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Intervention de Thierry Wickers

Réunion du 23 juin 2009 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Thierry Wickers, président du Conseil national des barreaux et ancien bâtonnier de Bordeaux :

Les avocats ont un point de vue extrêmement positif sur l'intégration du contrôle de constitutionnalité dans notre droit. Il s'agit d'un progrès essentiel et nous souhaitons que la loi organique qui sera votée le rende effectif, pratique et en fasse une solution alternative au contrôle de conventionnalité qui reste jusqu'à aujourd'hui la seule échappatoire offerte au plaideur pour faire valoir ses droits fondamentaux que, paradoxalement, la Constitution lui garantissait. En permettant au plaideur de faire valoir d'abord la Constitution, le projet de loi organique remet sur sa base la pyramide de l'ordre juridique.

Toutes les questions aujourd'hui posées dans le cadre d'une exception – question préjudicielle et principe de conventionnalité – ont vocation à entrer dans le périmètre de la question de constitutionnalité : le principe d'égalité, la garantie de la liberté individuelle, le respect de la vie privée, les droits de la défense, le principe de nécessité, le principe de proportionnalité en matière pénale, le principe de la légalité des délits et des peines… S'y ajouteront les spécificités françaises, comme la Charte de l'environnement avec le principe de précaution et d'information, et des matières nouvelles qui sont en dehors du champ du contrôle de conventionnalité telles que le droit fiscal qui n'a jamais fait l'objet d'aucun contrôle d'aucune sorte. Tout ce qui concerne les droits de l'homme, l'environnement, le droit du travail et le droit des étrangers sera concerné par la réforme.

S'agissant de la possibilité d'invoquer l'incompétence négative du législateur à l'appui d'une question de constitutionnalité, il semble qu'il faille se référer à l'article 61-1 lui-même qui est légèrement restrictif. Ce dernier précise que la question de constitutionnalité porte uniquement sur l'atteinte « aux droits et libertés que la Constitution garantit ». Il ne nous semble pas que les hypothèses dans lesquelles le législateur aurait refusé de faire application de la totalité de son pouvoir législatif entrent dans le champ des « droits et libertés ».

La présence du filtre, c'est-à-dire la vérification par la juridiction suprême que les conditions de transmission du dossier sont remplies, ne risque-t-elle pas de conduire à un « pré-jugement de constitutionnalité » ? Nous avons déjà beaucoup de cours suprêmes. Et voilà que va apparaître la cour suprême des cours suprêmes ! On peut imaginer qu'une juridiction suprême ne verra pas avec plaisir qu'elle n'est plus tout à fait aussi suprême…

Le risque existe et le texte s'efforce d'ores et déjà d'y remédier en prévoyant que le Conseil d'État et la Cour de cassation devront envoyer au Conseil constitutionnel copie de leur décision de ne pas le saisir. Cette disposition laisse augurer d'un dialogue des juges, peut-être informel. Le système proposé n'existe nulle part, ou plutôt n'existe plus nulle part car le filtre se transforme trop souvent en barrage. Si c'est le cas, l'objectif du législateur, qui est de permettre au citoyen de faire valoir les droits garantis par la Constitution, ne sera pas atteint. Pour nous, le risque existe.

Pour y parer, trois remèdes sont possibles : supprimer le filtre, ce qui remettrait en cause l'économie générale de la réforme ; faire le point après quelques années d'expérimentation ; enfin, prendre le plus de précautions possibles. C'est sans doute la voie la plus réaliste.

En ce qui concerne la priorité donnée au contrôle de constitutionnalité sur le contrôle de conventionnalité, elle se justifie par la différence fondamentale qui existe entre les deux : la décision rendue dans le premier cas s'applique erga omnes, alors qu'elle ne vaut qu'inter partes dans le second. Ne serait-ce que pour cette raison, la priorité se justifie. Mais il y en a d'autres : on remet la pyramide sur son socle en mettant la loi fondamentale au sommet de la hiérarchie alors qu'aujourd'hui, on est obligé de soulever la question de conventionnalité faute d'avoir accès au contrôle de constitutionnalité.

Il serait peut-être sage que la disposition qui encadre le mécanisme de transmission prévoie qu'elle se fasse sans délai. Il faut couper court à la tentation qui pourrait exister d'attendre que les choses se décantent, qu'une question de conventionnalité soit évoquée… Compte tenu de l'importance de l'enjeu, la priorité doit se traduire dans les textes et les procédures.

