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Intervention de Jean-Marie Poimboeuf

Réunion du 10 décembre 2008 à 10h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Jean-Marie Poimboeuf, président du conseil des industries de défense françaises et du groupement industriel des constructions et armements navals :

Monsieur le Président, mesdames, messieurs, je tiens d'abord à vous remercier de nous donner la possibilité de vous présenter le point de vue de l'ensemble des industries de défense.

Notre réflexion est en lien direct avec les recommandations du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale et en particulier avec ce qui a trait à l'effort de recherche et technologie (R&T), à l'externalisation, au maintien en condition opérationnelle (MCO). J'insisterai également sur les problèmes posés par le corpus réglementaire qui régit nos marchés, sur l'exportation et sur l'Europe.

La partie du Livre blanc consacrée à l'industrie et à la recherche reconnaît la place importante de l'industrie dans la politique de défense, les capacités industrielles devant « permettre à la France de conserver son autonomie stratégique et [contribuer] à promouvoir l'Europe comme pôle d'excellence industriel et technologique ». Il importe, à nos yeux, qu'elles soient maintenues et développées en réponse aux nouveaux défis. Je rappelle que l'ensemble du secteur réalise un chiffre d'affaires de 15 milliards d'euros pour environ 165 000 emplois directs et autant d'emplois indirects.

Cette industrie a quatre particularités fortes, qui sont autant d'atouts pour la France dans le contexte actuel de crise industrielle. Premièrement, elle réalise un tiers de son chiffre d'affaires à l'exportation, et dégage un solde positif annuel de plus de 3,7 milliards d'euros en moyenne alors que le commerce extérieur français est en déficit structurel chronique depuis plusieurs années. Deuxièmement, ses emplois dégagent une forte valeur ajoutée et ils sont très peu « délocalisables », ce qui signifie que les investissements de l'État bénéficient directement à la collectivité nationale. Troisièmement, cette industrie est un acteur majeur de la R&T, c'est-à-dire des éléments porteurs de la croissance future du pays. Quatrièmement, nombre de nos entreprises sont leaders dans leur domaine d'activité : c'est le cas de l'industrie aéronautique, qui domine aussi dans le domaine civil, mais aussi de l'industrie électronique et de l'industrie navale.

S'il n'appartient pas à l'industrie de définir la politique de défense, elle fait partie du dispositif national de défense. Il n'y a pas de défense autonome sans base industrielle et technologique durablement compétitive. Notre base industrielle est le résultat d'une vision politique de longue date et d'un effort continu d'investissement. Sa pérennité suppose que cet effort soit maintenu.

Le Livre blanc prône un nouveau partenariat entre l'industrie de défense et l'État, sujet qui est au coeur de nos préoccupations. Nous avons, à plusieurs reprises, attiré l'attention du ministre sur ce point et nous avons été entendus puisqu'il nous a demandé de lui faire part de nos idées en ce qui concerne la modernisation du MCO des matériels et le corpus réglementaire qui s'applique à nos contrats.

Afin de donner une suite aux grandes orientations fixées par le Livre blanc, l'industrie souhaite entamer une concertation étroite avec l'État de façon à jeter les bases d'une véritable politique industrielle de défense dans notre pays, à l'image de ce qu'a déjà fait le Royaume-Uni.

L'industrie formule quatre recommandations fortes pour une nouvelle politique industrielle partenariale.

Premièrement, il faudrait sortir du carcan des contrats de développement à prix fixe comprenant une garantie de performance en partageant et en rémunérant le risque au juste niveau. L'exemple de l'A400M prouve que notre industrie est trop exposée puisque, aux termes du contrat, elle supporte la totalité du risque. Aux États-Unis et au Royaume-Uni, pour la construction de porte-avions, ce sont les donneurs d'ordres qui endossent les principaux risques. Or, en France, le projet de contrat pour la construction d'un deuxième porte-avions était à prix fixe, l'ensemble des risques étant porté par les industriels. Il y a là matière à réflexion.

