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Intervention de Jean Sarzana

Réunion du 2 juillet 2008 à 10h00
Commission des affaires culturelles, familiales et sociales

Jean Sarzana, délégué conseil de la Société des gens de lettres :

Je tiens à remercier la commission de donner également la parole aux auteurs, car on les entend peu. La raison tient au fait que le livre est un marché tenu par ceux qui l'occupent, c'est-à-dire les éditeurs et les libraires, et qu'aujourd'hui, le prix unique du livre est une question qui relève d'un débat de nature économique, centré sur le livre et mettant le libraire en exergue. Pour les auteurs, au contraire, le débat est de nature culturelle, centré sur l'oeuvre et mettant l'écrivain en exergue.

La loi Lang permet aux libraires de présenter des auteurs peu connus, difficiles, et pour tout dire, non conventionnels – on sait combien il est difficile aujourd'hui d'échapper à la convention dans tous les domaines. Le prix fixe incite les éditeurs à publier de tels auteurs et permet donc à ces derniers de s'exprimer, c'est-à-dire d'écrire et de créer. L'approche en la matière se fait à la façon des poupées russes où l'on oublie la dernière, c'est-à-dire l'auteur, qui est d'ailleurs aussi, accessoirement, la première.

Si la loi Lang venait à être vidée de son sens, les auteurs de littérature seraient les premiers touchés. En effet les éditeurs ont des choix éditoriaux à faire. Si le mécanisme retenu pour une éventuelle nouvelle économie du livre ne permet plus à l'éditeur d'assurer ce que l'on appelle la péréquation, c'est-à-dire de publier des livres non conventionnels grâce à la vente et à la publication de livres qui le sont un peu plus, la littérature s'étiolera et les auteurs dits non conventionnels en feront les frais en premier. En 1952, année de sa publication – exemple souvent évoqué par Jérôme Lindon, directeur des Editions de minuit jusqu'en 2001 –seulement 125 exemplaires de la pièce En attendant Godot ont été vendus. Si, aujourd'hui, le prix fixe n'existait pas, on peut douter que Godot vît jamais le jour. Qu'importe, diront certains : on ne saura jamais qu'il aurait pu exister.

Les auteurs non seulement ne peuvent accepter un tel raisonnement, mais tiennent à souligner combien le mécanisme du prix unique apporte à la création. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si le premier instigateur et l'ardent défenseur du prix fixe du livre, Jérôme Lindon, était en charge d'une maison d'édition de littérature non conventionnelle et connue pour la place qui y est faite à ces auteurs.

Pour revenir de Stockholm où se tenaient l'assemblée des auteurs européens – la société des auteurs travaille d'ailleurs en étroite liaison avec celle des éditeurs – et une réunion plus large rassemblant environ 800 auteurs du monde entier, je puis témoigner que nombre d'auteurs à l'étranger nous envient notre système de défense du livre, notamment le prix fixe. Celui-ci apparaît en effet comme un élément déterminant de la diversité culturelle, celle-là même qui fait l'objet d'une convention de l'Unesco, et qui se trouverait bien affaiblie si la littérature s'étiolait. La littérature doit beaucoup au prix fixe du livre, et les auteurs y sont très profondément attachés.

Je citerai, pour conclure, un article de l'encyclopédie en ligne Wikipédia à propos de ce prix fixe : « Le prix unique du livre empêche le discount et permet aux librairies traditionnelles de se maintenir face aux grandes chaînes ». Plus conservateur, plus corporatiste et plus ringard, tu meurs ! Le prix fixe, ce n'est pas du tout cela, et j'espère que le débat qui s'ouvre aujourd'hui contribuera à en établir la preuve.

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