La santé – et c'est bien normal – est une préoccupation majeure de nos concitoyens et une des priorités du Gouvernement. L'intérêt que porte votre commission à ces questions témoigne de votre légitime implication.
La santé, orientée vers le long terme, est créatrice d'emplois, d'innovation et de croissance. La santé, ancrée dans nos régions, est un élément structurant de l'aménagement du territoire. Si la plupart des ministres en charge de la santé ont présenté l'aménagement du territoire comme secondaire, pour ma part, je l'intègre complètement dans ma réflexion et ma politique, c'est bien pourquoi cette loi s'appelle « Hôpital, patients, santé, territoires ».
Cette année encore, malgré la crise, les investissements sont en augmentation. La dernière loi de financement de la sécurité sociale engage ainsi 5 milliards d'euros de plus qu'en 2008, soit une progression de 3,1 %, pour l'hôpital comme pour la médecine de ville.
Le plan Hôpital 2012 mobilisera, pour la période 2008-2012, 10 milliards d'euros d'investissements. Pour m'être rendue plusieurs fois par semaine sur des sites hospitaliers, dont le dernier, vendredi, à Metz et à Sarreguemines, je sais que les acteurs locaux, quelle que soit leur couleur politique, saluent l'impact de ces investissements très lourds sur l'économie locale. 279 projets ont d'ores et déjà été notifiés.
Mais si notre système de santé a besoin de moyens, il a aussi besoin d'organisation. Face aux défis démographiques, économiques et sociaux qui s'annoncent, nous devons utiliser au mieux nos ressources humaines, matérielles et financières, dans une perspective de santé durable et solidaire. Nous devons pérenniser un patrimoine que beaucoup nous envient pour le transmettre, sans dommage, aux générations futures. En un mot, nous devons réformer l'organisation de notre système de santé. C'est tout le sens du projet « Hôpital, patients, santé, territoires ».
Il a été élaboré à l'issue d'une longue concertation, à laquelle vous avez amplement participé, que ce soit au cours des états généraux de l'organisation de la santé ou des différentes missions conduites pendant plusieurs mois. Je salue tout particulièrement celle d'André Flajolet, votre rapporteur pour avis, véritable inspirateur du titre sur la santé publique et du titre sur la territorialisation des politiques de santé portant création des agences régionales de santé. Je veux ici lui rendre hommage : il est un parlementaire à la fois visionnaire et concret, ce qui est assez rare. (Sourires.)
Tout au long de l'élaboration de ce projet, j'ai voulu m'appuyer sur l'expertise et les compétences des acteurs de terrain : élus locaux, professionnels de santé, représentants des usagers. Ainsi, pratiquement toutes les mesures contenues dans ce texte s'appuient sur des expérimentations qui ont réussi.
Ce projet est ainsi né de différents constats avec lesquels chacun ne peut qu'être d'accord.
Nos concitoyens, perdus dans des parcours de soins trop cloisonnés, pâtissent de la complexité de notre système de santé. Ils souffrent d'inégalités territoriales et sociales d'accès aux soins. Ils ne bénéficient pas toujours des soins ou de la prévention adaptés à leurs particularités et à leurs besoins.
Les professionnels de santé, hospitaliers ou libéraux, médicaux ou paramédicaux, réclament de nouveaux modes d'organisation et d'exercice, plus cohérents et plus efficaces, pour répondre aux évolutions de leurs aspirations comme à celles de la société.
Les progrès techniques se multiplient, ouvrant des possibles, mais rendant encore plus cruciales les questions de sécurité et d'organisation des soins, on a pu le constater lors d'événements récents.
Nos politiques de santé, enfin – et je rejoins le rapport d'André Flajolet –, ne sont pas assez adaptées aux spécificités de chaque région. Une approche territorialisée des besoins et de l'offre est indispensable pour apporter des réponses plus efficaces.
Ministre de la qualité et de la sécurité des soins pour tous les Français, je ne pouvais observer les fragilités de notre système sans agir.
Je souhaite ainsi d'abord que les hôpitaux se modernisent autour d'un projet médical, pour renforcer les missions de service public auxquelles nous sommes tous profondément attachés.
Moderniser, c'est poursuivre la politique de recomposition conduite par les agences régionales de l'hospitalisation et basée sur la sécurité des soins. Il n'y a pas de « carte hospitalière », il n'y a pas de fermeture d'hôpitaux. Il n'y en a jamais eu ! En revanche, je souhaite que certains hôpitaux convertissent ou fassent évoluer certains services pour garantir à tous la qualité et la sécurité des soins.
Moderniser, c'est aussi mieux déployer les ressources financières, selon les vraies nécessités.
Moderniser, c'est inciter les hôpitaux à coopérer les uns avec les autres, à mutualiser leurs moyens humains et financiers – dont nous connaissons la rareté – au sein de communautés hospitalières de territoires (CHT), garantes d'une offre cohérente et visible. Les besoins ne sont pas les mêmes partout et pour tous les malades. Les hôpitaux se sont spécialisés, le fonctionnement des plateaux techniques nécessite des équipes médicales complètes, et les enjeux sont considérables. Aucun hôpital, quelle que soit sa taille, ne peut tout assumer.
