Messieurs les députés, je me réjouis de vous retrouver aujourd'hui, moins de deux mois après ma prise de fonction à la présidence de l'AMF. C'est pourquoi je suis accompagné de Gérard Rameix, qui en est le secrétaire général, et qui complétera mes réponses et mes premières réflexions. Mon arrivée coïncide malencontreusement avec l'affaire Madoff, et l'extension de la très grave crise financière, qui se double d'une crise économique et morale. Il n'est plus de mise de rechercher les responsabilités individuelles de tel ou tel ; il faut tirer les leçons, et vite, pour rebâtir, car le temps est compté. Mais en matière de régulation, un bon diagnostic est le préalable à toute réforme, pour éviter de refaire les mêmes erreurs.
La reconstruction, et ce sera mon leitmotiv, ne peut se fonder que sur la protection des investisseurs et de l'épargne. Le régulateur doit, ni plus ni moins, revenir à son coeur de métier. Et je sais pouvoir compter sur votre soutien dans la refondation de la régulation à laquelle vous réfléchissez, et qui doit se décliner au niveau national, européen et international.
Le système français de régulation est bon et il nous a permis de résister mieux que d'autres à la crise, mais l'Autorité des marchés financiers, institution indépendante et impartiale, doit rester très vigilante dans la surveillance qu'elle exerce sur les intermédiaires financiers, les produits et les marchés. Il n'y a pas de confiance sans surveillance, ni de surveillance sans sanctions efficaces. La sanction est vertueuse si elle a des effets pédagogiques. Le montant est un critère parmi d'autres, mais l'efficacité de la sanction repose avant tout sur sa rapidité et sur son adaptation au fonctionnement du marché. Or, l'organisation actuelle répond à cette exigence. Des sanctions trop tardives entameraient la crédibilité du système et la confiance que peuvent avoir les investisseurs et les épargnants dans le fonctionnement des marchés. Cela étant, la réactivité de nos mécanismes de régulation ne les dispense pas d'évoluer – je vous renvoie aux rapports de M. Deletré, de la Cour des comptes. La ministre de l'Économie s'est également saisie de la question – dans le sens d'un renforcement de la protection de l'épargne, au moyen d'un contrôle par objectif, et du consommateur, sans verser pour autant dans le consumérisme. Il faut s'attacher à une connaissance plus approfondie des circuits de commercialisation. Des produits financiers, même très proches comme les OPCVM et les supports d'assurance-vie, peuvent dépendre d'autorités de régulation différentes. Au moment où la confiance est au coeur de la survie du système financier, on peut se demander si une régulation plus homogène des circuits de distribution ne serait pas mieux adaptée. En tout état de cause, quelles que soient les adaptations nécessaires, l'AMF sera prête à assumer, le moment venu, les missions que les pouvoirs publics voudraient lui confier.
Notre dispositif de régulation est étroitement dépendant des normes européennes. Dans ce domaine également, nous souffrons d'un déficit d'Europe. La consolidation de l'échelon européen est nécessaire, comme l'attestent les différences d'interprétation entre législateurs et régulateurs illustrées par l'affaire Madoff. Ce n'est pas tant la norme elle-même qui pose problème, puisqu'elle existe, que son application et son interprétation. Jacques de Larosière anime un groupe de réflexion qui doit remettre ses conclusions au Président de la Commission européenne à la fin de février. Même si la Commission et le Parlement arrivent au terme de leur mandat, il ne faut pas interrompre le processus d'amélioration de la régulation européenne.
L'objectif prioritaire consiste en une application harmonisée des directives. Le commissaire compétent, M. Mac Creevy, a été saisi par les autorités françaises de la question de la responsabilité du dépositaire qui a une obligation de surveillance car le même texte donne lieu à des interprétations différentes en France et au Luxembourg. J'ai des échanges avec le ministre luxembourgeois des finances à ce sujet. Il est important que la Commission s'en saisisse et en tire les leçons.
La meilleure convergence des pratiques des régulateurs passe par un renforcement des pouvoirs du comité européen des régulateurs de marchés de valeurs mobilières, le CESAR. Il a pour le moment un statut d'association. Nous allons voir s'il faut renforcer son pouvoir d'appréciation sur l'interprétation des normes, et mieux l'associer à l'élaboration de la norme par la Commission, le Conseil et le Parlement européen.
À l'échelon européen, trois dossiers méritent une attention particulière.
D'abord, les agences de notation. Le règlement européen en la matière doit voir le jour très bientôt. Il devrait favoriser l'émergence de modèles alternatifs d'appréciation des risques et des performances internes et externes, tout en développant le contrôle des méthodes utilisées par ces agences, des points dont j'ai eu l'occasion de discuter avec le rapporteur du texte, M. Gauzès. Le Parlement européen devrait améliorer les propositions de la Commission en ce qui concerne l'enregistrement de ces agences et le renforcement du rôle du comité des régulateurs de marché. Nous attendons beaucoup de la commission des affaires économiques et financières pour oeuvrer dans ce sens.
