Je vous remercie de votre accueil.
La lettre de mission du Premier ministre m'est parvenue le 25 septembre. Installée par Mme Lagarde et M. Chatel, la commission a tenu quinze réunions entre le 26 septembre et le 10 décembre. Nous avons auditionné Jean-Paul Bailly, président de La Poste, avant d'examiner les différents métiers de La Poste. Deux réunions ont été consacrées à des comparaisons internationales. Nous avons également écouté le point de vue des clients de La Poste, particuliers et « grands comptes ». Les élus locaux se sont largement exprimés à travers l'Association des maires de France, ainsi que les représentants des communes rurales, des élus de la montagne, des départements et des régions, le président de l'Observatoire national de la présence postale territoriale, les présidents de comités départementaux, ainsi que des parlementaires.
La commission comprenait six parlementaires, six personnalités qualifiées, six représentants des syndicats de La Poste, trois représentants de l'État et trois représentants de La Poste. J'ai tenu à préciser d'emblée que le rapport n'engageait que moi, et non pas les autres membres de la commission. Ce rapport a été remis au Premier ministre le 17 décembre, avant de faire l'objet, le 19, d'une réunion à l'Élysée, rassemblant, autour du Président de la République, le Premier ministre, les ministres concernés et les membres de la commission, excepté les représentants de l'État et de La Poste, ainsi que Jean-Paul Bailly.
Il convient de noter en préambule que La Poste a déjà connu une évolution très encourageante ces dernières années. Il faut également signaler la place très particulière que cette entreprise occupe sur le plan symbolique, politique et social : La Poste ne peut pas être une entreprise comme une autre.
Certains points ont fait l'objet de convergences très fortes, au point qu'on peut presque parler de consensus. Le statu quo n'est pas acceptable. Si les missions de services publics de La Poste doivent être confirmées et leurs modalités de financement clarifiées, son développement doit également être assuré dans des activités commerciales hors service public. La Poste doit rester une entité publique. L'unité du groupe est une force essentielle qu'il faut mettre au service de ses projets. La présence postale sur le terrain est une nécessité mais aussi un atout, et le dialogue avec les collectivités territoriales sur ce sujet doit être renforcé. Enfin La Poste a besoin de croissance et doit mener une politique active de développement.
La Poste présente aujourd'hui la singularité d'être un groupe intégré, regroupant quatre métiers correspondant à ses obligations de service public : le service universel postal, défini par une directive européenne ; la contribution à l'aménagement du territoire, définie par la loi ; le transport et la distribution de la presse ; l'accessibilité bancaire, qui fait obligation à La Poste d'ouvrir un livret A à toute personne qui en fait la demande. Chacune de ces activités bénéficie en principe d'un financement propre, mais en réalité la plus grande part de leur coût est assumée par les bénéfices du courrier.
Avec 299 000 salariés, La Poste est le deuxième employeur de France, après l'État. Elle est déjà confrontée à la concurrence sur le marché du colis express, notamment celle des postes allemande et néerlandaise, ainsi que de sociétés américaines.
La Poste présente des fragilités. Alors que le volume du courrier n'avait cessé d'augmenter depuis sa création sous Louis XI, il ne cesse de diminuer depuis quelques années, et cette diminution s'accélère, du fait notamment de la concurrence croissante des médias électroniques. Cette activité devra en outre relever le défi de l'ouverture complète à la concurrence en 2011. Si le colis express, la Banque postale et la diversification des services du courrier sont des voies d'expansion pour l'entreprise, elle doit pour cela se doter de moyens. Or l'entreprise supporte déjà une dette de six milliards d'euros, qui constitue un handicap par rapport à la plupart des postes européennes.
Tous les membres de la commission ont jugé que, dans ce contexte, La Poste devait réagir par la mise en oeuvre d'un projet de développement ambitieux, à forte dimension industrielle et fondé sur l'unité du groupe, propre à répondre aux défis et aux enjeux de chacun de ses métiers.
Face au déclin en volume du courrier, des ripostes existent ; l'ouverture, malgré ses risques, peut offrir également des opportunités de développement. Elle doit être en particulier l'occasion d'achever la modernisation de l'outil industriel du courrier, qui devra s'accompagner, ne nous le cachons pas, de la reconversion des personnels concernés. La Poste devra en outre développer la « chaîne de valeur » du courrier en créant des services connexes en amont de l'émission du courrier ou des activités complémentaires autour de la tournée du facteur. De grands groupes comme IBM, Xerox, Google ou Microsoft, commencent à s'intéresser à ces services, et La Poste doit réagir.
En ce qui concerne le colis express, la Poste est bien implantée en France, où elle occupe la première place, et en Europe. Mais ce marché, d'une dimension de plus en plus européenne, connaît depuis une décennie des mutations accélérées et des restructurations très rapides. Les lacunes du réseau européen de La Poste rendent nécessaires des acquisitions externes.
La très bonne image de la Banque postale est encore renforcée par la crise actuelle et le discrédit qui frappe les autres réseaux bancaires. Banque de détail de taille moyenne, avec 29 millions de clients et 9 % des parts de marché en encours, elle doit, pour la commission, rester une banque « pas comme les autres », une banque de proximité offrant à une clientèle modeste des tarifs raisonnables et la possibilité de déposer et de retirer de tout petits montants. Elle doit cependant élargir sa gamme de produits, améliorer sa productivité, ses coûts de fonctionnement étant trop élevés, et moderniser sa relation aux clients.
L'Enseigne, c'est-à-dire le réseau des 17 000 points de contact, rassemble 65 000 collaborateurs, dont 35 000 guichetiers. La satisfaction des clients est toutefois en demi-teinte, en dépit de progrès incontestables. Les temps d'attente aux guichets sont jugés excessifs et l'accueil peu satisfaisant. Beaucoup de ses bureaux doivent être modernisés ; la personnalisation du service au client doit être améliorée et les opérations les plus simples automatisées.
