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Intervention de Françoise Olivier-Coupeau

Réunion du 8 juillet 2009 à 10h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançoise Olivier-Coupeau, rapporteure pour la Commission de la défense nationale et des forces armées :

Sur la base de ce constat, la mission a formulé des propositions visant à réduire les coûts.

La première proposition concerne les hébergements de nos militaires.

Lorsqu'une opération extérieure est entreprise, les troupes déployées sont d'abord hébergées dans des logements provisoires, généralement sous des tentes. Ces dernières sont ensuite « winterisées », c'est-à-dire isolées. Puis, l'opération durant, des logements préfabriqués sont achetés, acheminés et installés. Dans un troisième temps, au bout d'un certain nombre d'années, la fabrication d'éléments en « dur » est décidée.

L'expérience montre que, sauf cas très particuliers, les opérations extérieures doivent s'envisager dans la longue durée. L'OPEX en Bosnie a duré 15 ans, celles au Kosovo, en Côte d'Ivoire, au Tchad, en Afghanistan se prolongent, respectivement, depuis 10, 7, 23 et 8 ans, sans réelle perspective de désengagement à court terme, sauf peut-être pour le Kosovo.

De surcroît, comme l'a souligné M. Louis Giscard d'Estaing, les logements préfabriqués de type Algeco – appelés Corimec dans l'armée – doivent être laissés sur place : cela coûte très cher de les acheminer vers d'autres théâtres d'opérations et encore plus de les rapporter en France. La solution la plus rationnelle semble être de construire aussitôt que possible des bâtiments durables pour loger nos troupes, avec des schémas standardisés assurant des constructions sécurisées bien définies. Le coût de la main d'oeuvre locale et des matériaux rend la construction moins onéreuse que l'achat et l'acheminement de préfabriqués qui, bien que censés être mobiles, ne pourront que très difficilement être réutilisés.

Outre les économies financières réalisées sur le long terme, les constructions présentent plusieurs avantages : elles assurent une bien meilleure protection contre les roquettes et tout autre type d'attentat, comme nous l'avons vu en Afghanistan ; elles procurent un meilleur confort pour les personnels ; elles assurent du travail à la main d'oeuvre locale – ce qui est un élément important dans l'acceptation de nos troupes ; elles peuvent être rétrocédées aux autorités locales lors du retrait des troupes françaises.

Certes, une installation de ce type présente l'inconvénient de donner d'emblée le signal d'une installation longue. Mais cela peut aussi avoir l'effet bénéfique de montrer la détermination de notre pays.

Aussi considérons-nous que, lorsqu'une opération extérieure est lancée et s'il n'est pas expressément décidé que sa durée sera limitée à quelques mois, les armées ont intérêt à bâtir rapidement des installations pérennes aussi standardisées que possible qui, outre les avantages sécuritaires, feront réaliser, sur la durée, des économies substantielles en matière d'infrastructures.

Une autre proposition est relative à la facturation des prestations rendues par la France.

Au sein de coalitions comme l'Otan ou l'Union européenne, les services rendus de nation à nation, comme l'alimentation ou le transport, font l'objet d'une facturation. Or, la France ne facture pas à ses alliés les prestations qu'elle leur fournit au même niveau qu'elle s'acquitte de ses factures. Notre pays facture ses prestations à « coût coûtant », alors que les autres nations facturent un coût global qui intègre l'amortissement.

C'est ainsi que l'alimentation quotidienne d'un militaire français par l'armée néerlandaise en Afghanistan nous est facturée 50 euros, alors que la France en réclame beaucoup moins aux armées dont elle nourrit les soldats – et dans certains cas, elle ne leur présente même pas de facture.

Un interprète afghan recruté à Kaboul par les forces françaises est rémunéré environ 600 euros par mois. Mais lorsque la France doit exceptionnellement faire appel à un interprète fourni par une autre nation de la coalition, ce service lui est facturé 2 500 euros par mois !

Cette forme de candeur aboutit à ce que, pour l'année 2009, la France doit 7,45 millions d'euros à ses alliés quand ceux-ci ne lui doivent que 4,91 millions d'euros.

