, s'est dite investie d'une responsabilité particulière, au service de l'Europe. Depuis le 1er juillet, la présidence de l'Union européenne confère à la France, main dans la main avec la Commission, le devoir d'être à l'écoute des intérêts européens et de trouver les voies qui les composent, ou les transcendent, pour forger une position commune, qui, chaque fois qu'elle peut s'exprimer, renforce non seulement l'Europe dans le monde, mais aussi la France en Europe. La ministre assume cette responsabilité avec conviction car tout le monde connaît son engagement pour la construction européenne.
Comme la ministre a eu l'occasion de le dire hier devant les membres de la commission du commerce international du Parlement européen, à Bruxelles, la France se prépare à ce rôle depuis plusieurs mois, et en matière de commerce international, la présidence française de l'Union européenne commence sans répit, car le directeur général de l'OMC, M. Pascal Lamy, a convoqué le 21 juillet une conférence ministérielle, qui réunira une trentaine de pays, représentatifs de l'ensemble des sensibilités des 152 Etats membres.
Ce dossier, la France l'aborde comme les autres dossiers européens, avec le même état d'esprit collectif, et avec le même souci de débat politique.
Comme le Président de la République l'a constaté à Strasbourg, l'Europe a souffert d'un manque de débats. Dans quelles conditions le libre échange est-il avantageux pour l'Europe ?L'accord qui se dessine à Genève remplit-il ces conditions ?
Le débat démocratique doit s'emparer de ces questions en Europe, car, malgré la technicité du commerce international, il est temps de remettre une dose de politique dans ce processus.
Comme lui a dit récemment un ministre asiatique, il ne faut pas laisser ces négociations en pilotage « automatique ».
L'échéance du 21 juillet comporte des risques. Il reste beaucoup de sujets à régler. Lors du Conseil « Affaires générales » du 26 mai dernier, une vingtaine d'Etats membres ont montré leurs inquiétudes ou leurs interrogations quant à la tournure actuelle des négociations. Le rôle de la présidence du Conseil sera donc de veiller à ce que les discussions conduisent à un rééquilibrage du cycle de Doha en faveur des intérêts européens, conformément aux conclusions du Conseil « Affaires générales » de mars dernier.
In fine, il faut bien garder à l'esprit que les Etats membres devront se prononcer à l'unanimité sur un accord à l'OMC. Dans ces conditions, autant garantir une adhésion au fil de l'eau de l'ensemble du Conseil, plutôt que d'exposer une Commission qui avancerait sans être adossée au politique. L'objectif de la présidence française est donc de renforcer ainsi l'assise politique du négociateur européen, et non de l'affaiblir, comme certains l'ont pensé.
Quelle est notre analyse de la situation ?
En matière agricole, l'Europe a déjà beaucoup concédé. Les négociations du cycle d'Uruguay, conclues avec les accords de Marrakech ont, pour la première fois, fait rentrer l'agriculture dans le champ couvert par les disciplines de l'OMC. Elles se poursuivent dans le cadre du présent cycle, à la demande, des pays en développement, qui pour certains tendent à limiter le cycle à cet enjeu, comme les travaux de la Délégation l'ont bien mis en évidence. Ceux-ci veulent que les Etats-Unis et l'Europe éliminent les subventions à l'exportation, baissent leurs tarifs douaniers, et encadrent plus strictement les soutiens internes au secteur agricole.
Or, l'Europe agricole s'est beaucoup réformée ; elle a fourni les efforts qui lui étaient demandés. Dans le cadre de la politique agricole commune, elle a accepté l'élimination progressive de ses subventions à l'exportation. Elle a concédé des baisses de tarifs importantes. Mais pour la France, l'Europe a atteint ses lignes rouges. Le dernier texte Falconer, du nom de l'ambassadeur néo-zélandais qui préside aux négociations, n'a pas sensiblement changé la donne. La plus grande vigilance est requise, afin de préserver nos filières sensibles (sucre, fruits et légumes, volaille et boeuf) et de garder toutes les marges de manoeuvre nécessaires à la réforme de la PAC en 2013, et au bilan de santé de la PAC, cette année. D'autres Etats membres ont une sensibilité sur le coton, par exemple.
Que dire, par contraste, des Etats-Unis qui viennent d'adopter des lois sur l'agriculture et l'énergie autorisant des montants de subventions incompatibles avec les perspectives d'un accord à l'OMC ? Le Congrès américain, nous dit-on, serait prêt à modifier cette loi. Mais cela introduit un grand doute. Plusieurs pays partagent ce sentiment. En outre, la question des soutiens au coton continue d'opposer les pays africains et les Etats-Unis !
Que dire du Brésil, qui soutient à outrance le développement des biocarburants, au risque de mettre en péril la préservation de la forêt amazonienne ?
En matière industrielle, les attentes européennes sont fortes, car les marchés émergents, où nos entreprises vont chercher des relais de croissance, maintiennent des barrières importantes aux échanges. Mais ces attentes sont déçues.
