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Intervention de Jean-Luc Warsmann

Réunion du 9 octobre 2007 à 9h30
Simplification du droit — Discussion d'une proposition de loi

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Luc Warsmann, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre pays souffre à coup sûr d'un trop plein de lois et de règlements. Tous les clignotants sont au rouge. Ce matin, à l'heure où nous débattons, plus de 10 500 lois s'appliquent dans notre pays, plus de 120 000 décrets. La France est partie à plus de 740 traités ou accords internationaux. Enfin, le droit communautaire a produit plus de 17 000 textes applicables dans notre pays.

Non seulement, nous souffrons d'un trop plein de lois et de règlement, mais la machine à produire du droit s'est affolée ces dernières années. Pour la seule année 2006, nous avons voté 1 966 pages de loi nouvelles. La pile de recueils des lois que j'ai apportée à cette tribune représente simplement les lois votées pendant les deux dernières années de la législature. Ce sont des records dans l'histoire du Parlement ! En 1990, nous avions franchi le seuil de 1 000 pages votées en un an. Nous en sommes maintenant à 2 000. Dans une situation comme celle-là, le principe selon lequel nul n'ignore la loi n'a jamais été aussi éloigné de la réalité.

Vivre dans une société qui se complexifie à ce rythme a des conséquences fâcheuses.

La première conséquence, c'est le coût en temps perdu, en énergie perdue, en argent perdu, à la fois pour nos concitoyens et pour les entreprises. Nous vivons dans un monde ouvert, où la mondialisation accroît les échanges. Nous avons donc un impératif d'efficacité de notre système juridique.

La deuxième conséquence, mes chers collègues, c'est qu'une société qui devient plus complexe est une société qui exclut. Celles et ceux de nos concitoyens qui sont plus faibles, à cause de l'âge ou de la maladie, ne sont souvent plus en état d'effectuer la multitude de démarches que nécessite l'organisation juridique actuelle.

Ces dernières années, plusieurs voies ont été ouvertes pour tenter de corriger ces dérives. On peut ainsi évoquer la tentative du Premier ministre, en 1995, d'imposer des études d'impact sur les principaux projets de loi, le souci du Conseil constitutionnel de mieux faire respecter le partage entre le pouvoir législatif et le pouvoir réglementaire, la volonté de notre assemblée de mieux organiser le débat parlementaire et enfin la simplification législative.

Mais il faut être clair : force est de constater que ces différents moyens destinés à améliorer la qualité de la loi n'ont pas atteint, à ce jour, leurs objectifs. Faute d'ancrage dans une norme législative organique et faute de culture de l'évaluation dans l'administration, contrairement aux Anglo-Saxons notamment, les études d'impact des projets de loi ne sont pas imposées et sont souvent apparues comme la justification pure et simple des projets de loi, sans véritable interrogation préalable sur des solutions alternatives.

Le déclassement par le Conseil constitutionnel de dispositions législatives dans sa décision sur la loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école en 2005 n'a pas eu de suite. La jurisprudence constitutionnelle dite «de l'entonnoir» n'a pas eu d'effet significatif sur la réduction du nombre d'amendements, leur nombre nuisant, parfois, à leur qualité. Les deux lois de simplification adoptées sous la précédente législature ont indéniablement constitué un pas en avant, même si elles ont aussi été – notamment la seconde – source de complexification.

Faut-il pour autant baisser les bras ? Certainement pas ! Car cette inflation normative ininterrompue désoriente nos concitoyens ; elle est source d'insécurité juridique et pèse sur l'attractivité économique de notre pays. Il est devenu courant de dénoncer « l'impôt-papier ». Elle nuit, en outre, à la qualité de la loi. Vous aurez l'occasion d'adopter tout à l'heure un amendement déposé hier, qui contribuera à réparer un bug législatif. En effet, dans une ordonnance concernant la réforme des permis de construire, le ministère concerné a purement et simplement oublié de maintenir pour les maires la faculté de déléguer aux agents de leurs collectivités la possibilité de signer les permis de construire. Si bien que, depuis le 1er octobre, si des permis ont été signés de leur main, on peut craindre qu'ils ne soient potentiellement frappés de nullité !

Nous ne saurions non plus être condamnés à l'inaction, alors que le Canada, le Danemark, le Royaume-Uni et la Commission européenne se sont engagés avec succès dans la voie de l'évaluation préalable de la norme. Faut-il rappeler que l'Irlande a entrepris également d'abroger plus de 3 200 lois obsolètes ? Les limites rencontrées en France pour les différentes procédures que j'ai citées tiennent sans doute à la dispersion de ces réformes et à une insuffisante volonté politique – jusqu'à aujourd'hui – pour imposer une discipline aussi bien au législateur qu'à l'exécutif.

