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Intervention de Hubert Védrine

Réunion du 3 mars 2009 à 16h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Hubert Védrine :

Ce nouvel échange ne me semble pas faire apparaître d'arguments décisifs justifiant la décision prise. La question que je me pose est toujours la même : quelles raisons fondamentales aurions-nous de changer une situation confortable, consensuelle et ne présentant pas d'inconvénients, à laquelle les Américains étaient habitués ? Les objectifs annoncés étaient tout à fait accessibles dans cette situation. Ainsi, la raison de cette décision me semble être plutôt politico-idéologique et elle n'est pas convaincante.

La fin de la guerre froide doit conduire à s'interroger sur la justification de l'existence de l'OTAN plutôt que sur celle de la position française. En effet, l'OTAN, en tant que mécanisme intégré, a été créée pour répondre à la menace soviétique à l'issue de la guerre de Corée. Tirant les leçons de celle-ci, les États-Unis souhaitaient s'organiser face à l'Union soviétique et réaliser dès le temps de paix une intégration prête à fonctionner immédiatement en temps de guerre. En 1990, devant l'évolution de la situation, François Mitterrand avait malicieusement fait dire par Roland Dumas que, la menace ayant disparu, l'OTAN n'avait peut-être plus de raison d'être sous sa forme originelle et qu'il fallait sans doute réinventer une autre formule. Les Américains ont alors déclenché tous leurs systèmes d'influence pour tuer dans l'oeuf cette idée épouvantable, car la survie de l'organisation intégrée, qui assurait l'influence américaine, était devenue une fin en soi.

Pour ce qui est du retrait des Américains d'Europe, évoqué par M. Meslot, il est vrai que les États-Unis pourraient considérer l'Europe comme une priorité de deuxième ou de troisième plan si elle cessait d'être un enjeu ou ne faisait pas l'objet de menaces. En revanche, si les Chinois voulaient mettre la main sur l'Europe, les Américains reviendraient, car ils ne peuvent pas se permettre de voir l'Europe occidentale passer sous une autre influence que la leur. Nous n'avons donc rien à craindre : si les Américains ne sont plus autant là, c'est qu'il n'y a pas d'enjeu vital.

Pour ce qui concerne l'Europe de la défense, le sommet de Saint-Malo a permis de dépasser la contradiction existant entre la position française, qui défendait l'existence d'une défense européenne en dehors de l'Alliance, et la position britannique, qui excluait toute compétence de l'Europe en matière de défense et de sécurité, ces questions devant relever exclusivement de l'OTAN. À Saint-Malo, les Britanniques ont reconnu que, dans certaines conditions restant à discuter, l'Union européenne pouvait développer une capacité en matière de défense, tandis que les Français reconnaissaient que ce processus aurait lieu sous l'ombrelle générale de l'Alliance, étant entendu que la démarche européenne devait avoir une véritable autonomie. L'accord ne s'est toutefois jamais concrétisé, car il aurait fallu pour cela que les Européens disposent des moyens de penser et d'analyser, c'est-à-dire d'un état-major, ce qui a toujours été exclu au motif que cet état-major ferait double emploi avec celui de l'OTAN. Chaque proposition, même minuscule, se heurte toujours à ce préalable, à ce veto.

Lorsque les Britanniques, les Néerlandais et les nouveaux entrants, qui se retrouvent généralement sur cette ligne, acceptent de parler de défense européenne, c'est sous une forme de sous-traitance et, de fait, les États-Unis, le Pentagone et le commandant en chef de l'OTAN ne voient aucun inconvénient à ce que quelques pays européens se chargent d'une opération dans laquelle ils ne souhaitent pas engager l'OTAN en tant que telle. L'Europe fait alors figure de prestataire de services, ce qui n'a rien à voir avec la défense européenne présentée dans les discours généraux. On en revient au schéma classique dans lequel les États-Unis sont tout à fait disposés à partager le fardeau, mais pas la décision. Or, si l'on prend au sérieux la notion de défense européenne, quel qu'en soit le cadre, il faut réconcilier les deux aspects : pas de partage du fardeau sans partage de la décision. Cependant, rien dans les propos de campagne ni dans les premiers gestes de M. Obama ne traduit un intérêt particulier ou une ouverture sur ce plan.

J'aurais pu comprendre – si ce n'est approuver – qu'un président français désireux de mettre en oeuvre une politique en rupture avec celle de la Ve République depuis 1996 se déclare prêt à réintégrer, le cas échéant, une « Alliance transformée », qui comprendrait un véritable pilier européen et permettrait un dialogue responsable entre les deux parties – ce qui serait au demeurant très contraignant pour les Européens, qui font preuve depuis plusieurs décennies d'une grande irresponsabilité. Un tel big-bang aurait pu donner lieu à une Alliance à deux piliers. Or, ce n'est pas du tout ce que nous sommes en train de faire, et je crains que la machine normalisatrice ne nous empêche même d'y songer.

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