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Intervention de Hubert Védrine

Réunion du 3 mars 2009 à 16h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Hubert Védrine :

Je crains d'avoir été trop nuancé dans mon expression.

Pour résumer mon analyse, il ne me semble pas que la décision de réintégration repose sur des raisons convaincantes. Elle ne permet pas de débloquer la défense européenne, et ce pour des raisons qui, selon moi, ne sont pas celles qui sont ordinairement invoquées. Elle ne devrait pas non plus augmenter l'influence de notre pays dans l'Alliance. En outre, cette démarche est justifiée de manière rétroactive par de mauvais arguments. Cela vaut déjà à notre pays, dans une grande partie du monde, l'image d'une politique de défense, et donc d'une politique étrangère, réalignées sur celles des États-Unis. De surcroît, et cela a été le plus coûteux, cette décision a été prise à la fin du mandat de M. Bush. Il reste à espérer que nous serons, à cet égard, sauvés par M. Obama. Je ne puis donc reprendre à mon compte les arguments avancés en faveur d'une décision qui ne me semble pas tracer le chemin d'une défense européenne. Mon jugement est en fait, monsieur le président, plus sévère que ne vous le dites.

Le retour de la France n'est pas sans présenter des inconvénients, notamment sur le plan politique, ainsi que des risques sérieux liés à l'intégration renforcée dans un système que, à moins de le modifier fondamentalement, nous ne maîtrisons pas. Alors que l'OTAN est à l'origine une organisation militaire défensive couvrant l'Europe et l'Atlantique Nord, nous sommes aujourd'hui engagés en Afghanistan. Dans cinq ou dix ans, les États-Unis trouveront peut-être utile d'employer l'OTAN n'importe où dans le monde. Lorsque la France avait une capacité de résistance politique plus consistante, elle a empêché durant trente ans ce rayonnement hors zone. En 1983, par exemple, le président Reagan n'était pas parvenu à convaincre François Mitterrand d'étendre au Japon les garanties de l'article 5 ; le refus français se fondait sur la nature même de l'Alliance.

Après la chute de l'Union soviétique, cette résistance a disparu, mais nous n'avons toujours pas de contrôle sur le concept stratégique. C'est précisément parce que la France ne pouvait pas exercer ce contrôle et empêcher les Américains d'adopter le concept absurde de la « riposte graduée » que le général de Gaulle a quitté le commandement intégré de l'OTAN. Au cours des dernières années, ni la France ni aucun des pays pleinement intégrés n'a eu de contrôle sur le concept stratégique de l'Alliance, sur son élargissement, sur ses zones d'intervention, ni sur les questions relatives à la Russie, au bouclier antimissile, à la Géorgie ou à l'Ukraine. Il y a là un vrai risque.

Nous vivons dans un monde où les Occidentaux perdent le monopole de la puissance et le leadership historique qu'ils ont exercé depuis cinq siècles, quatre siècles européens, puis près d'un siècle américain. S'ajoutent à cela la raréfaction énergétique et les nécessaires mutations écologiques, les migrations massives et bien d'autres problèmes, tous aggravés par la crise. L'arrivée des pays émergents interdit aux pays occidentaux, même s'ils restent les plus puissants et les plus riches, d'imposer seuls quoi que ce soit ; tout doit être discuté laborieusement avec d'autres puissances. Le premier problème du président Obama, élu pour enrayer la crise, consiste à trouver un accord avec la Chine pour sortir ensemble les deux pays de la crise.

Dans ce monde nouveau où les tensions seront très fortes, qui peut dire aujourd'hui à quoi sera utilisée l'OTAN dans cinq ou dix ans ? Des tentations extrêmes sont possibles et le fait que M. Obama soit aujourd'hui paré de toutes les séductions ne nous donne aucune garantie pour l'avenir. Lorsqu'il ne sera plus en fonctions, la France fera toujours partie du commandement intégré. Que contrôlera-t-elle ? La décision injustifiée qui est prise équivaut à une prise de risque et constitue une vraie inquiétude.

Les autorités françaises devront être en mesure d'indiquer quelle influence elles comptent exercer dans l'Alliance et comment, notamment pour s'opposer à la poursuite de l'élargissement, pour imposer un débat sur la question incohérente du bouclier antimissile – à moins que le président Obama n'abandonne spontanément ce projet, ce qui serait plus simple – ou pour lancer un débat sur les zones où il est légitime de recourir à l'OTAN. En Afghanistan, par exemple, une coalition ad hoc aurait sans doute été plus pertinente, car la situation ne concerne pas seulement les Occidentaux. Lorsque la France aura réintégré l'OTAN, il lui faudra donc parler des sujets qui fâchent. Or, jusqu'à présent, ni le Président de la République, ni aucun ministre concerné n'a indiqué quelle sera l'action de la France lorsqu'elle aura pleinement réintégré l'OTAN.

Les perspectives de nouvelle influence européenne qu'on nous a fait miroiter me semblent être un leurre. Il serait normal que le Parlement prévoie de dresser, au bout d'un an ou deux, un bilan de ce que nous aurons obtenu sur ces différents terrains, car les risques sont réels. Nous ne devons pas nous laisser séduire par le fait que l'administration Obama s'efforce d'élaborer une politique étrangère américaine normale sur les décombres de la politique absurde de son prédécesseur. Ces questions difficiles n'ont, j'y insiste, rien de polémique.

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