nous sommes là dans un domaine qui ne touche pas seulement la simplification du droit : c'est l'organisation même de notre système judiciaire qui est ici en cause. Au détour d'un autre amendement est proposée une disposition relative au fonctionnement de la justice en Nouvelle-Calédonie. Mais pourquoi pas en Polynésie ?

Bref, on perçoit une intervention très directe du Gouvernement, en particulier du ministère de la justice, qui confère à ce texte dit de simplification du droit une nature différente de celle que souhaitait lui donner initialement le président de la commission des lois. J'invite donc, car il est encore temps, les auteurs de ces amendements à les retirer, ce qui nous permettrait de nous retrouver tous ensemble pour le vote de cette proposition.

Trop souvent, le Gouvernement demande aux parlementaires de légiférer dans des domaines réglementaires, ce qui provoque un encombrement de l'ordre du jour. L'oeuvre de simplification ne peut se contenter de fausses mesures. La superposition des normes provient également du déficit du travail en amont. Nous sommes défaillants dans le domaine de l'analyse préalable et de la prospection. Trop souvent aussi – et c'est encore plus vrai depuis quatre ou cinq mois – le Gouvernement se sert de la loi comme d'un outil de communication. Aujourd'hui, à chaque fait divers, il sort un projet de loi de ses cartons.

Ce texte, qui aurait pu contribuer réellement à engager le processus de simplification du droit, ne s'attaque pas aux causes de sa complexité : il ne sera donc qu'une illusion.

Permettez-moi de citer quelqu'un que j'apprécie : Pierre Mazeaud, ancien président du Conseil constitutionnel et ancien président de la commission des lois, qui, lors des voeux au Président de la République, le 3 janvier 2006, déclarait : « La griserie de l'annonce l'emporte bien souvent sur les contraintes de l'arbitrage et de la prévision. » Si ce message pouvait être entendu aujourd'hui rue du Faubourg Saint-Honoré, ce serait une bonne chose.

Votre proposition de loi concentre des mesures certes utiles, mais à mille lieues des objectifs à atteindre en matière de simplification du droit. Elle est peu satisfaisante, incomplète et mal préparée. Elle n'a pas la cohérence que l'on aurait pu attendre, ce qui relève à mes yeux d'un aveu d'impuissance. Après les réserves que j'ai exprimées, j'attends du débat sur les articles des clarifications qui nous permettront de préciser notre position finale sur le texte.

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