Au Tchad, ce sont les géographes de l'armée française qui ont réalisé la cartographie complète de l'est du pays. Lorsque la Minurcat est arrivée, sans la moindre carte, les données cartographiques appartenant à l'armée française ont été cédées à l'ONU pour une somme dérisoire, à peine plus que le prix du papier sur lequel elles sont imprimées.

Nous proposons de facturer les prestations servies par la France aux armées alliées selon les méthodes de calcul utilisées pour facturer les prestations équivalentes à nos forces, en se fondant sur le coût global et non sur le coût marginal.

Une troisième proposition résulte de la comparaison entre le coût de location d'un matériel et son coût d'achat.

Les armées utilisent sur la plupart des théâtres d'opérations des véhicules civils, parfois achetés mais généralement loués. C'est le cas en Afghanistan, pour 28 véhicules tout-terrain, pour une bonne partie blindés. Si le prix de location d'une voiture non blindée reste acceptable – 600 euros par mois –, le coût de la location d'un 4X4 blindé est de 6 600 euros par mois. Il est vrai que le marché est étroit et le nombre de prestataires faible, ce qui ne favorise pas la concurrence.

Selon les calculs du ministère de la défense, une voiture blindée louée reviendrait, sur trois ans, à peine plus cher – 37 000 euros de plus, quand même – qu'une voiture achetée. Outre que le mode calcul, dont vous trouverez le détail dans le rapport, nous paraît discutable, ces 37 000 euros d'économie par véhicule ne nous paraissent pas négligeables, sans compter que l'état-major des armées semble oublier que, contrairement à une voiture louée, une voiture achetée peut être revendue. En réalité, nous avons le sentiment que les armées préfèrent louer plutôt qu'acheter, même si cela revient plus cher aux finances publiques, car ce qui est loué est imputé en frais de fonctionnement remboursables par Bercy en fin d'exercice, alors que les achats d'équipement ne sont pas remboursables. Des raisons procédurales et la mésentente entre les deux ministères ont donc pour effet un gaspillage d'argent public.

Nous recommandons donc de privilégier l'acquisition lorsqu'il apparaît que le coût de location d'un matériel, notamment d'un véhicule, est supérieur, pour la durée d'utilisation envisagée, au coût d'achat.

Une quatrième proposition a trait à la lutte contre la piraterie maritime.

Depuis quelques années, la piraterie maritime se développe sur une grande échelle. Malgré les mises en garde répétées des autorités françaises, nombre de navires battant pavillon national – des plaisanciers comme des navires marchands – continuent à fréquenter les eaux dangereuses du Golfe d'Aden, notamment. Certains de nos compatriotes ont été victimes d'enlèvements, et, pour les libérer, les armées ont dû mettre en place des dispositifs lourds et coûteux. La vie de nos soldats a été mise en danger à l'occasion de chacune de ces opérations. Si la décision de mener ces missions pour sauver des vies humaines ne se discute pas, il n'en demeure pas moins que ces missions permettent également de récupérer les navires détournés ; or ce sauvetage de biens matériels est réalisé au profit de propriétaires et d'assureurs à qui il ne vient parfois même pas l'idée d'écrire une lettre de remerciement au ministre de la défense.

Il n'y a aucune raison pour que coût du sauvetage d'un navire – pas celui d'un otage – ne soit pas facturé au propriétaire ou à l'assureur du bâtiment en question. Outre le dédommagement que le ministère de la défense recevrait, on peut penser que la menace de cette sanction financière aurait une vertu pédagogique et pourrait conduire armateurs et plaisanciers à mieux respecter les mises en garde des autorités françaises. Le commandant du Ponant, qui a été victime d'un acte de piraterie, m'a indiqué que son armateur, considérant qu'il était plus simple de passer par cette route, l'a renvoyé plusieurs fois dans le Golfe d'Aden. Ce faisant, non seulement il prend un risque non pour lui-même, mais, de plus, il en fait courir un pour nos forces armées.