Ensuite, la mise en oeuvre de la directive OPCVM 4 qui est urgente. En créant un passeport européen des sociétés de gestion qui contribuera à une circulation plus libre des produits, elle offrira de réelles opportunités de développement aux sociétés françaises. Cela étant, elle ne doit pas se traduire par une baisse de la protection des épargnants. Ce serait un risque si des fonds agréés par l'AMF pouvaient être rachetés par d'autres fonds européens relevant d'un régulateur moins exigeant. Ces fusions transfrontières de fonds pourraient alors être à l'origine d'une sorte de détournement des règles de surveillance. Le problème de l'application harmonisée des règles européennes, notamment celles qui encadrent les OPCVM, est un enjeu majeur qui requiert toute notre vigilance.
Enfin, les infrastructures de compensation qui ne servent aujourd'hui qu'aux actions et obligations. Nous manquons, au niveau européen, d'infrastructures pour échanger des produits dérivés ou dénouer les opérations de gré à gré. Or, un outil de compensation permettrait notamment de mutualiser les risques. La France a saisi le président de la Commission et le président de l'Eurogroupe pour qu'ils réfléchissent à une solution. Il y va de la protection des investisseurs européens et de l'indépendance financière européenne. En effet, ce type d'infrastructure s'est considérablement développé aux États-Unis depuis un an et demi. Ils souhaitent les étendre en Europe, et il nous appartient de décider si nous nous donnons les moyens logistiques de développer nos propres réseaux ou si nous acceptons de dépendre des infrastructures américaines existantes. Il s'agit d'un enjeu véritablement stratégique pour l'Europe et notamment la place de Paris.
La régulation internationale constitue certainement le problème le plus délicat. Nous faisons preuve de naïveté en croyant que, à cause de l'ébranlement du système financier, le besoin de régulation fait l'unanimité. Nous en sommes loin. L'Europe doit d'abord s'organiser pour, ensuite, peser sur l'évolution de la régulation internationale. À cet égard, l'échéance du G20 en avril sera cruciale pour mesurer la volonté des uns et des autres de transformer le système international.
Selon nous, le champ de la régulation doit être étendu dans trois directions.
Premièrement, et la Cour des comptes l'a relevé, il ne doit pas y avoir de marché non régulé au niveau international. L'existence de « trous noirs » tels que les centres offshore ou les hedge funds, qui sont les seuls dont on ignore tout du risque auquel ils sont exposés, compromet l'efficacité de toute régulation, aussi bonne soit-elle. Mais ce qui semble évident pour nous ne l'est pas pour d'autres, encore que la nouvelle administration américaine semble résolue à agir rapidement. L'Autorité des marchés financiers copréside la task force de l'Organisation internationale des commissions de valeurs mobilières sur les marchés non régulés et elle fera tout son possible pour resserrer les mailles du filet de la régulation.
Deuxièmement, la supervision doit s'étendre aux politiques de rémunération des dirigeants et des opérateurs de marché. Elles sont un élément de l'appréciation du risque, tout comme la gouvernance d'entreprise. Tant en Europe qu'aux États-Unis, depuis l'arrivée du président Obama, le débat sur ce thème est devenu central, surtout après le soutien public apporté au secteur financier.
Troisièmement, il faut réduire le caractère procyclique de certaines règles, en particulier les normes comptables. Ce sujet renvoie à la gouvernance de l'International Accounting Standards Board. Dans un premier temps, il faut vérifier une par une si telle ou telle règle a aggravé la volatilité des marchés, et partant la crise. C'est un travail minutieux qui exige aussi beaucoup de prudence. Dans ce cadre, il faut réfléchir en profondeur à ce qu'est la valeur de marché, laquelle contribue, au moins en principe, à une meilleure information et à une plus grande transparence. Reste ensuite la question de la gouvernance de l'IASB qui est une fondation de droit privé, d'inspiration anglo-saxonne, à laquelle les autorités publiques nationales européennes ont délégué la décision en matière de normes comptables. En outre, la gouvernance de cette fondation n'est pas des plus transparentes. Il est donc important qu'un dialogue régulier s'instaure entre les autorités publiques, les régulateurs et l'IASB sans pour autant que les premières s'immiscent dans un domaine a priori technique. Cependant, nous ne pouvons pas rester sans rien faire si les normes ne prennent pas suffisamment en compte les réalités, même si elles cherchent à donner la meilleure information financière possible. Nous avons fait le bon choix en optant pour un système de normes international à la fin des années 90, mais il faut être conscient que des pays comme le Japon ou les États-Unis ne l'appliqueront, dans le meilleur des cas, qu'en 2012, ce qui soulève bien des questions.
Je suis en début de mandat, et j'ai l'intention dans les semaines à venir de soumettre au collège de l'AMF un plan stratégique qui définira une feuille de route exigeante et ambitieuse. Je serai naturellement à votre disposition pour vous fournir sur ce point toutes les informations que vous jugeriez utile.