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Intervention de Jean-Claude Colliard

Réunion du 23 juin 2009 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Jean-Claude Colliard, président de l'université de Paris I, ancien membre du Conseil constitutionnel :

Monsieur le président, pour un constitutionnaliste, pouvoir apporter sa pierre à l'élaboration d'une loi sur la saisine du Conseil constitutionnel est une grande satisfaction.

Le questionnaire que vous avez bien voulu me transmettre couvre à peu près l'ensemble des sujets que je souhaitais soulever. J'ajouterai cependant in fine quelques observations.

Quels sont les principes constitutionnels les plus susceptibles d'être soulevés ? Cette première question est la plus difficile. Au début de la mise en oeuvre de la loi, l'imagination risque d'être très grande. Je m'attendrais assez volontiers à ce que le principe d'égalité, déjà très largement utilisé, soit le premier à être mis en avant. La liberté individuelle aussi devrait être largement invoquée. Ce concept est en train de se renforcer, de prendre plus de contenu ; une manifestation récente en est la censure de la loi HADOPI. Le juge constitutionnel est allé au-delà de ses analyses habituelles en matière de liberté de communication. Il en ira sans doute de même pour d'autres libertés.

Les droits de la défense devraient aussi être invoqués. Cependant le rôle du procureur a été renforcé par nombre de lois récentes, évolution qui devrait d'ailleurs finir par susciter quelques questions auprès de la Cour européenne des droits de l'homme, et même, peut-être, au regard de nos exigences internes.

La rédaction du texte permettra-t-elle d'invoquer une incompétence négative du législateur à l'appui d'une question de constitutionnalité ?

Le projet de loi prévoit que l'exception est admise lorsque la loi commande l'issue du litige. Même s'il est toujours possible de soutenir philosophiquement que l'absence de loi aussi peut commander l'issue d'un litige, j'ai du mal à imaginer que soit adressée au juge une demande de censure d'une loi qui n'existe pas. De plus, le Conseil constitutionnel a généralement refusé de considérer que l'absence d'une disposition souhaitable dans la loi pouvait entraîner son annulation. Les cas contraires sont très particuliers et exceptionnels, tel celui connu sous le nom d'« affaire des femmes corses » : nous avions alors exposé qu'il manquait une disposition législative, et qu'il appartiendrait au législateur d'y remédier à l'occasion de la discussion de la prochaine loi sur l'Assemblée de Corse.

Je ne pense donc pas que l'idée de l'incompétence négative puisse prospérer.

Il faut souligner la difficulté d'établir un catalogue précis des droits et libertés garantis par la Constitution. Le juge allemand connaît les droits constitutionnels couverts par le Verfassungbeschwerden, et le juge espagnol par la procédure d'amparo. Il est vrai qu'à l'occasion du référé liberté par exemple, nous avons constaté qu'un droit garanti par la Constitution, comme le droit à la santé, pouvait ne pas être considéré comme une liberté. Mais eu égard au caractère généreux et imprécis des limites fixées par le Constituant, je crains que le législateur ne puisse guère agir pour aider la jurisprudence. Établir cette liste sera pourtant l'une des premières tâches de celle-ci.

Exiger que la juridiction suprême saisie s'assure que la question soulevée est nouvelle ou présente une difficulté sérieuse ne risque-t-il pas de conduire les juridictions suprêmes à un pré-jugement de constitutionnalité ? Je répondrai à cette troisième question par l'affirmative, bien sûr. C'est même le principal risque de cette réforme.

On peut penser qu'un filtre est souhaitable. En revanche, lorsqu'elle ne transmettra pas au Conseil constitutionnel la question préjudicielle, la juridiction suprême affirmera la constitutionnalité d'un texte et donc se conduira en juge de la constitutionnalité. Si le filtre fonctionne bien, dans la quasi-totalité des cas c'est le Conseil d'État ou la Cour de cassation qui déclarera que la loi n'est pas entachée d'inconstitutionnalité. Le principal risque de cette réforme est qu'elle aboutisse ainsi à un contrôle diffus par les juridictions suprêmes au lieu d'un contrôle centralisé par le Conseil constitutionnel.

Un tel risque pouvait, à mon sens, être évité. Lors des travaux relatifs à la révision constitutionnelle, j'avais suggéré de permettre au Conseil constitutionnel de se saisir d'une question de constitutionnalité. Selon moi, une telle procédure n'est pas incompatible avec le texte de la Constitution. Le Conseil constitutionnel est saisi sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation. Rien n'interdit donc de prévoir que lorsque ces juridictions sont saisies, elles en informent le Conseil constitutionnel. Ensuite, soit la cour suprême décide spontanément de transmettre, soit le Conseil constitutionnel demande à être saisi de la question.