Les CHT, telles que nous les avons conçues, sont un instrument indispensable pour mieux répondre aux besoins de la population d'un territoire donné, dans une logique de gradation des soins et de complémentarités. La qualité et la sécurité des soins seront ainsi renforcées : chaque patient aura la certitude d'être soigné à l'endroit approprié, par les personnels les plus compétents pour les soins dont il aura besoin. Prendre en compte la gradation des besoins, c'est aussi accroître la sécurité des patients.
J'entends également mieux articuler l'hôpital avec la médecine de ville et avec le secteur médico-social, en donnant aux professionnels les outils pour mieux communiquer. Les parcours de soins, en effet, évoluent. Il est important de faciliter le passage des patients de l'hôpital aux soins à domicile ou à la maison de retraite. Une meilleure continuité des soins – concept central – sera ainsi assurée. Les professionnels, qui collaboreront davantage entre eux, pourront dès lors mieux orienter leurs patients dans un parcours complexe.
L'accès de nos concitoyens à des soins de qualité sur l'ensemble du territoire est une priorité impérieuse. Notre pays dispose d'atouts considérables : un nombre très important de médecins, largement supérieur à la moyenne des pays de l'OCDE – malgré les problèmes de démographie médicale – ; un niveau de compétence et de formation très élevé ; des ressources financières allouées au secteur, elles aussi, largement supérieures à la moyenne de l'OCDE. Le discours misérabiliste sur l'argent consacré à notre système de santé est donc malvenu. Mais nous devons organiser cette offre de soins, car nos concitoyens sont de plus en plus confrontés – et pas seulement en zone rurale – aux déserts médicaux.
Les pratiques des professionnels de santé libéraux sont actuellement dans une période de transition. Le modèle du médecin isolé dans chaque commune tel que l'a décrit Jules Romains est révolu. Les jeunes professionnels ne reprendront pas les cabinets de leurs aînés qui exercent encore de cette manière. Ces jeunes médecins et un certain nombre de leurs confrères désirent exercer de manière coordonnée et en coopération avec d'autres professionnels. Nous le constatons : même dans les zones les moins dotées, les maisons de santé fonctionnent et n'ont aucun problème pour recruter de jeunes médecins, hommes ou femmes.
L'objectif de mon projet est de doter notre système des moyens nécessaires pour relever le défi que représente cette transition. Il s'articule autour de trois axes principaux :
- former les médecins là où s'expriment les besoins, et en nombre suffisant pour que leur installation, près de leur lieu d'études, satisfasse les besoins ;
- définir un schéma d'aménagement de l'offre de soins de premier recours pour l'ensemble du territoire, et pas uniquement dans les zones en difficulté ;
- accompagner la modernisation des pratiques en favorisant le développement des maisons ou des pôles de santé, et généraliser les coopérations entre professionnels de santé en fonction des besoins et des initiatives de terrain.
Il convient d'aider financièrement le fonctionnement des maisons ou pôles de santé des zones les moins dotées et de demander aux médecins des zones les plus dotées de diversifier leur activité pour contribuer à la prise en charge de besoins de santé non couverts. Je pense à une participation à la régulation téléphonique, à la permanence des soins, aux activités de prévention, voire aux consultations dans des zones moins dotées.
Ces mesures ont recueilli le consensus d'une très large majorité d'élus, de patients, de jeunes professionnels et de syndicats professionnels. Le Gouvernement attend bien entendu que les négociations actuelles entre l'assurance maladie et les professionnels aillent à leur terme et que des mesures équilibrées mais opérationnelles, matérialisent l'engagement responsable des partenaires conventionnels dans l'amélioration de l'accès aux soins de nos concitoyens.
J'attire votre attention sur le fait que les internes et les étudiants en médecine ont fait leur part du chemin et se sont engagés d'une manière responsable dans cette réforme. L'article 15 du projet est une petite révolution dans l'organisation des études de médecine puisque le numerus clausus de première année et la répartition des internes dans les régions au moment de l'examen national classant – ENC – ne se feront plus à la discrétion des étudiants et des chefs de services universitaires mais en fonction des besoins constatés de la population et de l'état de l'offre de soins en ville et à l'hôpital. Une programmation sur cinq ans du nombre des postes de praticiens en formation sera établie pour chaque spécialité et dans chaque CHU. Cette programmation nous permettra d'ailleurs d'adapter en conséquence les capacités de formation et les places de post-internat disponibles. Je pense que votre commission « territoires » y sera particulièrement sensible, car c'est le type même de mesure où se rejoignent aménagement du territoire et santé.
Il s'agit d'une mesure à cinétique rapide. Les internes travailleront immédiatement dans les services hospitaliers de manière opérationnelle et concrète. Ils pourront aller se former également dans les établissements privés. Ils feront des remplacements au bout de deux ans et pourront, s'ils le souhaitent, s'installer en ville au bout de quatre ans.
