Il faut que le contrôleur soit contrôlé, comme je vous l'avais dit il y a onze mois, et c'est la raison pour laquelle je me trouve devant vous. C'est pourquoi le fil rouge de mon propos sera la question suivante, à laquelle j'attends de vous une réponse : est-ce que le Contrôleur général dans sa réalité actuelle correspond à l'idée que vous vous en faisiez en votant la loi du 30 octobre 2007 ? Si tel n'était pas le cas, il faudrait modifier la trajectoire. La contrepartie de l'indépendance, pour une « autorité indépendante », est en effet le contrôle vigilant du Parlement sur son activité. Je sais donc particulièrement gré à votre Commission de me recevoir ce matin.
Je suis venu avec le secrétaire général, Xavier Dupont, car je n'agis pas seul mais avec une équipe. Il y a eu beaucoup de candidats – environ 250 – aux postes de contrôleur ; dans le cadre des moyens ouverts en loi de finances, j'ai pu en recruter quatorze à temps plein, auxquels s'ajoutent quatre emplois administratifs. Ces personnes sont d'origines extrêmement diverses – médecin, gendarme, policier, directeur des services pénitentiaires, membre d'association… : j'ai cherché à réunir tous ceux dont les compétences me paraissaient utiles, et dont les expériences professionnelles mêlées pouvaient produire du fruit. Je suis heureux de constater que ce mélange des cultures s'est fort bien passé. Nous constituons pour nos visites d'établissement des équipes associant des personnes diverses, et nous effectuons en outre des brassages réguliers entre elles.
Je dois cependant signaler, concernant les effectifs – sujet qui avait beaucoup préoccupé le Parlement au moment du vote de la loi –, un petit raté. Le décret d'application du 12 mars 2008, dans son article 3, prévoyait que, au-delà des dix-huit emplois prévus en loi de finances, le Contrôleur général pourrait bénéficier de temps à autre des services de personnes employées et rémunérées à temps plein par un autre employeur. Cette disposition est restée totalement lettre morte car, comme on peut le concevoir, les employeurs n'ont pas envie de se passer des services de leurs subordonnés pendant quelques heures ou quelques jours, et nos tentatives en ce sens ont échoué.
C'est la raison pour laquelle je viens de demander au Gouvernement de créer quatre emplois de contrôleur et deux emplois administratifs supplémentaires. C'est d'autant plus nécessaire que nous souhaitons allonger la durée de nos visites dans les établissements.
J'en viens à nos relations avec le Gouvernement et avec l'administration.
Le Gouvernement a parfaitement joué le jeu. Les ministres intéressés ont pris des circulaires d'application pour expliquer à leurs administrations qu'aucune entrave ne pouvait être mise à l'activité du Contrôleur général et, ce faisant, nous ont grandement facilité la tâche. Je pense évidemment à la Garde des sceaux, mais également à la ministre de la santé et à la ministre de l'intérieur. Quant au ministre de la défense, il a lui aussi publié une circulaire, mais plus tardivement, n'ayant peut-être pas tout de suite pris conscience que son département ministériel était concerné.
J'ai également très vite pris contact avec les administrations intéressées, ainsi qu'avec les organisations professionnelles, notamment pénitentiaires, et j'ai depuis lors des contacts réguliers avec les uns et les autres. Enfin, nos visites ont bénéficié sur place de la pleine coopération des autorités, qu'il s'agisse des autorités préfectorales, des chefs d'établissement, des policiers ou des gendarmes. Il n'y a eu aucune entrave, sauf exception momentanée, à la communication de documents et à la rencontre des personnes que nous souhaitions voir. A cet égard, la loi s'est pleinement appliquée.
Là encore, cependant, je formulerai deux restrictions.
Tout d'abord, la direction de l'administration pénitentiaire a pris l'habitude de recueillir les noms des détenus qui entrent en relation avec nous. Je l'ai très vivement mise en garde sur ce point dans le rapport annuel. Le protocole des Nations unies qui est à l'origine de la création de notre institution comporte en effet un article 21, qui d'ailleurs n'a pas été repris dans la loi française, relatif à la protection des personnes. Il est indispensable que les personnes qui s'adressent au Contrôleur général soient assurées de la confidentialité des informations qu'elles lui donnent ; si elles ne peuvent avoir confiance sur ce point, il n'y a plus d'informations, et par conséquent plus de contrôle général. J'ai donc indiqué à l'administration pénitentiaire que, quelles qu'aient pu être ses motivations, je ne souhaitais pas voir perdurer ces pratiques.
