S'agissant de la maîtrise des coûts, nous sommes souvent hâtivement présentés comme moins compétitifs que nos concurrents. L'exemple des avions de chasse me semble éclairant à ce sujet. Le prix réel de l'avion de chasse américain F 22, c'est-à-dire l'avion de supériorité aérienne, est trois fois plus élevé que le prix initial tel qu'il apparaît dans les publications du Congrès. En France, comme l'établissait l'avis budgétaire pour l'armée de l'air de M. Jean-Louis Bernard, le dérapage financier du programme Rafale, au niveau de la deuxième tranche, n'excèdait pas 4 % du coût total qui comprend le développement, l'industrialisation et les coûts de production jusqu'au 294e appareil. Avec le passage à la troisième tranche, nous sommes revenus dans le cadre du budget initial, la société Dassault ayant baissé son prix de 9,6 %, ce qui a permis d'amortir les obsolescences et d'économiser 3,2 %.
De même, la comparaison entre l'Eurofighter et le Rafale montre que le rapport entre leurs coûts budgétaires, c'est-à-dire le coût budgétaire global divisé par les quantités, est de 1,6. J'observe enfin qu'au Royaume-Uni les dépassements du programme Nimrod ou Astute se mesurent en milliards d'euros. Nous n'avons pas de leçon à recevoir.
En ce qui concerne le MCO, il convient d'en déterminer précisément le périmètre, les études actuelles comparant des éléments différents. Par le passé, cette appellation excluait par exemple les dépenses de mise à jour de la documentation ou le traitement des petits problèmes sur les matériels qui sont aujourd'hui intégrées à l'enveloppe MCO. Par ailleurs, j'ai entendu pendant deux ans critiquer le MCO de nos avions de combat et dire que le MCO du Rafale coûterait trois à quatre fois plus cher que celui du Mirage 2000. Aujourd'hui, le contrat du MCO du Rafale est signé et il est n'est supérieur que de 12 % à 13 % à celui du Mirage. Cet écart tient au fait qu'il s'agit d'un bimoteur au lieu d'un monomoteur. Le prix du MCO du Rafale me semble d'ailleurs raisonnable comparé à ce que fait la concurrence.
S'agissant des matériels concurrents moins chers, la parité monétaire nous défavorise : avec un euro à 1,4 ou 1,5 dollar, nos prix sont majorés d'un tiers par rapport à la concurrence américaine et ce, de façon purement artificielle.
En ce qui concerne l'Europe de la défense, nous l'avons rêvée et les Américains l'ont faite… Aujourd'hui l'équivalent de 75 % des coûts de développement et d'industrialisation du Rafale, soit près de huit milliards de dollars, sont payés par les Européens aux bureaux d'études américains pour développer le JSF. Il est plus que surprenant de constater que les Pays-Bas ont retenu cet appareil au terme d'une étude approfondie portant sur 700 critères. Le Rafale a obtenu 695 points, arrivant en deuxième place, le JSF ayant obtenu 697 points. Il convient pourtant de noter que malgré ce résultat, aucune indication de prix n'a été fournie pour le JSF ! Le comble, c'est que le ministre de la défense, M. de Vries, m'a demandé il y a deux mois de revenir dans la compétition. Il voulait peut être que je serve de lièvre pour, en définitive, l'aider à faire baisser le prix américain, sans pour autant remettre en cause le contrat signé avec l'industriel d'outre-atlantique.
Je veux également revenir sur l'idée reçue consistant à faire des rapprochements industriels le remède à tous nos maux. Les exemples récents montrent que les rapprochements industriels et les grandes coopérations européennes sont également la source de nombre de nos problèmes. Il faut revenir à des faits et sortir d'un discours convenu sur ce sujet. Je retiens par exemple que l'Eurofighter est 60 % plus cher que le Rafale, ce que personne ne conteste. Il n'est pas question de bannir les coopérations européennes, mais elles devront se faire sur un autre plan que celui sur lequel elles reposent actuellement, car l'Europe que nous construisons aggrave les difficultés au lieu de les résoudre. Plutôt que de prendre les compétences là où elles sont, on est en train de les dupliquer à l'infini. Nous avons artificiellement développé les capacités industrielles. Il faut ensuite alimenter ces industries en programmes, c'est-à-dire distribuer encore plus les crédits pourtant insuffisants de recherche et développement ou de R&T. Au final, nous ne ferons aucune économie, nous devrons même dépenser deux fois plus. Il faut inverser le phénomène, arrêter le politiquement correct et comprendre comment fonctionne l'industrie.