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Intervention de Stéphane Creac'h

Réunion du 21 janvier 2009 à 11h15
Commission de la défense nationale et des forces armées

Stéphane Creac'h, représentant le syndicat CGT :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je vais vous donner lecture d'une déclaration commune à tous les syndicats ici présents.

Si l'année 2008 a été marquée par de nombreux événements, avec en apothéose la parution du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, le débat qui va s'ouvrir sur le projet de loi de programmation militaire risque d'être à nouveau le théâtre de fortes oppositions entre les représentants de la Nation et les personnels de nos établissements avec leurs représentants syndicaux.

L'année écoulée a été aussi celle de la divulgation par le journal Le Point du document sur la révision générale des politiques publiques (RGPP) pour la défense, dont la substantifique moelle est l'externalisation des activités industrielles et de soutien, avec à la clé 54 000 suppressions d'emplois.

Pour revenir à DCNS, 2008 a été aussi l'année de l'échéance du contrat d'entreprise pluriannuel conclu entre l'État et la société, lequel n'a pas été respecté dans son intégralité, comme n'a d'ailleurs pas été respecté l'engagement du Gouvernement de transmettre aux commissions des finances et de la défense du Parlement, chaque année, jusqu'au terme de la période d'exécution du contrat, un rapport sur les perspectives d'activité et les fonds propres de la société. Cet engagement figure pourtant à l'article 78 de la loi de finances rectificative pour 2001.

Le coup de vent de 2008 pourrait bien se transformer en tempête en 2009 avec les articles 10 et 11 du projet de loi de programmation militaire, qui concernent DCNS et la SNPE. Nous ne pouvons les dissocier car leur finalité est la même : la privatisation. La seule différence réside dans le calendrier, l'inscription de la SNPE sur la liste des sociétés privatisables étant immédiate. Cette année s'annonce ainsi comme celle de tous les dangers, avec un remodelage complet de l'outil de défense du pays ; les personnels ont du souci à se faire.

De nombreuses actions ont eu lieu pour rejeter le plan de MM. Sarkozy et Morin, lequel contient en lui l'éclatement de DCNS et sa filialisation tous azimuts. Ces actions vont se poursuivre en 2009, comme c'est le cas ce jour dans différents sites de DCNS.

Ensemble, les organisations syndicales de DCNS le disent sans ambiguïté : l'article 10 doit être purement et simplement retiré.

Cette exigence de retrait global se conjugue avec celle d'une rencontre tripartite entre l'État, l'entreprise et les organisations syndicales pour obtenir de l'État des engagements sur la politique industrielle de l'entreprise par le biais de l'élaboration d'un nouveau contrat d'entreprise confortant l'activité en interne. Ces deux exigences sont très largement soutenues par les personnels de l'entreprise, puisque 6 500 d'entre eux l'ont signifié en signant une pétition nationale unitaire dont vous ne pouvez ignorer l'existence. Cet appui est un élément considérable dans notre action nationale et unitaire.

En dépit de nombreuses interpellations sur le sujet, le ministre reste toujours sourd, ce qui est pour le moins paradoxal dès lors qu'il s'agit de l'avenir de la plus grande entreprise nationale sous tutelle du ministère de la défense, avec plus de 12 000 personnels concernés.

Mesdames et messieurs les députés, nous n'acceptons pas le contenu de l'article 10 du projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2009-2014, et nous allons vous exposer les motivations de ce rejet.

En faisant rentrer DCNS dans le droit commun des privatisations, l'article 10 remet en cause la situation créée par la loi de 2004. Nous l'avions alors combattue puisque, malgré les propos politiques rassurants de l'époque, elle enclenchait déjà le processus de privatisation. Elle prévoyait pourtant, comme le soulignait le rapporteur du texte, une protection garantie soit par les seuils d'effectifs, soit par le niveau du chiffre d'affaires. Force est de constater qu'avec les projets actuels, nos arguments de l'époque se confirment : le processus de « filialisation-privatisation » entamé en 2004 a bien ouvert la boîte de Pandore.