Un deuxième problème, sur lequel je n'ai pas encore attiré l'attention de l'administration pénitentiaire, commence à me préoccuper. En vertu de l'article A. 40 du code de procédure pénale, opportunément modifié sur ce point par la Garde des sceaux, le courrier adressé au Contrôleur général par les détenus ne doit pas être ouvert ; or nous constatons qu'un peu trop souvent encore, il l'est. J'ai mis cela au début sur le compte de la mégarde, mais celle-ci ne saurait durer trop longtemps.
En dehors de cela, il n'y a pas de difficulté à signaler. Mais la question essentielle est la suivante : quelle valeur le Gouvernement et l'administration accordent-ils à nos recommandations ?
Il est peut-être encore un peu tôt pour répondre à cette question. Néanmoins j'ai reçu hier un premier bilan de l'administration pénitentiaire, selon lequel, sur les 102 recommandations que nous lui avons adressées à la suite de nos visites dans des établissements, 82 ont été suivies d'effet. Cela confirme mon impression globale, tant dans l'administration pénitentiaire qu'au ministère de l'intérieur et au ministère de l'immigration. Mais bien entendu, nous serons vigilants ; je vous avais indiqué en juin que le Contrôleur général pouvait se montrer entêté, même s'il peut aussi commettre des erreurs. Par ailleurs nous n'hésiterons pas, si nécessaire, et comme nous l'avons déjà fait, à renouveler nos visites dans tel ou tel établissement.
Le volume du courrier que nous recevons est en augmentation constante. Le rythme actuel est de l'ordre de 1 500 lettres par an, émanant essentiellement de détenus ou de leurs familles. Il ne nous en arrive pas encore beaucoup des hôpitaux psychiatriques. Il faut donc s'attendre à un nouveau gonflement, et c'est ce qui motive ma demande de deux emplois administratifs supplémentaires. Je souhaite aussi pouvoir mener des enquêtes très précises sur des cas individuels dont je suis saisi, ce que je ne peux pas faire pour l'instant.
Nous avons effectué environ 120 visites, dans tous types de locaux. Elles sont parfois programmées, parfois inopinées. Nous avons renoncé à toute visite programmée dans les locaux de garde à vue, susceptibles d'être transformés en quelques heures, qu'il s'agisse de la retenue douanière, des gendarmeries ou des commissariats de police, mais dans les établissements pénitentiaires, nous alternons les deux types de visite.
Concernant nos contacts, outre les syndicats et les directions administratives, je rencontre beaucoup d'associations. J'ai également mis en place une réunion périodique avec des chercheurs, dont j'ai beaucoup à apprendre. Nous avons rencontré les instances internationales, comme nous y invitait la loi – le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) du Conseil de l'Europe et le sous-comité des Nations unies. Les contacts bilatéraux sont encore restreints car je n'ai pas encore beaucoup d'homologues en Europe, et le temps nous a un peu manqué.
Nous n'avons pas hésité à saisir le procureur de la République – une fois – sur la base de l'article 40 du code de procédure pénale. Nous avons aussi, dans deux cas précis, évoqué l'éventualité de demander au ministre l'engagement de poursuites disciplinaires, avant finalement d'y renoncer, une solution ayant été trouvée. Je n'ai eu qu'une seule saisine d'une administration, qui a d'ailleurs tourné court. Enfin, il n'est arrivé qu'une fois que nous soyons obligés d'interrompre une visite – en raison d'une tempête de neige qui provoquait déjà suffisamment de perturbations dans l'établissement. Cette visite a été reportée la semaine suivante.
Quels ont été nos constats ? Sans reprendre les détails du rapport, je voudrais vous faire part de quelques observations générales.