Logiquement, ce projet consacre la territorialisation de nos politiques de santé, à travers la création des agences régionales de santé. Il faut pouvoir décliner nos politiques dans chaque région pour garantir, partout et toujours, une même qualité et une même sécurité des soins.
En se fondant sur les spécificités de chaque région, les agences régionales de santé renforceront l'ancrage et le pilotage territorial de nos politiques de santé. En se substituant à sept organismes différents et en investissant l'ensemble du champ de la santé et de l'autonomie, elles permettront une réponse plus efficace et plus cohérente, ainsi qu'une meilleure efficience dans la gestion des dépenses. Nous répondrons ainsi aux besoins spécifiques de la population dans chaque région.
Parce qu'elle entend lutter contre les déserts médicaux, parce qu'elle entend associer étroitement les acteurs régionaux, cette loi est aussi une loi d'aménagement du territoire.
Ce projet de loi vise également à mieux prendre en compte l'évolution des modes de vie et les désirs d'autonomie et de bien-être de chaque Français.
Le préventif doit avoir une place accrue, à côté du curatif. Notre système de santé n'accorde pas une place suffisante à la prévention, nous voulons y remédier. L'état de santé des Français, en particulier les plus fragiles, doit être préservé.
Les maladies chroniques sont en constante augmentation, tandis que l'amélioration des soins permet un allongement de l'espérance de vie de ces malades, dont nous ne pouvons que nous réjouir. Elles concernent ainsi aujourd'hui environ 15 millions de personnes, soit 20 % de la population française. Leur impact sur la qualité de vie des personnes atteintes est majeur. En outre, leur coût pour la collectivité est lourd. Ainsi, les dépenses de soins des 12 % d'assurés bénéficiant de la prise en charge en ALD représentent 60 % des remboursements de l'assurance maladie, contre 50 % en 1992.
Deux facteurs de risques de ces maladies chroniques ont été clairement identifiés : le tabac et l'alcool.
La consommation d'alcool est à l'origine de 37 000 décès par an. Certes, grâce à la loi Evin, l'usage d'alcool chez les jeunes est moins fréquent en France que dans la plupart des autres pays européens mais nous devons continuer la lutte. En effet, différentes enquêtes – dont la presse s'est fait l'écho – semblent témoigner d'une augmentation de la consommation des jeunes. Selon une enquête réalisée en milieu scolaire, 30 % des jeunes Français de quinze ans avaient connu un épisode d'ivresse en 2002 ; ils ont été 41 % en 2006. Dans la vague 2007 de l'enquête ESPAD – European school survey project on alcohol and other drugs –, en 2007 13 % des jeunes de seize ans ont consommé de l'alcool au moins dix fois au cours des trente derniers jours, alors qu'ils n'étaient que 8 % en 1999 et 7 % en 2003. Les ivresses répétées se multiplient. Si nous espérons obtenir prochainement des données nouvelles pour confirmer cette tendance, d'autres indicateurs légitiment notre préoccupation à propos du développement du binge drinking chez les jeunes. Entre 2004 et 2007, les hospitalisations pour intoxication alcoolique ont augmenté de 50 % chez les moins de quinze ans comme chez les quinze – vingt-quatre ans.
Les mesures présentées dans le présent projet visent ainsi à restreindre l'accessibilité des plus jeunes à l'alcool, mais aussi l'attractivité de certaines formes de commercialisation de ces boissons auprès de cette population. Elles s'inscrivent dans la droite ligne des états généraux de l'alcool, organisés dans toute la France fin 2006.
Les études scientifiques prouvent que les mesures réduisant la disponibilité de l'alcool – dont celle remontant l'âge minimum légal – et participant à la réduction de la consommation d'alcool au volant sont les plus efficaces : plusieurs d'entre elles figurent dans le texte.
Lorsque la maladie est installée, il est essentiel de permettre au patient de garder le plus longtemps possible son autonomie. Il importe de lui donner les moyens d'être acteur de sa prise en charge. Aussi, les programmes d'éducation thérapeutique du patient et d'accompagnement doivent trouver toute leur place dans le parcours de soins afin d'en améliorer la qualité. C'est pourquoi il est essentiel qu'ils figurent dans le code de la santé publique.
L'excellent rapport remis par André Flajolet rappelle que la maîtrise des principaux facteurs de risque – tabac, alcool, mauvaise alimentation, insuffisance d'exercice physique – et une politique de prévention efficace permettraient de réduire significativement le risque de survenue des cardiopathies, des accidents vasculaires cérébraux et des diabètes de type II, ainsi que des cancers.
Du constat à l'action, un même impératif détermine ma démarche : replacer le patient au coeur de notre système et faire reposer l'édifice sur l'engagement responsable des professionnels. Cette double exigence, choisie et revendiquée, procède d'une logique de confiance tout autant que d'efficacité. C'est à ces conditions que nous maintiendrons, sur le long terme, un système de santé solidaire.
Ce projet collectif requiert la mobilisation de chacun. Je serai très attentive à vos propositions qui enrichiront un texte prospectif et responsable.