Selon l'exposé des motifs du projet de loi de programmation militaire, les articles 10 et 11 permettraient de gommer « l'appartenance de DCNS SA et de SNPE SA au secteur public », les dispositions du présent projet de loi visant « à lever les obstacles d'ordre législatif ». Curieuse vision de la démocratie de la part du rédacteur, selon qui le législateur constituerait donc un obstacle !

S'agissant uniquement de DCNS, l'exposé des motifs : relève que « des restrictions législatives subsistent. En effet, la loi du 30 décembre 2004 précitée, en ce qu'elle a modifié la loi n° 2001-1276 du 28 décembre 2001 de finances rectificative pour 2001, a introduit des dispositions encadrant de manière trop restrictive la création de filiales par DCNS, ainsi que les prises de participations réalisées par cette société, et prévoit des dispositions dérogatoires au droit commun des privatisations lorsque ces opérations sont assorties d'un transfert d'actifs de DCN ».

« Une telle modification […] fera rentrer DCNS dans le droit commun des privatisations en supprimant les dispositions dérogatoires introduites par la loi du 30 décembre 2004 précitée ».

Ces dispositions dérogatoires avaient justement été introduites et défendues par le rapporteur de votre commission afin de parer à d'éventuelles dérives.

La perversité de l'article 10 repose aussi sur des modalités spécifiques qui permettraient aux personnels mis à la disposition de DCNS d'intégrer des sociétés où elle serait minoritaire.

Ainsi, pour ce qui est des ouvriers de l'État, l'exposé des motifs indique qu'il « est nécessaire que ces personnels puissent être mis à la disposition de ces entités afin de pouvoir apporter à celles-ci les compétences nécessaires à leur fonctionnement. Or, dans les conditions actuelles résultant des modifications introduites par la loi du 30 décembre 2004 précitée, les ouvriers de l'État ne peuvent être mis à la disposition de sociétés bénéficiant d'apports d'actifs de DCNS que dans la mesure où DCNS détient la majorité du capital de ces sociétés. ». Il convient de noter que ces dispositions omettent le cas des personnels en détachement, fonctionnaires ou militaires, qui ne bénéficieraient pas des mêmes options.

Et l'exposé des motifs de poursuivre : « L'article 78 de la loi de finances rectificative pour 2001 est donc également modifié, afin de permettre à DCNS de mettre à la disposition de sociétés dans le capital desquelles elle ne serait pas majoritaire des ouvriers de l'État travaillant actuellement dans le groupe. Enfin, afin de faciliter l'adaptation de l'organisation du groupe à l'évolution de ses activités, la loi rend possible, en dehors des cas de créations de filiales ou de prises de participations par apport ou transfert d'activités, la mobilité à l'intérieur du groupe des ouvriers de l'État mis à la disposition de DCNS. »

Cet exposé est suffisamment limpide. L'objectif du ministère de la défense et de la direction de DCNS, qui l'a avoué lors du comité central d'entreprise du 12 novembre dernier, est donc bien de « profiter de l'occasion » pour faire « sauter les obstacles administratifs et ainsi simplifier la création de multiples filiales », en éliminant toute contrainte législative, ces opérations pouvant se faire par décret. Cet objectif est anti-démocratique et dessaisit le Parlement de ses prérogatives, d'autant que la construction navale militaire représente un secteur d'activités stratégique pour la France.

Nous considérons que l'article 10 du projet de loi risque de mettre en cause l'unicité de l'entreprise, dont l'importance a été maintes fois soulignée lors des débats parlementaires de 2004, pour aboutir au final à son démantèlement tout en organisant une mobilité accrue des personnels de tous statuts.

La nomination d'un nouveau président-directeur général est révélatrice de cette logique ; M. Patrick Boissier reconnaît lui-même qu'il « n'a aucune idée préconçue, ni en termes de stratégie, ni en termes d'enjeux vitaux » pour l'entreprise. De tels propos laissent la porte ouverte à toutes les spéculations.