Pour répondre maintenant à vos autres questions, instaurer une priorité de la question de constitutionnalité sur la question de conventionnalité est essentiel. Autrement, le juge du fond utilisera évidemment la procédure de l'exception d'inconventionnalité : il est habitué à la manier et n'a pas à attendre qu'une autre juridiction lui dicte sa conduite. La rédaction de l'arrêt comportera alors les termes « sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la question de constitutionnalité ». L'exemple de la Belgique, qui a heureusement inspiré le législateur, est à cet égard significatif. La loi a dû être refondue justement parce que la procédure d'inconstitutionnalité n'était pas utilisée.

Ma réponse est la même pour les cas où une disposition législative suscite à la fois une question de conformité au droit communautaire et une question de constitutionnalité.

Votre Commission, si elle le souhaite pourrait peut-être se pencher sur quelques formules de la loi susceptibles de susciter des interprétations discutables. L'expression « de façon analogue », employée à l'alinéa 14 de l'article 1er du projet de loi organique, ne me paraît pas extrêmement et pertinente. Elle ne relève pas d'un vocabulaire pleinement juridique. Le juge pourra aussi toujours considérer que les contestations ne sont pas tout à fait analogues, et donc décider de traiter en priorité la question de conventionnalité.

Je trouve également un peu imprudente la formule « sous réserve de l'article 88-1 » de la Constitution. Elle risque de permettre au juge du fond, qui a mon sens souhaitera plutôt privilégier la question d'inconventionnalité, d'exciper à cette fin de la nécessité de respecter l'article 88-1. Or, nous ne connaissons pas exactement la portée de cet article. Sur ces bases, le Conseil constitutionnel a commencé à construire une théorie relative à la transposition des directives. Il n'est pas certain qu'elle le conduise à considérer que le droit communautaire l'emporte sur le droit constitutionnel.

L'idée que le respect de l'article 88-1 impose d'abord de traiter la conformité au droit communautaire, voire de poser la question préjudicielle porte le risque de l'affirmation d'une sorte de priorité du droit communautaire sur le droit constitutionnel national. Tel n'est certainement pas l'objet de ce texte ; sa philosophie est plutôt, au contraire, de donner au citoyen une arme en droit constitutionnel interne. Cette formule devrait donc être supprimée.

Si l'on veut maintenir un renvoi, pourquoi ne pas écrire tout simplement que la juridiction peut, au moment où elle transmet la question de constitutionnalité, soulever concomitamment la question préjudicielle devant la Cour de justice des communautés européennes ? Compte tenu du faible délai prévisible du traitement de la question de constitutionnalité, la réponse sera fournie certainement avant celle de la Cour de justice des Communautés européennes. Dès lors, du temps aura été gagné dans le procès. La mention de l'article 88-1 me semble conduire à beaucoup de confusion.

S'agissant du désistement de l'instance, celui-ci entraîne selon moi le désistement sur la question de constitutionnalité : puisqu'il n'y a plus de litige, celle-ci ne commande plus l'issue de celui-ci.

Je suis cependant gêné par la formule « commande l'issue du litige » : à un citoyen qui expose au juge qu'une loi est anticonstitutionnelle, ce dernier pourra être amené à répondre que son analyse est probablement vraie, mais que la loi ne commandant pas l'issue du litige, la question ne sera pas posée. La philosophie de la réforme n'entraîne-t-elle pas un droit pour le citoyen à faire vérifier que la loi est bien constitutionnelle ?

Le texte du projet de loi organique est de ce point de vue sensiblement plus restrictif que celui de l'article 61-1 de la Constitution, qui permet de poser la question « à l'occasion d'un litige ». Certes, n'importe quel requérant d'habitude ne doit pas se voir permettre de soulever tout problème à toute occasion. Cependant, une formule plus respectueuse du texte de la Constitution telle que : « la disposition est en rapport direct avec le litige » devrait être trouvée. À mon sens, la réforme comporte l'idée que notre droit doit être purgé d'éventuelles inconstitutionnalités.

La motivation des décisions de renvoi est-elle souhaitable ? Quoi qu'il arrive, les décisions seront motivées. Il est difficile d'imaginer que le Conseil d'État renvoie un texte au Conseil constitutionnel pour inconstitutionnalité sans expliquer sur quoi porte celle-ci. Dès lors pourquoi ne pas prévoir celle-ci, à condition que le juge constitutionnel ne soit pas tenu par cette motivation, de façon à permettre de l'éclairer ?