Dans l'hypothèse où un plaideur soulèverait simultanément une question de constitutionnalité et une question de conventionnalité, il faut éviter de laisser au juge du fond une trop grande latitude car on peut craindre qu'il ne fasse passer le domaine dans lequel il est compétent avant. Or la priorité doit être donnée au principe de constitutionnalité. À ce propos, l'expression « sous réserve des exigences résultant de l'article 88-1 de la Constitution » – lequel renvoie à la primauté des traités –, nous paraît de nature à créer des difficultés, outre qu'elle n'est pas indispensable puisque le juge national respecte les règles du droit communautaire du fait de la supériorité du traité sur la loi. Tel qu'il est rédigé, le texte laisse entendre que le juge pourrait dans une certaine mesure jouer entre la constitutionnalité et la conventionnalité. Il serait, à notre avis, préférable de préciser « sans préjudice de l'article 234 du traité instituant la Communauté européenne ». On éliminerait le risque, tout en obtenant le même résultat.

En ce qui concerne les sursis à statuer, il faut veiller à ne pas rajouter un délai supplémentaire. C'est pourquoi préciser que la transmission de la question de constitutionnalité doit être immédiate nous paraît important. La question du sursis ne devrait d'ailleurs se poser que si l'on a attendu le dernier moment pour soulever la question. Si le moyen est invoqué immédiatement, la juridiction compétente aura eu le temps de trancher avant la fin de l'instruction du dossier.

S'agissant de la dispense du ministère d'avocat, nous n'allons pas demander une extension de la représentation par avocat à cette occasion. Les règles de représentation s'appliqueront et il arrivera que la question de constitutionnalité soit soulevée par des parties qui n'auront pas recouru à l'assistance d'un avocat. En revanche, nous ne voyons pas pourquoi il faudrait imposer de recourir à un avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Cela créerait une rupture dans l'organisation de la défense, qui n'a pas grand sens, d'autant que, en l'espèce, la compétence particulière de nos confrères relative aux moyens de cassation n'est pas transposable à cette question. Cela étant, le principal inconvénient résiderait dans le fait que vous encourageriez le phénomène auquel vous voulez mettre fin, à savoir le pas pris par le contrôle de conventionnalité sur le contrôle de constitutionnalité. Quand ils auront le choix, les justiciables préféreront soulever la question de conventionnalité plutôt que de faire appel à un avocat supplémentaire.

Vous avez envisagé le cas où, après avoir soulevé une question de constitutionnalité, les parties renonceraient à leur procès. Comme la décision s'appliquera erga omnes, il nous semble que la question, dès qu'elle aura été jugée recevable, doive être tranchée.

Les décisions de renvoi au Conseil constitutionnel doivent-elles être motivées ? Si la décision est positive, la motivation est en réalité contenue dans les mémoires. La motivation des refus de renvoi est encore plus essentielle, ne serait-ce que pour permettre un dialogue fructueux entre les cours suprêmes et comprendre les raisons du refus. Les décisions doivent donc toutes être motivées.

Vos dernières questions portent sur la procédure devant le Conseil constitutionnel lui-même. Le Conseil doit-il être tenu par les termes de la question qui lui a été renvoyée ? L'exemple de la procédure de saisine de la Cour de justice des communautés européennes conduit à penser que le Conseil constitutionnel doit pouvoir reformuler et requalifier la question qui lui a été posée. La question de constitutionnalité est au-dessus des parties ; l'objet est de trancher la difficulté, une fois celle-ci identifiée.

La possibilité pour le Conseil de recevoir les observations du Président de la République, du Premier ministre et des présidents des assemblées, à la manière du contrôle ex ante tel qu'il fonctionne aujourd'hui, nous paraît également s'imposer.

Enfin, le litige relatif au contrôle de constitutionnalité est par nature un litige incident. Le droit ainsi ouvert au justiciable de saisir une juridiction a pour objet de lui permettre de soulever la question de constitutionnalité non pas hors de tout contexte mais seulement à condition que, dans un litige pendant, lui soit opposée une disposition législative dont, à son avis, la constitutionnalité peut être discutée. Par nature nous sommes donc en présence d'un litige incident. Pour reprendre une expression utilisée par les économistes, ce litige présente cependant des caractéristiques particulières « d'externalité positive, » puisque la décision rendue par le Conseil constitutionnel va avoir des effets sur la société tout entière, ainsi que sur la totalité des plaideurs présents et à venir. En revanche, cela ne signifie pas que le Conseil constitutionnel tranche lui-même le litige au fond ; nous sommes bien en présence d'un litige au fond d'une part, d'un litige constitutionnel incident et autonome de l'autre.

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