Nous recommandons donc que toute intervention militaire aboutissant à la récupération d'un navire mis en difficulté par un acte de piraterie fasse l'objet d'une facturation au propriétaire ou à son assureur.

Une cinquième proposition a trait au matériel saisi en opération.

Le budget contraint de la mission « Défense » ne permet pas toujours aux forces de disposer de tout le matériel dont elles peuvent avoir besoin. Or, les opérations permettent parfois de réaliser des prises qui pourraient être réutilisées par les armées. C'est le cas des embarcations rapides utilisées par les narcotrafiquants aux Antilles et en Méditerranée – les go fast. Nous proposons donc que la législation soit modifiée pour permettre aux armées de réutiliser pour leur propre compte le matériel saisi en opération, en particulier les embarcations rapides saisies lors d'arrestations de narcotrafiquants, ou pour l'accomplissement de leur mission ou au moins comme réserve de pièces de rechange. À l'heure actuelle, le matériel saisi pourrit dans des hangars.

Nous considérons enfin que le Parlement doit s'intéresser à l'externalisation.

La volonté de recentrer les forces sur leur coeur de métier a conduit l'état-major des armées à développer un vaste projet en la matière. Cette externalisation n'est réalisable que sur des théâtres d'opération stabilisés. En effet, dans une situation potentiellement dangereuse, confier des tâches à des sociétés privées reviendrait à exposer des civils aux dangers de la guerre et constituerait un poids pour les militaires qui devraient, en plus de leur mission, assurer la protection de ces civils. Le recours à des entreprises privées reste très utile dans des domaines qui ne relèvent pas du coeur de métier des armées comme la construction ou l'agrandissement de bases, la fourniture d'eau, de groupes électrogènes ou de produits alimentaires.

Toutefois, la répartition des marchés accordés aux entreprises peut créer un risque politique. Ainsi, selon les statistiques du ministère de la défense, 96 % des entreprises travaillant pour l'Eufor au Tchad sont des multinationales, souvent européennes ; seuls 4 % des marchés sont donc récupérés par les entreprises tchadiennes. Il n'est pas rare de voir les autorités locales manifester leur insatisfaction devant la faible place faite aux entreprises de leur pays. C'est une des raisons pour lesquelles les militaires français tentent, au Tchad comme en Afghanistan, de favoriser les entreprises locales.

Par ailleurs, compte tenu des rémunérations versées par les forces françaises, il est fréquent qu'un interprète ou un personnel de restauration soit mieux rémunéré qu'un policier ou un professeur. Le risque existe donc de voir des professionnels particulièrement qualifiés – des universitaires ou des chirurgiens, par exemple – abandonner leur métier et priver leur pays de leurs compétences parce que l'interprétation est plus rémunératrice.

Autre inconvénient : l'externalisation de services se traduit par la passation de contrats qui ne sont pas toujours d'une grande souplesse. Ainsi, l'une des raisons du coût élevé des opérations menées au Tchad tient à ce que les contrats passés avec le secteur privé pour la construction et le fonctionnement du « camp des étoiles », à Abéché, l'ont été pour 2 000 soldats. Or, au cours de l'année 2008, ce camp a plutôt hébergé 1 000 à 1 500 personnes en moyenne, mais les prestataires ont argué de leurs investissements pour facturer un montant de prestations correspondant à 2 000 occupants. Si ce camp avait été géré avec des moyens uniquement militaires, l'adaptation aurait été certainement plus facile.

Enfin, il arrive que, dans certaines régions déshéritées, l'économat des armées ne trouve pas de prestataires de services ou qu'il en trouve un seul. Dans ce cas, le bénéfice financier de l'externalisation est loin d'être évident.

Pour toutes ces raisons, les rapporteurs ont appelé l'attention de la Commission des finances sur l'utilité de s'intéresser de plus près à l'externalisation, menée à grands pas par le ministère de la défense, en créant éventuellement une mission d'évaluation et de contrôle sur le coût et les bénéfices attendus de l'externalisation au sein de ce ministère.

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