Les avocats aux Conseils ont une tradition de modération d'honoraires. Dans cet esprit, je situerais le coût total de la procédure dans une fourchette allant de 2000 à 3 000 euros, sachant qu'une possibilité d'aide juridictionnelle est évoquée dans le projet de loi organique.
J'en viens à vos questions écrites.
Si les matières fiscale, pénale et douanière devraient être les domaines de prédilection des requérants pour soulever des questions de constitutionnalité, les principes constitutionnels les plus susceptibles d'être privilégiés par les plaideurs devant les juridictions du fond – principes d'égalité, de sûreté, de propriété, de laïcité, de liberté de l'enseignement supérieur,... – devraient être ceux dont on ne retrouve pas le doublon dans la Convention européenne des droits de l'Homme.
Quant à invoquer une incompétence négative du législateur à l'appui d'une question de constitutionnalité, une telle possibilité existera, du moins si cette incompétence négative entraîne une atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit. Elle pourra donc être invoquée, mais de façon encadrée.
S'agissant par ailleurs d'un risque de pré-jugement de constitutionnalité par les juridictions suprêmes, le juge, dans la troisième hypothèse procédurale que j'évoquais, c'est-à-dire lorsqu'il jouera son rôle de filtre, se trouvera dans une situation analogue, si ce n'est très proche, de celle dans laquelle d'autres questions préjudicielles peuvent être posées, par exemple à la Cour de justice des Communautés européennes ou au juge administratif par le juge judiciaire. Sa décision ne vaudra donc pas pré-jugement et ne liera en rien le Conseil constitutionnel dans le cas où la question lui serait renvoyée par le Conseil d'État ou par la Cour de cassation.
Pour ce qui est de l'ordre dans lequel les questions de constitutionnalité et de conventionnalité doivent être traitées, je suis pour ma part très attaché à la liberté de choix du plaideur. Les données sont différentes lorsqu'une question de priorité se pose entre une question de constitutionnalité et une question de contrariété au droit communautaire. Ce dernier constitue un ordre juridique autonome qui doit conserver sa primauté et si une question d'incompatibilité au droit communautaire est posée, elle doit prévaloir par rapport à la question de constitutionnalité.
Concernant le sursis à statuer en cas de transmission ou de renvoi d'une question, si son principe est indispensable, les exceptions prévues sont un peu complexes. Pour autant, il faut que, dans un certain nombre de cas de figure, le juge ordinaire puisse statuer. Peut-être faudra-t-il alors prévoir le sort de décisions devenues définitives alors que l'instance devant le juge ordinaire sera terminée.
J'ai déjà évoqué la question de la dispense du ministère d'avocat. On se trouve là dans une situation analogue à celle de la procédure d'avis. Le dossier déposé par l'avocat devant les cours et tribunaux est adressé au Conseil d'État ou à la Cour de cassation qui se prononcent sur la demande d'avis – au vu, le cas échéant, de mémoires particuliers déposés par des membres du barreau dédié à ces deux Hautes juridictions –, avant de revenir devant le juge ordinaire. Le parallèle peut également être fait avec la procédure devant le Tribunal des conflits : les mémoires y sont déposés exclusivement par les avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation, et une fois que la question de procédure a été tranchée, l'affaire repart vers la juridiction ordinaire de l'un ou de l'autre ordre de juridiction, devant laquelle l'avocat qui suivait au fond le dossier reprend de nouvelles écritures. Il n'y a pas à envisager de particularité pour la représentation des parties devant le Conseil d'État et la Cour de cassation.
Par ailleurs, dès lors que l'instance est la chose des parties, il me semble que s'il y a un désistement devant la juridiction ordinaire et que cette dernière l'a constaté, le Conseil constitutionnel n'a plus lieu à statuer sur la question qui lui a été transmise par le Conseil d'État ou par la Cour de cassation. La procédure est d'ailleurs la même dans d'autres cas de questions préjudicielles, que ce soit devant la Cour de Luxembourg ou devant la juridiction administrative à la demande du juge judiciaire.
Les décisions de renvoi de la question au Conseil constitutionnel sont des décisions de justice et elles doivent à ce titre être motivées. Il s'agira bien évidemment d'une motivation au regard de l'existence ou de l'absence de difficulté sérieuse. Il faut que le justiciable sache pourquoi le juge a considéré qu'il y avait ou non difficulté sérieuse et donc pourquoi il y avait lieu ou non de transmettre la question au Conseil constitutionnel.
Il me semble que la possibilité pour les juridictions de reformuler les termes de la question ne devrait intervenir, devant le Conseil d'État et la Cour de cassation, que pour des raisons de clarté. Les deux Hautes juridictions ne peuvent à mon avis modifier la question qui leur est transmise par le juge du fond ni, bien évidemment, formuler une autre question. La même règle doit s'appliquer au Conseil constitutionnel. Encore une fois, nous sommes dans le cadre d'une instance qui est la chose des parties ; c'est sur la question qui a été filtrée et transmise par le Conseil d'État ou la Cour de cassation que le Conseil constitutionnel va se prononcer. Il pourra également la reformuler dans un souci de clarté mais sans pouvoir à cette occasion trancher une autre question.
Je suis favorable au fait de prévoir que, devant le Conseil constitutionnel, des observations puissent être adressées sur toute question de constitutionnalité par le Président de la République, le Premier ministre et les présidents des deux assemblées. Le débat doit être le plus large possible, dans le souci de respecter le principe du contradictoire.
Enfin, la présentation contradictoire des observations des parties devant le Conseil constitutionnel est indispensable. Elle ne transformera pas pour autant la question de constitutionnalité en un litige incident. Il est naturel que toutes les parties au procès puissent présenter des observations, étant entendu – encore que la question ne se pose pas dans le cadre du projet de loi organique – que des interventions seront possibles devant le Conseil constitutionnel si celui-ci entend prévoir – ce qu'il conviendrait alors d'encadrer – une telle possibilité pour compléter encore les exigences du contradictoire.