Deuxièmement, il serait nécessaire d'abandonner la pratique du moins-disant, qui est « court-termiste » et ne permet pas toujours de faire le meilleur choix industriel et technologique. Elle se traduit souvent par des dérives économiques et des niveaux de performances qui ne satisfont pas l'utilisateur.

Troisièmement, il conviendrait de veiller, dès le départ, à mieux prendre en compte le coût complet des systèmes en intégrant le MCO mais aussi les contraintes imposées par la commission interministérielle d'études d'exportation des matériels de guerre (CIEEMG), les spécificités imposées pour l'export étant souvent très coûteuses.

Quatrièmement, il faudrait adapter le corpus réglementaire aux méthodes modernes de développement, aux nouveaux systèmes et à la démarche de partenariat.

Je voudrais également appeler votre attention sur l'importance de la recherche et de la technologie. Notre base industrielle repose sur notre capacité à maintenir un potentiel technologique de haut niveau et réactif. Dans cette perspective, comme le souligne le rapport sur l'industrie européenne de défense de M. Yves Fromion, il est important de poursuivre l'effort en matière de R&T. Après le sous-investissement des années 1990, la loi de programmation militaire pour 2003-2008 affichait la volonté de restaurer les financements dans ce domaine. Alors que tous les engagements n'ont pas été respectés, il est regrettable de constater que la LPM 2009-2014 marque un nouveau recul. Le financement de la R&T de défense doit atteindre au moins un milliard d'euros par an, le plan de relance annoncé par le Président de la République devant permettre d'atteindre cet objectif.

En matière d'externalisation, les Britanniques ont ouvert la voie, avec plus ou moins de réussite, et la France peut également mettre en avant quelques beaux succès, notamment pour la formation initiale des pilotes à Cognac et les hélicoptères de l'école de Dax. Cette orientation nous semble prometteuse, bénéfique à la fois pour l'État et pour l'industrie, dans une logique de « gagnant-gagnant ». J'ajoute que DCNS me semble être un autre exemple d'une externalisation réussie.

Pour aller plus loin dans ces démarches, il est nécessaire de mettre en place un dispositif précis de comparaison avec les modes classiques d'acquisition, pour bien identifier les gains tirés de l'externalisation. À ce titre, il conviendrait de renforcer l'expertise de la délégation générale pour l'armement (DGA) en ingénierie de contrat de service.

Le MCO est aussi un domaine important pour notre industrie et il fait partie intégrante de la politique d'armement, dans le prolongement du développement et de l'acquisition des équipements. De ce fait, il doit être appréhendé dans une relation « gagnant-gagnant » entre les armées et les industriels.

L'industrie considère qu'une bonne politique de MCO repose sur deux principes de base : d'une part, l'utilisation de contrats globaux à long terme avec un engagement de l'État cohérent avec ceux de l'industriel en termes calendaires, des mécanismes contractuels d'ajustement et une analyse exhaustive du risque ; et d'autre part, un partage clair des responsabilités, pour maîtriser les risques avec une rationalisation des moyens étatiques et industriels dédiés.

Ces deux éléments paraissent être des postulats de base pour déployer une politique de MCO performante. Une fois ces principes acquis, l'organisation du MCO doit être adaptée aux besoins et aux types d'équipements. Pour les systèmes et équipements qui ne sont pas destinés à être déployés sur les théâtres d'opérations, l'industrie recommande de recourir à l'externalisation. En revanche, pour les systèmes et équipements déployés, l'industrie française, en partie grâce aux évolutions de la loi portant sur la réserve militaire, dispose aujourd'hui d'une certaine capacité à soutenir les armées en opérations extérieures, qu'il s'agisse du MCO de matériels sur les bases arrières ou même de la mise en oeuvre de certains systèmes et équipements.

Le développement de la relation entre le ministère de la défense et l'industrie est parfois entravé par le poids du corpus réglementaire. Nous estimons que les difficultés découlent, plutôt que d'une inadéquation du code des marchés publics – pas toujours adapté cependant aux marchés de haute technologie –, d'une exploitation insuffisante de certaines de ses dispositions par les services compétents du ministère. Les principaux blocages identifiés concernent l'innovation, la phase de développement des programmes, la méthode d'acquisition et la gestion des risques. C'est donc toute la partie amont des contrats qu'il s'agit de faire évoluer. Il conviendrait également de renforcer significativement la sécurité juridique de l'acheteur public.