La coïncidence d'une prise de conscience plus aiguë de ces maux avec le début de la nouvelle législature doit nous inciter à dépasser le stade du diagnostic et à travailler de manière concrète. La procédure des études d'impact des principaux textes législatifs mérite d'être relancée. J'ai suggéré devant le Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République – présidé par Édouard Balladur – de donner un ancrage constitutionnel à ces évaluations préalables, à charge pour une loi organique de définir les critères de l'étude d'impact, et pour le Conseil constitutionnel d'en vérifier l'existence et la sincérité dans le cadre d'un contrôle a priori. Les critères de ces évaluations préalables pourraient être l'existence d'un enjeu financier important ; un nombre élevé de destinataires finaux – on parle souvent d'un million de destinataires – et un impact significatif sur un secteur économique ou social ou une profession donnée. Afin que cette évaluation préalable fasse l'objet de débats contradictoires sur l'analyse coûts-avantages de la mesure législative proposée, et que ces avis puissent être pris en compte lorsqu'ils sont justifiés, il serait souhaitable que cette étude soit diffusée pendant un certain temps sur Internet. Une telle information ferait l'économie de ces réactions de l'opinion ou de certains milieux socioprofessionnels qui n'apparaissent souvent qu'en deuxième lecture, à un stade où les arbitrages sont déjà rendus. J'observe d'ailleurs qu'au Royaume-Uni, la consultation publique s'étale sur douze semaines.

Il est également urgent de revenir sur le partage exact des domaines de compétence du législateur et du pouvoir réglementaire. J'ai proposé à ce titre au Comité de réflexion sur les institutions que cette tâche échoie au Conseil constitutionnel une fois la loi votée, le déclassement opéré dans le cadre de l'article 37, alinéa 2, de la Constitution étant aujourd'hui une procédure peu utilisée – en moyenne deux fois par an, autant dire que c'est quasi anecdotique. Je forme le voeu que cette réflexion puisse se concrétiser.

Si la transparence et la rigueur peuvent contribuer à améliorer la qualité de la loi, l'on ne saurait se désintéresser de son contenu. La commission des lois a tenu, dès le début de cette législature, à placer son action sur le terrain de la simplification du droit. Elle a ouvert le 19 septembre un site Internet intitulé « Simplifions la loi », destiné à recueillir les suggestions de nos concitoyens. Plus de 600 internautes saluant cette initiative ont déjà fait part de leurs observations et suggestions. Celles-ci sont analysées et peuvent faire l'objet soit d'un suivi en relation avec le Gouvernement s'il s'agit de dispositions réglementaires, soit d'une analyse au sein des services de l'Assemblée s'il s'agit de dispositions législatives. La commission s'est également adressée aux organisations professionnelles du droit pour solliciter leur participation à la démarche de simplification. Tous les membres de la commission ont été invités à relayer cette action dans leur circonscription auprès de leurs concitoyens en général et auprès des praticiens du droit en particulier. Enfin, un appel d'offres destiné à recenser des dispositions obsolètes, inintelligibles, incompatibles avec des normes juridiques supérieures dans trois domaines juridiques bien identifiés sera lancé. Les retombées de ces nombreuses initiatives pourront nourrir une proposition de loi dans le courant de l'année 2008.

En attendant ce prochain rendez-vous avec la simplification du droit, la proposition de loi qui retient notre attention ce matin constitue une première étape. Elle rassemble plusieurs propositions contenues dans différents rapports ou travaux législatifs, qu'il s'agisse du rapport Lafon pour les collectivités territoriales ou du rapport du Médiateur de la République pour les dispositions intéressant les particuliers, travail auquel je rends hommage. Elle reprend également les conclusions d'audits menés par le ministère de l'économie et des finances sur la taxe d'apprentissage. À cet égard, je tiens à vous remercier, monsieur le ministre, pour l'excellent climat de travail qui règne entre les services de votre ministère et l'Assemblée, mais aussi pour votre impulsion personnelle. L'allégement des formalités en faveur des entreprises réalisé à ce titre aura des effets très concrets, dans la mesure où la suppression conjuguée de la déclaration de la taxe d'apprentissage pour toutes les entreprises et de la déclaration de la participation à la formation professionnelle continue pour les entreprises de moins de dix salariés, représentera une économie de temps pour les entreprises et les administrations.

Si je ne souhaite pas revenir sur la présentation détaillée de l'ensemble du texte par notre rapporteur, permettez-moi d'insister sur la portée de l'article 1er.

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