La commission s'est penchée plus particulièrement sur les missions de service public qui sont au coeur de la vocation de La Poste, notamment sur le service universel du courrier. Le courrier des particuliers ne représente que 10 % au plus de l'activité postale, celui des entreprises 80 %, et la presse 10 %. Principal indicateur de qualité de service, la proportion de lettres parvenues en J + 1 – distribution le jour ouvrable suivant le dépôt du courrier – est passé de 65 % en 2003 à 83 % en 2007 ; la proportion en J +2 est, quant à elle, de 97 %. Il conviendrait de s'interroger sur l'opportunité, dans une optique de développement durable, de réserver le J +1 à l'intrarégional ou entre régions voisines, le reste bénéficiant d'un J + 2 garanti.
Cette mission de service universel doit être confirmée dans la durée, pour donner de la visibilité à La Poste, et le surcoût qu'elle génère doit être compensé. Ce surcoût a été jusqu'à présent couvert par les bénéfices réalisés par La Poste sur le secteur réservé, mais le principe d'un fonds de compensation a été retenu. De nombreux membres de la commission estiment que ce mécanisme de compensation doit impliquer les concurrents de La Poste dès lors qu'ils ne supportent pas les charges du service universel postal.
Deuxième mission d'importance, La Poste contribue à l'aménagement du territoire, à travers ses 17 000 points de contact, dont 9 000 en zone rurale, avec 4 000 bureaux de poste dans des communes de moins de 2000 habitants. Nous pensons qu'il conviendrait d'officialiser ce chiffre de 17 000 afin d'éviter que Bruxelles ne s'oppose à la compensation de leur coût : la loi n'impose en effet que 14 500 points de contact.
Cette mission d'aménagement du territoire est financée par le fonds national de péréquation postale territoriale, abondé essentiellement par les collectivités locales au travers d'un abattement sur la taxe professionnelle. Nous pensons que ce fonds doit être renforcé et qu'il revient à l'Observatoire national de la présence postale territoriale de faire des propositions en ce sens.
La mission de service public de transport et de distribution de la presse fait l'objet d'accords entre l'État, La Poste et les éditeurs de presse. Nous recommandons l'application du dernier accord, signé en juillet 2008, qui prévoit l'équilibre financier de cette activité d'ici 2015. En ce qui concerne la mission d'accessibilité bancaire, la loi de modernisation de l'économie a prévu les moyens de compenser le surcoût lié à la concurrence sur le livret A.
Au total, ce n'est donc que sur la mission d'aménagement du territoire que notre commission décèle une lacune dans le financement des missions de service public de La Poste.
Le modèle social de la Poste est une valeur qu'il convient de préserver. Mais elle a besoin aussi de flexibilité et de mobilité pour faire face aux changements de son environnement ; elle doit investir dans le développement des compétences professionnelles et réaliser les recrutements nécessaires pour les besoins de demain. La commission a été unanime à juger que la conciliation de ces deux impératifs supposait la signature d'une convention collective de branche. Celle-ci s'appliquerait à tous les intervenants dans les métiers de La Poste, pour éviter tout risque de dumping social par de nouveaux entrants.
Tout cela suppose des moyens. Sur la période 2009-2012, La Poste situe le total de ses besoins d'investissement entre 7,350 et 9 milliards d'euros. La commission retient un besoin minimal d'investissement de 6,3 milliards d'euros, qui n'est pas couvert par la capacité d'autofinancement de l'entreprise, estimée à 900 millions d'euros annuels – hypothèse déjà un peu optimiste : le besoin de financement s'élève donc à 2,7 milliards d'euros sur ces quatre ans. La commission juge déraisonnable d'accroître un endettement déjà très important, qui génère 300 millions d'euros de charges annuelles. Sans apport significatif de fonds propres, La Poste n'aura le choix qu'entre le déclin par impossibilité de moderniser ses quatre métiers, ou l'éclatement, seules les activités colis express et Banque postale tirant leur épingle du jeu. Or l'unité du groupe est une force pour l'ensemble des métiers.
Ces fonds propres ne pouvant, dans la situation de crise actuelle, provenir du secteur privé ou de la bourse, ils ne peuvent être que d'origine publique. Trois solutions sont envisageables : le budget de l'État ; l'intervention du fonds stratégique d'investissement, ou celle de la Caisse des dépôts, en fonction de la réactivité de chacun et de la conformité aux règles communautaires.
Certains membres de la commission ont jugé que cet apport de fonds propres ne devait pas se traduire par un changement de statut de La Poste, considérant qu'une transformation de l'entreprise en société anonyme serait la porte ouverte à une privatisation ultérieure. D'autres membres de la commission, dont je suis, pensent que la transformation de la Poste en société anonyme lui permettrait d'affronter à armes égales ses concurrents. Ce changement de statut serait donc un progrès, pourvu que le législateur garantisse la participation majoritaire de l'État, précise les obligations de service public de La Poste et leurs modalités de financement, et que des garanties soient apportées aux personnels, à travers le statut des fonctionnaires et des accords d'entreprise et de branche.
Quel que soit le statut de La Poste, les défis auxquels elle est confrontée sont les mêmes.
Nous avons tous la conviction que les fondamentaux de la Poste sont sains et que les fonds propres qui seront apportés à l'entreprise le seront dans une perspective de croissance, de développement et d'amélioration du service public. Mais dans un contexte de mutation accélérée, il est nécessaire de réagir vite, car si « dans le monde d'hier, les gros mangeaient les petits, dans le monde de demain, les rapides mangeront les lents ».