Les exportations jouent un rôle déterminant pour l'industrie et le dynamisme de l'économie française. Elles concernent environ 50 000 emplois du secteur de l'armement et ont représenté, sur les dix dernières années, environ 32 % de notre activité. Elles sont donc un élément essentiel de la contribution de notre secteur à l'économie du pays. L'industrie de défense se félicite des actions prises depuis 2007, dans la lignée des propositions formulées par M. Yves Fromion, destinées à améliorer l'action de l'État au soutien des exportations, et elle demande que l'exportation de défense demeure une priorité nationale qui doit être traitée au plus haut niveau de l'État.

Elle persiste à appeler de ses voeux un « Schengen de l'armement » pour les pays producteurs prêts à s'engager dans cette voie, permettant un libre transfert entre eux de biens et d'équipements de défense, étant entendu que la responsabilité d'exportation vers les pays tiers serait assumée par le pays exportateur au nom des pays partenaires fournisseurs.

En ce qui concerne la pratique du contrôle, nous préconisons d'accélérer la délivrance des autorisations, de ne pas confondre le rôle de la CIEEMG avec la politique de financement et la politique industrielle, et d'attribuer les autorisations d'exportation dans le cadre de partenariats opérationnels entre les forces.

Enfin, l'industrie soutient l'engagement d'une action politique et diplomatique ferme pour uniformiser l'application de la convention anti-corruption de l'OCDE entre les pays signataires, et pour étendre la convention à tous les grands pays exportateurs. C'est un point particulièrement important pour notre industrie.

Le renforcement de la base industrielle et technologique de la défense (BITD) européenne mérite une impulsion politique forte au plus haut niveau. En effet, après l'élan des années 1990, faute de relais politiques au plus haut niveau européen, nombre de dispositifs mis en place se sont essoufflés et l'on observe un retour à des pratiques nationalistes ou protectionnistes. Ce manque d'avancées a d'ailleurs conduit de nombreux États européens à se tourner vers des solutions américaines, voire à financer des développements de programmes américains comme le JSF dans l'aéronautique ou le Littoral Combat Ship dans le secteur naval. Il est fondamental que des initiatives de relance soient prises. De ce point de vue, la mission confiée par le Premier ministre début 2008 à M. Yves Fromion sur le renforcement de la BITD européenne, à laquelle notre profession a apporté tout son concours, et les priorités affichées de la présidence française de l'Union européenne étaient encourageantes. Il conviendrait de mettre en chantier une stratégie industrielle de défense incluant un effort supplémentaire en matière de R&T.

En conclusion, l'industrie de défense entend rappeler avec force qu'elle est un partenaire à part entière de l'État. La nécessité d'assurer l'adéquation entre les contraintes de la DGA et les capacités des fournisseurs est de plus en plus flagrante. En concertation étroite, État et industrie doivent établir une stratégie industrielle cohérente dans ses choix, déterminée dans sa mise en oeuvre, afin de mieux répondre aux besoins capacitaires des forces et de construire une base industrielle et technologique de défense européenne dans laquelle la France joue un rôle à la mesure de ses capacités.

L'industrie se veut un interlocuteur responsable, capable d'aider les pouvoirs publics à mieux investir. Elle possède des atouts qui peuvent contribuer à entraîner nos partenaires dans une relance de la politique européenne de sécurité et de défense. Enfin, au moment où la France est confrontée à une conjoncture économique difficile, c'est aussi l'occasion pour l'État d'utiliser l'industrie de défense comme levier de sa politique de relance. Pour ce faire, il faudrait commencer par limiter au minimum technique les reports de charges liés aux plafonds de dépenses imposés par le ministère mais aussi à la mise en oeuvre d'opérations dont le financement n'était pas assuré. Ces pratiques affectent en effet significativement la trésorerie des entreprises, notamment celle des petites sociétés.

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