À mon sens, les juridictions devraient pouvoir aussi reformuler les termes de la question. Cependant, ce point n'a pas grande d'importance. Le juge sera saisi du mémoire déposé par le plaignant. Si, par hypothèse invraisemblable, une juridiction dénaturait une question posée par un requérant, le Conseil constitutionnel, saisi des deux formulations, pourrait rétablir la question initiale.

Cela me conduit directement à l'examen de la question par le Conseil constitutionnel. Il est essentiel que ce dernier ne soit pas tenu par les termes de la question qui lui est renvoyée, et qu'il puisse la reprendre. Sans aller jusqu'à une théorie de la saisine d'office, le Conseil constitutionnel, puisqu'il est saisi d'une loi, doit pouvoir exposer en quoi elle est ou non conforme à la Constitution, sans être tenu par une vision qui pourra être un peu étroite de la disposition précise qui commande l'issue du litige.

Faut-il prévoir que des observations puissent être adressées au Conseil constitutionnel par le Président de la République, le Premier ministre et les présidents des assemblées ? Tout ce qui va dans le sens du contradictoire est utile. Je n'y vois donc que des avantages. Je doute cependant que cette procédure soit employée autrement qu'exceptionnellement. Pour le Président de la République, c'est prendre le risque d'être désavoué. Les présidents des deux assemblées seront sensibles au fait que la loi est l'oeuvre des Assemblées. C'est donc le Secrétariat général du Gouvernement, placé auprès du Premier ministre, qui devrait pour l'essentiel mettre en oeuvre cette disposition.

Enfin, il semble inévitable que la présentation contradictoire des observations transforme la question de constitutionnalité en litige incident, dès lors que cette exception est introduite. Mais quelle importance ?

J'ajouterai à ces réponses quelques observations.

Le problème de la question de constitutionnalité soulevée directement devant le Conseil d'État ou la Cour de cassation et qui est évoqué dans l'exposé des motifs doit être précisé. Il serait étrange que les conditions d'examen d'une question soulevée à l'occasion d'une saisine en matière de contentieux des élections cantonales, dont le juge de première instance est le tribunal administratif, ne soient pas identiques aux conditions d'examen d'une question soulevée à l'occasion d'une saisine en matière d'élections régionales, où c'est le Conseil d'État.

Par ailleurs, pourquoi l'alinéa 15 de l'article 1er fait-il état d'un délai de transmission de huit jours ? Une autre rédaction précisait « sans délai ». Puisque l'affaire est prête, que le mémoire a été déposé par les parties et transmis par le juge, ce délai de huit jours n'a pas de raison d'être.

Il faut aussi faire attention à un point assez délicat, le cas, prévu à l'alinéa 12 de l'article 1er de l'article 1er, où la disposition a déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une disposition du Conseil constitutionnel. La formulation est prudente. Cette prudence est-elle suffisante ? La difficulté a pour origine une faiblesse de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. La rédaction du dernier considérant des décisions a varié dans le temps. À certaines époques, le considérant a couvert l'ensemble du texte, exposant que la loi déférée ne comportait pas d'autres inconstitutionnalités, et à d'autres non. La formule utilisée « sans qu'il soit besoin pour le Conseil constitutionnel de soulever d'autres questions de constitutionnalité » doit-elle être considérée comme validant la constitutionnalité de l'ensemble du texte ? La réponse est plutôt négative. Le texte du projet de loi devrait comporter la mention « expressément conforme », de façon à faire apparaître que la disposition en question doit avoir été visée expressément et non pas par une des formules finales des décisions.

Enfin, le contrôle abstrait et le contrôle concret ne se confondent pas. Ainsi, une loi allemande avait disposé que lorsqu'un couple occupait ensemble un appartement, si le mari quittait le domicile conjugal, il devait continuer à en payer le loyer lorsque sa femme n'avait pas de ressources. Une telle loi, examinée dans le cadre d'un contrôle a priori, aurait été déclarée constitutionnelle. Le cas s'est vu cependant d'un couple où la femme a installé chez elle son amant ; le mari a quitté le domicile ; condamné à continuer à payer le loyer, il a formé un recours devant la Cour constitutionnelle. Celle-ci a déclaré la loi inconstitutionnelle à cause de ses conséquences dans le cas précis. Peut-être la fin de l'alinéa 12 de l'article 1er de l'article 1er du projet de loi pourrait-elle préciser « sauf changement de circonstances de droit ou de fait ».

En conclusion, la réforme est ambitieuse et utile. La loi organique sera décisive pour sa mise en oeuvre. Elle comporte deux risques, la vider de son contenu et transférer le contrôle de constitutionnalité aux cours suprêmes existantes, ce qui n'est pas son but.

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