Pourtant, comment ne pas voir dans ce choix la volonté élyséenne de rapprocher les constructions navales civile et militaire, alors qu'elles ont d'évidence des missions propres à développer et n'ont pas vocation à fusionner ? Cette stratégie s'inscrit par ailleurs dans un processus plus large de remodelage européen de la construction navale sur fond de rationalisation des capacités des pays membres dans une logique de partage des créneaux.

L'urgence pour nous aujourd'hui est bien de rompre avec les logiques actuelles qui conduisent à une marchandisation des entreprises, des salariés, de la connaissance et à une privatisation de l'industrie navale militaire.

Ce qui est en jeu, c'est de créer les conditions d'une cohésion et d'une efficacité de DCNS. La question de possibles coopérations industrielles ponctuelles avec d'autres industriels ne peut se concevoir que dans un schéma de conservation des patrimoines et des missions de chacun.

Le maintien sur le territoire des compétences et des moyens de production et d'ingénierie garantissant la souveraineté nationale en termes de défense se conjugue avec la nécessité d'une construction navale civile confortée répondant aux besoins croissants de moyens de transports maritimes dans tous les domaines, notamment ceux qui sont liés à un meilleur respect de l'environnement.

Nous l'affirmons, la fusion des entreprises navales DCNS et STX ne garantirait pas l'avenir de leurs deux secteurs d'activités mais, au contraire, les ferait plonger tous les deux.

Le recentrage des activités de DCNS vers l'ingénierie et le commerce ne correspond pas à l'urgence d'une véritable politique industrielle dont le pays a besoin. Il conduirait aux mêmes déboires que ceux qu'ont connus il y a quelques années les chantiers civils qui sont allés trop loin dans l'externalisation de certaines compétences.

Au regard des stratégies développées ces dernières années dans leur entreprise, les personnels de DCNS ont bien compris quelles étaient les véritables motivations de ce projet.

L'absence de visibilité sur le long terme, le développement de la précarisation de l'emploi, la perte de savoir-faire et de compétences, le recul social, la désorganisation entretenue et préméditée des services sont autant de signes d'une opération calculée, ce qui est en soi terrifiant.

L'opération envisagée a pour prétexte la baisse des coûts et la nécessité d'une compétitivité répondant aux normes patronales. En réalité, l'enjeu est avant tout politique : il s'agit de privatiser l'outil de défense en général et le secteur naval en particulier. Toutefois, comme nous l'avons constaté dans d'autres domaines, après la privatisation des profits vient souvent la nationalisation ou la renationalisation des pertes ; d'autres pays, comme l'Espagne, ont déjà fait ce cruel constat dans le secteur naval.

Les restructurations de DCNS ne peuvent s'expliquer que comme la conséquence de choix politiques, sciemment menés pour présenter comme inéluctables les adaptations découlant de ces stratégies et de ces visions.

L'article 10 du projet de loi de programmation militaire contient tous les germes de l'éclatement de l'entreprise sur fond de transfert des activités et des personnels dans des filiales ou sociétés communes. Il acte aussi la mobilité accrue et sans limite des personnels dans le groupe ou un groupement auquel appartiendrait DCNS, rompant ainsi les liens géographiques entre les individus et leur lieu de travail, modifiant sans doute les clauses des contrats de travail et aussi les accords collectifs.

La richesse de DCNS tient dans la complémentarité de ses établissements et la capacité de ses personnels à mettre en oeuvre leur savoir-faire technique dans toutes les situations. Porter atteinte à ces notions pourrait remettre inéluctablement en cause l'opérationnalité de cette entreprise unique, voire conduire à sa disparition. Nous ne pouvons pas nous y résoudre : l'article 10 conduit bien à la disparition de DCNS ; son retrait est donc indispensable.

Vous l'aurez compris, mesdames et messieurs les députés, nous n'attendons pas de votre commission des explications ou des justifications, voire des aménagements de cet article, mais la prise en compte des arguments que nous venons d'avancer, afin que l'irréparable ne soit pas commis.

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