En effet, comme vous le savez, les négociations à l'OMC ne portent pas sur les tarifs effectivement appliqués, mais sur les plafonds tarifaires que chaque Etat s'engage à ne pas dépasser. Or, en l'état, les négociations ne conduiront pas à une réduction telle de ces plafonds qu'ils viennent mordre suffisamment sur les droits de douane effectivement imposés aux frontières. Tout au plus peut-on y voir une garantie contre le risque de leur relèvement ultérieur.
Les dérogations à la formule de réduction de droits donnent peu de possibilités de réduire les pics tarifaires qui ferment certains marchés à l'industrie européenne. Beaucoup d'industriels ont donc exprimé leur déception.
Les dernières propositions de M. Don Stephenson, l'ambassadeur canadien qui préside à ce chapitre des négociations, ne constituent pas le saut qualitatif suffisant qui pourrait emporter notre adhésion. Au contraire, puisqu'il affaiblit considérablement la portée de la « clause anti-concentration », que la Commission avait proposée afin de limiter les échappatoires.
Le report à une étape ultérieure des négociations sur les services, qui ne feront que débuter la semaine prochaine, sont un point supplémentaire de déception, alors que nos intérêts y sont majeurs.
Enfin, malgré un soutien croissant des pays en développement, les demandes européennes d'une meilleure protection internationale des indications géographiques, qui permettent de valoriser la qualité des produits de terroirs européens, ne sont pas encore prises en compte.
C'est pourquoi, comme l'a dit le Président de la République: « le compte n'y est pas ».
L'Europe a toujours joué un rôle de leader dans la défense et la promotion du système commercial multilatéral. L'Europe n'a pas de leçons à recevoir sur les questions de développement. Ceci ne signifie pas que nos intérêts offensifs et défensifs doivent être sacrifiés.
C'est pourquoi la substance doit primer sur le calendrier. D'autant plus qu'il faut bien voir à quel point ce calendrier est inconfortable.
Pour bien préciser les choses, si un compromis politique était trouvé, techniquement il faudrait encore au moins 6 mois de travail pour le transcrire juridiquement. Cela signifie que l'objectif affiché de conclure avant la fin 2008 semble hors de portée. Mais alors, comment éviter un télescopage avec les élections américaines et une remise en cause des modalités par le Congrès démocrate?
Quel est le message prioritaire que la présidence française souhaite transmettre aux Européens ?
C'est de montrer que l'Europe peut les protéger. Mais le Président de la République a été clair devant le Parlement européen, protection ne signifie pas protectionnisme. La France, qui est un pays exportateur et investisseur à l'étranger n'a rien à gagner au protectionnisme. En matière commerciale, cela veut dire que la France adhère pleinement à la nécessité d'une OMC qui joue un rôle fondamental dans la régulation du commerce international, avec une efficacité unique parmi les organisations internationales grâce à l'organe de règlement des différends. Mais cela veut dire aussi que l'Europe ne doit pas être naïve – les autres ne le sont pas –, et qu'elle doit se donner les moyens de veiller à un meilleur équilibre dans les négociations.
Au bout du compte, la ministre souhaite faire en sorte que l'Europe puisse aborder cette négociation incertaine les yeux ouverts, sans naïveté, et avec une pleine conscience politique de ses intérêts.
S'agissant des accords bilatéraux de l'Union européenne, sous présidence française, la conclusion de plusieurs accords de libre-échange est envisageable. Ces accords ne sont pas des substituts à un accord multilatéral. Ils permettent d'aller à la fois plus vite et plus loin, puisqu'ils couvrent des sujets comme la propriété intellectuelle, les barrières non tarifaires, l'investissement, par exemple.
Avec la Corée, il est possible que les négociations aboutissent sous présidence française. Il reste bien sûr des difficultés à surmonter, notamment dans le secteur automobile. Il y a une autre négociation qui pourrait progresser sous présidence française, c'est l'accord UE-Conseil de coopération des Etats du Golfe, à condition de trouver la bonne articulation avec les clauses politiques auxquelles nous souscrivons tous. Plusieurs sommets avec de grands pays émergents (Afrique du Sud, Inde, Russie, Brésil, Chine) donneront lieu à des développements économiques.
Mme Anne-Marie Idrac aimerait aussi contribuer au renouveau des réflexions sur les relations de l'UE avec les pays développés : le sommet UE-Canada constituera une bonne occasion à cet égard. Avec ce pays, la France réfléchit aux contours d'un accord de « nouvelle génération », englobant notamment les marchés publics, l'investissement et la propriété industrielle.
Au-delà de ces négociations, la vision globale des priorités françaises en matière commerciale pour le semestre à venir, que la ministre a exposée hier au Parlement européen, s'articule autour de deux axes : un commerce loyal et un commerce durable.
Le commerce loyal, c'est d'abord un accent mis sur la propriété intellectuelle, et sur l'idée de réciprocité.
Le commerce durable, c'est la priorité française accordée à l'environnement. L'encadrement des émissions de CO2 ne doit pas conduire à détériorer la compétitivité des entreprises européennes par rapport à des concurrents qui ne seraient pas soumis à la même ambition.
La ministre a ajouté à ces priorités une préoccupation générale de prendre en compte la dimension sociale du commerce international.
La ministre a espéré avoir donné un aperçu des défis qui sont devant nous et face auxquels le soutien et les orientations des parlementaires sont déterminants.