L'état matériel des établissements, dont on parle beaucoup, est en fait très contrasté. Si les hôpitaux psychiatriques, grâce au plan qui a été mis en oeuvre en 2003 et 2004, sont dans un état relativement satisfaisant, et si les centres de rétention, parce qu'ils ont été agrandis récemment, sont souvent dans un état très convenable, il n'en va pas de même non seulement des prisons, mais encore et surtout des commissariats de police, que je mets très résolument au bas de l'échelle. Pour la plupart, ils sont dans un état inacceptable, qui fait souffrir tant les personnes mises en garde à vue que les personnels. Nous avons d'ailleurs constaté de la part de ces derniers un certain contentement à notre arrivée, à l'idée qu'enfin quelqu'un allait pouvoir parler des conditions dans lesquelles ils devaient travailler.
Un sujet plus important encore est celui des relations que les personnes privées de liberté entretiennent avec le personnel. Sur ce point, je mets à part les hôpitaux psychiatriques, où le personnel, notamment infirmier, est totalement dévoué à sa tâche, mais où il faut cependant déplorer le nombre très insuffisant de psychiatres. Ailleurs, la situation est très variable. En général, et cela me surprend beaucoup, on dispense bien peu de formation au personnel, qui de ce fait improvise et reproduit les traditions de l'établissement transmises par les collègues. Les dérapages existent, mais ils sont rares ; ils se produisent souvent dans les interstices de temps ou d'espace, par exemple dans les transports ou pendant les week-ends, sans parler des problèmes d'alcoolisme. La fatigue des personnels est souvent très grande, et beaucoup de personnes estiment ne pas faire le métier qu'elles attendaient ; cette déception entraîne un grand turnover, avec ses conséquences.
En ce qui concerne les relations entre les personnes privées de liberté, on est frappé par la violence qui règne dans les établissements pénitentiaires. Quel paradoxe que les personnes condamnées au nom de la loi se retrouvent dans un endroit où elles subissent la seule loi de la jungle !
On est frappé aussi par l'ennui général de ces lieux, où l'on souffre profondément d'inactivité, d'insuffisance de travail et d'insuffisance de loisirs. Comment espérer la bonne réinsertion de quelqu'un qui est placé dans une situation d'« inactivité artificielle » – comme l'on parle de « coma artificiel » ?
On constate par ailleurs la diversité des pratiques entre les établissements. D'une catégorie d'établissement à l'autre, on conçoit mieux qu'il y ait des différences, mais néanmoins elles ne sont pas toujours compréhensibles : comment expliquer qu'à celui qui entre dans un centre de rétention, on enlève tout ce qui permet d'écrire, mais qu'à celui qui entre dans une prison, on donne de quoi écrire ? Comment expliquer certaines pratiques que l'on prétend justifier par la sécurité mais qui n'ont aucun fondement ? Nous avons ainsi dénoncé avec un peu d'ironie l'obligation faite aux femmes en garde à vue d'enlever leur soutien-gorge. Quand on interroge la direction générale de la police nationale sur l'origine de cette pratique, elle est incapable de fournir la moindre instruction. Si on l'interroge sur le nombre de suicides en garde à vue, elle ne donne pas de chiffres. A fortiori, elle est incapable de donner la moindre indication sur les suicides pratiqués au moyen d'un soutien-gorge. Comment dès lors justifier qu'on humilie en garde à vue 55 000 personnes par an ?
Par ailleurs, nous nous interrogeons sur la dimension des établissements pénitentiaires et des hôpitaux psychiatriques. Je n'ignore pas, bien sûr, les programmes de construction actuels, mais je me dois de dire qu'il existe une réelle différence de nature entre la maison d'arrêt qui accueille une petite centaine de détenus et celle qui en accueille plusieurs centaines ; dans la première, il y a des rapports entre les personnes, tandis que dans la seconde ils n'existent pas, sinon sous la forme de tensions et de rapports de force. Peut-être faudrait-il, au sein des gros établissements que l'on construit aujourd'hui, penser à concevoir des unités autonomes.
Enfin, je voudrais souligner que les personnes privées de liberté manquent de possibilités de s'exprimer. On ne trouve dans ces établissements que des groupes de parole psychiatriques : n'y aurait-il pas d'autre recours que la psychiatrie pour prendre la parole ?
Tels sont nos premiers constats, qui devront bien évidemment être affinés mais dans lesquels le Gouvernement reconnaît de vraies difficultés. Concernant ma mission, on a sans doute dit un peu vite qu'elle consistait à réunir du consensus : s'agissant de problèmes délicats, il est normal qu'il n'existe pas toujours, mais c'est ce qui fait l'un des intérêts de notre rencontre.